« C’était pas facile pour ma mère d’être une mère seule en Afrique du Nord. On était mal jugées, tout le monde nous posait des questions. C’était une galère. Dans la mentalité là-bas, il y a une mère, un père et des enfants. Il y a le système et il faut être dedans. Et une mère toute seule avec un enfant c’est anormal. Financièrement aussi c’était très difficile. Mais ma mère disait que j’étais l’espoir de sa vie et elle faisait son maximum. Parfois elle ne mangeait pas et disait : « Quand toi tu manges, moi aussi je mange. » Et je la croyais. Elle a fait son max aussi pour jouer le rôle du père, mais j’ai toujours senti ce manque du père.

Au lycée, je me suis passionnée pour les sciences humaines. C’était le seul espace où je pouvais penser librement. Entre Platon, Kant, Nietzsche, chacun a son mode de pensée. Il n’y a pas un seul modèle à suivre. Alors j’ai décidé de préparer le concours pour l’Ecole Normale Supérieure. Dans mon pays, réussir ce concours c’est comme un rêve. Il y avait seulement 10 places dans tout le pays et j’ai terminé 4ème ! Ma mère était très fière, son espoir se réalisait. Et ça a changé l’image que les gens avaient de moi. Être professeure là-bas, c’est une chose importante. Tout le monde a beaucoup de respect pour toi. Les voisins disaient : « On a vu la professeure ! ».

Peu de temps après avoir obtenu mon poste, j’ai eu mon premier enfant. J’avais pris un appartement pour ma mère et moi. Elle s’occupait de ma fille et quand je rentrais le soir je trouvais mon repas préparé. À ce moment-là, j’avais le sentiment d’être proche de réaliser ma vie de rêve. Mais le papa était parti à Genève pour trouver du travail. Les voisins ont de nouveau commencé à poser des questions. J’ai eu aussi beaucoup de problèmes de harcèlement.

En plus de ça, ma fille était très attachée à son père. La dernière fois qu’on est rentrées au pays après avoir passé quelques mois à Genève, elle a cherché son papa partout. Elle voulait plus manger, plus jouer, on a même dû l’amener à l’hôpital. Ca m’a fait très mal coeur. Le passé était en train de se répéter, donc j’ai dit : stop ! Après quelques mois, j’ai demandé de nouveau un visa et cette fois-ci j’ai pensé rester à Genève. Je voulais pas que mes enfants aient le même vécu que moi, à grandir loin de leur père et être mal-jugés. Le jour du départ, j’ai pris ma mère dans mes bras et je lui ai dit : « Je sais pas si on va se revoir dans quelques mois ou quelques années… »

La première année ici a été très difficile. Dans mon pays, j’avais toujours le soutien de ma mère, mais ici j’avais plus personne. Mes enfants tombaient toujours malade à cause de l’humidité dans notre studio donc je passais mon temps aux urgences. Puis j’ai lu sur un site officiel qu’être en Suisse sans papier c’est un crime donc j’étais tout le temps effrayée d’être arrêtée. Les uniformes c’était la pire chose. Même les agents qui vérifient les stationnements me faisaient peur (rires) ! Et certaines personnes profitent de notre situation. Le propriétaire de l’appartement augmente beaucoup le loyer et parfois les employeurs ne paient pas car ils savent qu’on peut pas aller à la police.

Le plus bizarre ici, c’est que tu es interdit de travailler quand tu es sans papiers. Mais de l’autre côté, pour obtenir le permis de séjour il faut avoir un travail, ne pas toucher l’Hospice et ne pas avoir été arrêté. Même l’assistante sociale elle comprend pas ce système ! Bientôt ça fera 5 années et je vais enfin pouvoir déposer ma demande de permis. Et comme j’ai un travail, les enfants qui sont bien intégrés et que j’ai jamais touché l’Hospice, ça devrait aller vite. J’y suis presque ! 5 années sans voir ma mère… Pendant ces prochains mois il faut que je fasse attention. Si j’ai une interdiction de territoire, tout recommence à zéro. Donc je panique encore quand je croise des policiers. 

Tu vois, la vie pour les autres c’est pas facile hein ! Tu ne réalises pas la valeur d’être tranquille dans la rue, sans avoir peur d’être arrêtée. C’est surtout pour les enfants que je reste ici. Là-bas, il n’y a pas de futur. Les jeunes très tôt ils tentent d’aller en Europe par des moyens très dangereux. Et moi je veux pas qu’un jour mes garçons essaient aussi. Maintenant ils sont chez eux ici, ils vont à l’école ici, ils ont leur amis ici. Leur vie c’est ici. Et aussi j’ai le sentiment d’avoir réalisé mon idéal d’avoir la famille ensemble. Je les vois jouer avec leur père, ils sont trop contents quand il rentre du travail, et ça me fait beaucoup de bien. J’ai jamais connu ça, moi. 

De l’autre côté, j’ai perdu mon idéal professionnel.  Pour payer les factures, je fais surtout du baby-sitting. C’est comme si j’avais perdu une partie de moi. Y’a une semaine, ma fille m’a dit : « Quand je serai grande j’aimerais bien avoir un mari, mais pas des enfants pour pas galérer comme toi ! »  Wallah, je te jure, avec mes amies on était pliées de rire (rires) ! Mais malgré toutes ces difficultés, je suis à l’aise ici. Je suis souvent toute seule avec les enfants, et personne ne m’a demandé : où est le papa ? Et un jour, j’espère de nouveau retrouver aussi mon idéal professionnel. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH.

« C’était pas facile pour ma mère d’être une mère seule en Afrique du Nord. On était mal jugées, tout le monde nous posait des questions. C’était une galère. Dans la mentalité là-bas, il y a une mère, un père et des enfants. Il y a le système et il faut être dedans. Et une mère toute seule avec un enfant c’est anormal. Financièrement aussi c’était très difficile. Mais ma mère disait que j’étais l’espoir de sa vie et elle faisait son maximum. Parfois elle ne mangeait pas et disait : « Quand toi tu manges, moi aussi je mange. » Et je la croyais. Elle a fait son max aussi pour jouer le rôle du père, mais j’ai toujours senti ce manque du père.

Au lycée, je me suis passionnée pour les sciences humaines. C’était le seul espace où je pouvais penser librement. Entre Platon, Kant, Nietzsche, chacun a son mode de pensée. Il n’y a pas un seul modèle à suivre. Alors j’ai décidé de préparer le concours pour l’Ecole Normale Supérieure. Dans mon pays, réussir ce concours c’est comme un rêve. Il y avait seulement 10 places dans tout le pays et j’ai terminé 4ème ! Ma mère était très fière, son espoir se réalisait. Et ça a changé l’image que les gens avaient de moi. Être professeur là-bas, c’est une chose importante. Tout le monde a beaucoup de respect pour toi. Les voisins disaient : « On a vu la professeure ! ».

Peu de temps après avoir obtenu mon poste, j’ai eu mon premier enfant. J’avais pris un appartement pour ma mère et moi. Elle s’occupait de ma fille et quand je rentrais le soir je trouvais mon repas préparé. À ce moment-là, j’avais le sentiment d’être proche de réaliser ma vie de rêve. Mais le papa était parti à Genève pour trouver du travail. Les voisins ont de nouveau commencé à poser des questions. J’ai eu aussi beaucoup de problèmes de harcèlement.

En plus de ça, ma fille était très attachée à son père. La dernière fois qu’on est rentrées au pays après avoir passé quelques mois à Genève, elle a cherché son papa partout. Elle voulait plus manger, plus jouer, on a même dû l’amener à l’hôpital. Ca m’a fait très mal coeur. Le passé était en train de se répéter, donc j’ai dit : stop ! Après quelques mois, j’ai demandé de nouveau un visa et cette fois-ci j’ai pensé rester à Genève. Je voulais pas que mes enfants aient le même vécu que moi, à grandir loin de leur père et être mal-jugés. Le jour du départ, j’ai pris ma mère dans mes bras et je lui ai dit : « Je sais pas si on va se revoir dans quelques mois ou quelques années… »

La première année ici a été très difficile. Dans mon pays, j’avais toujours le soutien de ma mère, mais ici j’avais plus personne. Mes enfants tombaient toujours malade à cause de l’humidité dans notre studio donc je passais mon temps aux urgences. Puis j’ai lu sur un site officiel qu’être en Suisse sans papier c’est un crime donc j’étais tout le temps effrayée d’être arrêtée. Les uniformes c’était la pire chose. Même les agents qui vérifient les stationnements me faisaient peur (rires) ! Et certaines personnes profitent de notre situation. Le propriétaire de l’appartement augmente beaucoup le loyer et parfois les employeurs ne paient pas car ils savent qu’on peut pas aller à la police.

Le plus bizarre ici, c’est que tu es interdit de travailler quand tu es sans papiers. Mais de l’autre côté, pour obtenir le permis de séjour il faut avoir un travail, ne pas toucher l’Hospice et ne pas avoir été arrêté. Même l’assistante sociale elle comprend pas ce système ! Bientôt ça fera 5 années et je vais enfin pouvoir déposer ma demande de permis. Et comme j’ai un travail, les enfants qui sont bien intégrés et que j’ai jamais touché l’Hospice, ça devrait aller vite. J’y suis presque ! 5 années sans voir ma mère… Pendant ces prochains mois il faut que je fasse attention. Si j’ai une interdiction de territoire, tout recommence à zéro. Donc je panique encore quand je croise des policiers. 

Tu vois, la vie pour les autres c’est pas facile hein ! Tu ne réalises pas la valeur d’être tranquille dans la rue, sans avoir peur d’être arrêtée. C’est surtout pour les enfants que je reste ici. Là-bas, il n’y a pas de futur. Les jeunes très tôt ils tentent d’aller en Europe par des moyens très dangereux. Et moi je veux pas qu’un jour mes garçons essaient aussi. Maintenant ils sont chez eux ici, ils vont à l’école ici, ils ont leur amis ici. Leur vie c’est ici. Et aussi j’ai le sentiment d’avoir réalisé mon idéal d’avoir la famille ensemble. Je les vois jouer avec leur père, ils sont trop contents quand il rentre du travail, et ça me fait beaucoup de bien. J’ai jamais connu ça, moi. 

De l’autre côté, j’ai perdu mon idéal professionnel.  Pour payer les factures, je fais surtout du baby-sitting. C’est comme si j’avais perdu une partie de moi. Y’a une semaine, ma fille m’a dit : « Quand je serai grande j’aimerais bien avoir un mari, mais pas des enfants pour pas galérer comme toi ! »  Wallah, je te jure, avec mes amies on était pliées de rire (rires) ! Mais malgré toutes ces difficultés, je suis à l’aise ici. Je suis souvent toute seule avec les enfants, et personne ne m’a demandé : où est le papa ? Et un jour, j’espère de nouveau retrouver aussi mon idéal professionnel. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH.

Publié le: 12 octobre 2022

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« C’était pas facile pour ma mère d’être une mère seule en Afrique du Nord. On était mal jugées, tout le monde nous posait des questions. C’était une galère. Dans la mentalité là-bas, il y a une mère, un père et des enfants. Il y a le système et il faut être dedans. Et une mère toute seule avec un enfant c’est anormal. Financièrement aussi c’était très difficile. Mais ma mère disait que j’étais l’espoir de sa vie et elle faisait son maximum. Parfois elle ne mangeait pas et disait : « Quand toi tu manges, moi aussi je mange. » Et je la croyais. Elle a fait son max aussi pour jouer le rôle du père, mais j’ai toujours senti ce manque du père.

Au lycée, je me suis passionnée pour les sciences humaines. C’était le seul espace où je pouvais penser librement. Entre Platon, Kant, Nietzsche, chacun a son mode de pensée. Il n’y a pas un seul modèle à suivre. Alors j’ai décidé de préparer le concours pour l’Ecole Normale Supérieure. Dans mon pays, réussir ce concours c’est comme un rêve. Il y avait seulement 10 places dans tout le pays et j’ai terminé 4ème ! Ma mère était très fière, son espoir se réalisait. Et ça a changé l’image que les gens avaient de moi. Être professeure là-bas, c’est une chose importante. Tout le monde a beaucoup de respect pour toi. Les voisins disaient : « On a vu la professeure ! ».

Peu de temps après avoir obtenu mon poste, j’ai eu mon premier enfant. J’avais pris un appartement pour ma mère et moi. Elle s’occupait de ma fille et quand je rentrais le soir je trouvais mon repas préparé. À ce moment-là, j’avais le sentiment d’être proche de réaliser ma vie de rêve. Mais le papa était parti à Genève pour trouver du travail. Les voisins ont de nouveau commencé à poser des questions. J’ai eu aussi beaucoup de problèmes de harcèlement.

En plus de ça, ma fille était très attachée à son père. La dernière fois qu’on est rentrées au pays après avoir passé quelques mois à Genève, elle a cherché son papa partout. Elle voulait plus manger, plus jouer, on a même dû l’amener à l’hôpital. Ca m’a fait très mal coeur. Le passé était en train de se répéter, donc j’ai dit : stop ! Après quelques mois, j’ai demandé de nouveau un visa et cette fois-ci j’ai pensé rester à Genève. Je voulais pas que mes enfants aient le même vécu que moi, à grandir loin de leur père et être mal-jugés. Le jour du départ, j’ai pris ma mère dans mes bras et je lui ai dit : « Je sais pas si on va se revoir dans quelques mois ou quelques années… »

La première année ici a été très difficile. Dans mon pays, j’avais toujours le soutien de ma mère, mais ici j’avais plus personne. Mes enfants tombaient toujours malade à cause de l’humidité dans notre studio donc je passais mon temps aux urgences. Puis j’ai lu sur un site officiel qu’être en Suisse sans papier c’est un crime donc j’étais tout le temps effrayée d’être arrêtée. Les uniformes c’était la pire chose. Même les agents qui vérifient les stationnements me faisaient peur (rires) ! Et certaines personnes profitent de notre situation. Le propriétaire de l’appartement augmente beaucoup le loyer et parfois les employeurs ne paient pas car ils savent qu’on peut pas aller à la police.

Le plus bizarre ici, c’est que tu es interdit de travailler quand tu es sans papiers. Mais de l’autre côté, pour obtenir le permis de séjour il faut avoir un travail, ne pas toucher l’Hospice et ne pas avoir été arrêté. Même l’assistante sociale elle comprend pas ce système ! Bientôt ça fera 5 années et je vais enfin pouvoir déposer ma demande de permis. Et comme j’ai un travail, les enfants qui sont bien intégrés et que j’ai jamais touché l’Hospice, ça devrait aller vite. J’y suis presque ! 5 années sans voir ma mère… Pendant ces prochains mois il faut que je fasse attention. Si j’ai une interdiction de territoire, tout recommence à zéro. Donc je panique encore quand je croise des policiers. 

Tu vois, la vie pour les autres c’est pas facile hein ! Tu ne réalises pas la valeur d’être tranquille dans la rue, sans avoir peur d’être arrêtée. C’est surtout pour les enfants que je reste ici. Là-bas, il n’y a pas de futur. Les jeunes très tôt ils tentent d’aller en Europe par des moyens très dangereux. Et moi je veux pas qu’un jour mes garçons essaient aussi. Maintenant ils sont chez eux ici, ils vont à l’école ici, ils ont leur amis ici. Leur vie c’est ici. Et aussi j’ai le sentiment d’avoir réalisé mon idéal d’avoir la famille ensemble. Je les vois jouer avec leur père, ils sont trop contents quand il rentre du travail, et ça me fait beaucoup de bien. J’ai jamais connu ça, moi. 

De l’autre côté, j’ai perdu mon idéal professionnel.  Pour payer les factures, je fais surtout du baby-sitting. C’est comme si j’avais perdu une partie de moi. Y’a une semaine, ma fille m’a dit : « Quand je serai grande j’aimerais bien avoir un mari, mais pas des enfants pour pas galérer comme toi ! »  Wallah, je te jure, avec mes amies on était pliées de rire (rires) ! Mais malgré toutes ces difficultés, je suis à l’aise ici. Je suis souvent toute seule avec les enfants, et personne ne m’a demandé : où est le papa ? Et un jour, j’espère de nouveau retrouver aussi mon idéal professionnel. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH.

« C’était pas facile pour ma mère d’être une mère seule en Afrique du Nord. On était mal jugées, tout le monde nous posait des questions. C’était une galère. Dans la mentalité là-bas, il y a une mère, un père et des enfants. Il y a le système et il faut être dedans. Et une mère toute seule avec un enfant c’est anormal. Financièrement aussi c’était très difficile. Mais ma mère disait que j’étais l’espoir de sa vie et elle faisait son maximum. Parfois elle ne mangeait pas et disait : « Quand toi tu manges, moi aussi je mange. » Et je la croyais. Elle a fait son max aussi pour jouer le rôle du père, mais j’ai toujours senti ce manque du père.

Au lycée, je me suis passionnée pour les sciences humaines. C’était le seul espace où je pouvais penser librement. Entre Platon, Kant, Nietzsche, chacun a son mode de pensée. Il n’y a pas un seul modèle à suivre. Alors j’ai décidé de préparer le concours pour l’Ecole Normale Supérieure. Dans mon pays, réussir ce concours c’est comme un rêve. Il y avait seulement 10 places dans tout le pays et j’ai terminé 4ème ! Ma mère était très fière, son espoir se réalisait. Et ça a changé l’image que les gens avaient de moi. Être professeur là-bas, c’est une chose importante. Tout le monde a beaucoup de respect pour toi. Les voisins disaient : « On a vu la professeure ! ».

Peu de temps après avoir obtenu mon poste, j’ai eu mon premier enfant. J’avais pris un appartement pour ma mère et moi. Elle s’occupait de ma fille et quand je rentrais le soir je trouvais mon repas préparé. À ce moment-là, j’avais le sentiment d’être proche de réaliser ma vie de rêve. Mais le papa était parti à Genève pour trouver du travail. Les voisins ont de nouveau commencé à poser des questions. J’ai eu aussi beaucoup de problèmes de harcèlement.

En plus de ça, ma fille était très attachée à son père. La dernière fois qu’on est rentrées au pays après avoir passé quelques mois à Genève, elle a cherché son papa partout. Elle voulait plus manger, plus jouer, on a même dû l’amener à l’hôpital. Ca m’a fait très mal coeur. Le passé était en train de se répéter, donc j’ai dit : stop ! Après quelques mois, j’ai demandé de nouveau un visa et cette fois-ci j’ai pensé rester à Genève. Je voulais pas que mes enfants aient le même vécu que moi, à grandir loin de leur père et être mal-jugés. Le jour du départ, j’ai pris ma mère dans mes bras et je lui ai dit : « Je sais pas si on va se revoir dans quelques mois ou quelques années… »

La première année ici a été très difficile. Dans mon pays, j’avais toujours le soutien de ma mère, mais ici j’avais plus personne. Mes enfants tombaient toujours malade à cause de l’humidité dans notre studio donc je passais mon temps aux urgences. Puis j’ai lu sur un site officiel qu’être en Suisse sans papier c’est un crime donc j’étais tout le temps effrayée d’être arrêtée. Les uniformes c’était la pire chose. Même les agents qui vérifient les stationnements me faisaient peur (rires) ! Et certaines personnes profitent de notre situation. Le propriétaire de l’appartement augmente beaucoup le loyer et parfois les employeurs ne paient pas car ils savent qu’on peut pas aller à la police.

Le plus bizarre ici, c’est que tu es interdit de travailler quand tu es sans papiers. Mais de l’autre côté, pour obtenir le permis de séjour il faut avoir un travail, ne pas toucher l’Hospice et ne pas avoir été arrêté. Même l’assistante sociale elle comprend pas ce système ! Bientôt ça fera 5 années et je vais enfin pouvoir déposer ma demande de permis. Et comme j’ai un travail, les enfants qui sont bien intégrés et que j’ai jamais touché l’Hospice, ça devrait aller vite. J’y suis presque ! 5 années sans voir ma mère… Pendant ces prochains mois il faut que je fasse attention. Si j’ai une interdiction de territoire, tout recommence à zéro. Donc je panique encore quand je croise des policiers. 

Tu vois, la vie pour les autres c’est pas facile hein ! Tu ne réalises pas la valeur d’être tranquille dans la rue, sans avoir peur d’être arrêtée. C’est surtout pour les enfants que je reste ici. Là-bas, il n’y a pas de futur. Les jeunes très tôt ils tentent d’aller en Europe par des moyens très dangereux. Et moi je veux pas qu’un jour mes garçons essaient aussi. Maintenant ils sont chez eux ici, ils vont à l’école ici, ils ont leur amis ici. Leur vie c’est ici. Et aussi j’ai le sentiment d’avoir réalisé mon idéal d’avoir la famille ensemble. Je les vois jouer avec leur père, ils sont trop contents quand il rentre du travail, et ça me fait beaucoup de bien. J’ai jamais connu ça, moi. 

De l’autre côté, j’ai perdu mon idéal professionnel.  Pour payer les factures, je fais surtout du baby-sitting. C’est comme si j’avais perdu une partie de moi. Y’a une semaine, ma fille m’a dit : « Quand je serai grande j’aimerais bien avoir un mari, mais pas des enfants pour pas galérer comme toi ! »  Wallah, je te jure, avec mes amies on était pliées de rire (rires) ! Mais malgré toutes ces difficultés, je suis à l’aise ici. Je suis souvent toute seule avec les enfants, et personne ne m’a demandé : où est le papa ? Et un jour, j’espère de nouveau retrouver aussi mon idéal professionnel. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH.

Publié le: 12 octobre 2022

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