
« Quand j’étais petite, je préférais passer mon temps avec les garçons car ils acceptaient de faire tout ce que je disais ! Je voulais être la cheffe partout (rires) ! Même avec mes grands frères et grandes soeurs, c’est moi qui décidais de tout. Et les gens m’écoutaient car ce que je disais était juste. Et puis un jour, la guerre a débuté. On habitait dans un village de la région de Daraa, là où tout a commencé. Un jour de manifestation, j’étais à l’hôpital pour visiter ma grand-mère, et j’ai vu les blessés arriver. Il y en avait tellement qu’il fallait les enjamber pour passer. Quand je suis rentrée chez moi ce jour-là, tout avait changé. Notre village si calme était devenu très agité.
Les militaires avaient encerclé le village avec des barricades. Il y avait des snipers et des mines tout autour de nous. J’avais très peur. Puis ils ont commencé à entrer dans le village. Ils pillaient et mettaient le feu aux magasins, aux maisons, aux voitures. Et ils vérifiaient les identités. Si ton nom était sur leur liste, ils te prenaient et tu disparaissais. Après quelques mois, des jeunes d’autres villages ont attaqué les militaires. Ça les a mis en colère et ils ont commencé à tirer partout pendant des heures chaque jour. Ils s’en fichaient s’il y avait des enfants ou des femmes. Les choses se sont un peu calmées après, mais le village était toujours encerclé.
Un jour, alors que j’étais enceinte, ils ont commencé à tirer partout devant ma maison. Au même moment, j’ai commencé à ressentir des contractions. Pour échapper aux tirs, je me suis mise à courir à travers les champs. Plusieurs fois j’ai trébuché sur des cailloux et en tombant j’ai senti quelque chose se détacher dans mon ventre. Le lendemain, j’ai accouché d’un petit garçon et 3 jours plus tard il est décédé. Je peux pas décrire comment je me suis sentie. J’avais tellement hâte de le voir… Peu de temps après, 6 personnes de ma famille ont été tuées, et moi j’ai pris une balle dans la jambe. 22 points de suture. J’ai dit à mon mari : la Syrie stop. Et on s’est enfuis tous les deux au Liban.
La situation là-bas était très mauvaise, on se débrouillait comme on pouvait. Un jour, je parlais au téléphone avec ma soeur, et j’ai entendu une grosse explosion et le téléphone a coupé. J’ai pensé : ça y est toute ma famille est morte. À ce moment j’étais de nouveau enceinte, au 6ème mois. À cause du choc émotionnel, j’ai commencé à saigner. Pendant 15 jours je n’ai eu aucune nouvelle d’eux. Heureusement ils ont survécu, mais j’étais dans une situation grave physiquement. Même le docteur m’a demandé comment je supportais toute cette douleur. Moi je pensais seulement à tout faire pour maintenir mon bébé en vie. Le bébé est né 2 mois plus tard, mais il était déjà mort…
Quelques mois plus tard mon frère a été tué et mon mari est mort dans un accident de voiture. Je me suis retrouvée toute seule au Liban. Sans famille, sans personne. C’était la misère. Avec mon mari on était très amoureux. C’est tellement rare un couple qui s’entend si bien. J’étais tellement triste. Alors je suis rentrée en Syrie. Le village était encore encerclé et chaque jour quelqu’un se faisait tuer. Après 4 mois j’arrivais plus à supporter la situation. Je dormais pas et j’avais perdu 30 kg. Alors je suis repartie au Liban. J’avais plus rien du tout. Rien. Mais en arrivant je me suis dit : cette fois-ci, je recommence ma vie à zéro.
J’ai commencé par travailler à la crèche et à donner des cours d’arabe. En parallèle, je prenais des cours à l’institut d’esthétique. J’ai terminé première de la promotion, et l’UNICEF m’a acheté tout le matériel pour ouvrir un salon de beauté. Avant j’étais déprimée, je passais tout mon temps à pleurer. Mais quand j’ai ouvert le salon, tout a changé. Il y avait une dizaine de filles qui travaillaient pour moi et que je formais. J’étais très douée et les clientes aimaient beaucoup mon travail. J’ai reçu beaucoup de soutien, et j’ai crée beaucoup d’amitiés. Et surtout, j’étais tellement occupée que ça m’a permis de ne pas penser à toute ma tristesse.
Puis le Liban a voté une loi que chaque Syrien doit payer 12’000 dollars pour avoir un magasin. Donc j’ai décidé de fermer le salon et j’ai dit aux gens de l’ONU que je voulais partir. J’avais aucun projet, je voulais juste partir. J’avais trop souffert ici et je n’avais plus rien à perdre. Puis quand ils m’ont dit que j’irais en Suisse, c’était comme un rêve ! D’abord, je me suis dit que j’allais être en sécurité. Puis j’ai regardé sur internet et j’ai pensé : ah je vais devoir traire les vaches (rires) ! À l’aéroport, ils ont mis un tampon comme quoi j’étais interdite au Liban pendant 5 ans. J’ai dit : « S’il vous plait, mettez 20 ans au cas où je serais assez bête pour revenir ! »
En arrivant ici, je suis encore repartie à zéro. Je suis venue seulement pour deux choses : être en sécurité et fonder une famille. Je me suis déjà remariée mais mon mari est en Turquie et il peut être expulsé en Syrie à tout moment. Si ça arrive, c’est fini, il sera tué. Et je suis trop fatiguée pour encore tout recommencer. J’essaie de le faire venir ici, mais les lois sont très difficiles. Les gens ici sont adorables et je me sens en sécurité. Y’a aussi tout le confort. C’est un bon pays pour vivre. Mais pas toute seule. Et ça fait 14 mois que je suis seule dans une petite chambre à penser à mon mari et je suis encore plus déprimée qu’au Liban.
Mon coeur est trop gonflé de souffrance. Quand je pense à tout ce que j’ai vécu, je pleure… Si les blessures n’étaient que sur la peau, elles pourraient se soigner. Mais mes blessures sont trop profondes. Malgré tout, je ressens encore fortement de l’espoir en moi et je suis prête à faire les efforts qu’il faut pour m’en sortir, faire venir mon mari et fonder une famille. Et je suis quelqu’un de très actif. Si j’y arrive, après je voudrais ouvrir un salon esthétique ici, et former des femmes qui ont subi des violences pour les aider. Un jour, Inchallah, j’oublierai toutes mes souffrances et je penserai seulement à mes moments heureux. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite de l’arabe

« Quand j’étais petite, je préférais passer mon temps avec les garçons car ils acceptaient de faire tout ce que je disais ! Je voulais être la cheffe partout (rires) ! Même avec mes grands frères et grandes soeurs, c’est moi qui décidais de tout. Et les gens m’écoutaient car ce que je disais était juste. Et puis un jour, la guerre a débuté. On habitait dans un village de la région de Daraa, là où tout a commencé. Un jour de manifestation, j’étais à l’hôpital pour visiter ma grand-mère, et j’ai vu les blessés arriver. Il y en avait tellement qu’il fallait les enjamber pour passer. Quand je suis rentrée chez moi ce jour-là, tout avait changé. Notre village si calme était devenu très agité.
Les militaires avaient encerclé le village avec des barricades. Il y avait des snipers et des mines tout autour de nous. J’avais très peur. Puis ils ont commencé à entrer dans le village. Ils pillaient et mettaient le feu aux magasins, aux maisons, aux voitures. Et ils vérifiaient les identités. Si ton nom était sur leur liste, ils te prenaient et tu disparaissais. Après quelques mois, des jeunes d’autres villages ont attaqué les militaires. Ça les a mis en colère et ils ont commencé à tirer partout pendant des heures chaque jour. Ils s’en fichaient s’il y avait des enfants ou des femmes. Les choses se sont un peu calmées après, mais le village était toujours encerclé.
Un jour, alors que j’étais enceinte, ils ont commencé à tirer partout devant ma maison. Au même moment, j’ai commencé à ressentir des contractions. Pour échapper aux tirs, je me suis mise à courir à travers les champs. Plusieurs fois j’ai trébuché sur des cailloux et en tombant j’ai senti quelque chose se détacher dans mon ventre. Le lendemain, j’ai accouché d’un petit garçon et 3 jours plus tard il est décédé. Je peux pas décrire comment je me suis sentie. J’avais tellement hâte de le voir… Peu de temps après, 6 personnes de ma famille ont été tuées, et moi j’ai pris une balle dans la jambe. 22 points de suture. J’ai dit à mon mari : la Syrie stop. Et on s’est enfuis tous les deux au Liban.
La situation là-bas était très mauvaise, on se débrouillait comme on pouvait. Un jour, je parlais au téléphone avec ma soeur, et j’ai entendu une grosse explosion et le téléphone a coupé. J’ai pensé : ça y est toute ma famille est morte. À ce moment j’étais de nouveau enceinte, au 6ème mois. À cause du choc émotionnel, j’ai commencé à saigner. Pendant 15 jours je n’ai eu aucune nouvelle d’eux. Heureusement ils ont survécu, mais j’étais dans une situation grave physiquement. Même le docteur m’a demandé comment je supportais toute cette douleur. Moi je pensais seulement à tout faire pour maintenir mon bébé en vie. Le bébé est né 2 mois plus tard, mais il était déjà mort…
Quelques mois plus tard mon frère a été tué et mon mari est mort dans un accident de voiture. Je me suis retrouvée toute seule au Liban. Sans famille, sans personne. C’était la misère. Avec mon mari on était très amoureux. C’est tellement rare un couple qui s’entend si bien. J’étais tellement triste. Alors je suis rentrée en Syrie. Le village était encore encerclé et chaque jour quelqu’un se faisait tuer. Après 4 mois j’arrivais plus à supporter la situation. Je dormais pas et j’avais perdu 30 kg. Alors je suis repartie au Liban. J’avais plus rien du tout. Rien. Mais en arrivant je me suis dit : cette fois-ci, je recommence ma vie à zéro.
J’ai commencé par travailler à la crèche et à donner des cours d’arabe. En parallèle, je prenais des cours à l’institut d’esthétique. J’ai terminé première de la promotion, et l’UNICEF m’a acheté tout le matériel pour ouvrir un salon de beauté. Avant j’étais déprimée, je passais tout mon temps à pleurer. Mais quand j’ai ouvert le salon, tout a changé. Il y avait une dizaine de filles qui travaillaient pour moi et que je formais. J’étais très douée et les clientes aimaient beaucoup mon travail. J’ai reçu beaucoup de soutien, et j’ai crée beaucoup d’amitiés. Et surtout, j’étais tellement occupée que ça m’a permis de ne pas penser à toute ma tristesse.
Puis le Liban a voté une loi que chaque Syrien doit payer 12’000 dollars pour avoir un magasin. Donc j’ai décidé de fermer le salon et j’ai dit aux gens de l’ONU que je voulais partir. J’avais aucun projet, je voulais juste partir. J’avais trop souffert ici et je n’avais plus rien à perdre. Puis quand ils m’ont dit que j’irais en Suisse, c’était comme un rêve ! D’abord, je me suis dit que j’allais être en sécurité. Puis j’ai regardé sur internet et j’ai pensé : ah je vais devoir traire les vaches (rires) ! À l’aéroport, ils ont mis un tampon comme quoi j’étais interdite au Liban pendant 5 ans. J’ai dit : « S’il vous plait, mettez 20 ans au cas où je serais assez bête pour revenir ! »
En arrivant ici, je suis encore repartie à zéro. Je suis venue seulement pour deux choses : être en sécurité et fonder une famille. Je me suis déjà remariée mais mon mari est en Turquie et il peut être expulsé en Syrie à tout moment. Si ça arrive, c’est fini, il sera tué. Et je suis trop fatiguée pour encore tout recommencer. J’essaie de le faire venir ici, mais les lois sont très difficiles. Les gens ici sont adorables et je me sens en sécurité. Y’a aussi tout le confort. C’est un bon pays pour vivre. Mais pas toute seule. Et ça fait 14 mois que je suis seule dans une petite chambre à penser à mon mari et je suis encore plus déprimée qu’au Liban.
Mon coeur est trop gonflé de souffrance. Quand je pense à tout ce que j’ai vécu, je pleure… Si les blessures n’étaient que sur la peau, elles pourraient se soigner. Mais mes blessures sont trop profondes. Malgré tout, je ressens encore fortement de l’espoir en moi et je suis prête à faire les efforts qu’il faut pour m’en sortir, faire venir mon mari et fonder une famille. Et je suis quelqu’un de très actif. Si j’y arrive, après je voudrais ouvrir un salon esthétique ici, et former des femmes qui ont subi des violences pour les aider. Un jour, Inchallah, j’oublierai toutes mes souffrances et je penserai seulement à mes moments heureux. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite de l’arabe
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« Quand j’étais petite, je préférais passer mon temps avec les garçons car ils acceptaient de faire tout ce que je disais ! Je voulais être la cheffe partout (rires) ! Même avec mes grands frères et grandes soeurs, c’est moi qui décidais de tout. Et les gens m’écoutaient car ce que je disais était juste. Et puis un jour, la guerre a débuté. On habitait dans un village de la région de Daraa, là où tout a commencé. Un jour de manifestation, j’étais à l’hôpital pour visiter ma grand-mère, et j’ai vu les blessés arriver. Il y en avait tellement qu’il fallait les enjamber pour passer. Quand je suis rentrée chez moi ce jour-là, tout avait changé. Notre village si calme était devenu très agité.
Les militaires avaient encerclé le village avec des barricades. Il y avait des snipers et des mines tout autour de nous. J’avais très peur. Puis ils ont commencé à entrer dans le village. Ils pillaient et mettaient le feu aux magasins, aux maisons, aux voitures. Et ils vérifiaient les identités. Si ton nom était sur leur liste, ils te prenaient et tu disparaissais. Après quelques mois, des jeunes d’autres villages ont attaqué les militaires. Ça les a mis en colère et ils ont commencé à tirer partout pendant des heures chaque jour. Ils s’en fichaient s’il y avait des enfants ou des femmes. Les choses se sont un peu calmées après, mais le village était toujours encerclé.
Un jour, alors que j’étais enceinte, ils ont commencé à tirer partout devant ma maison. Au même moment, j’ai commencé à ressentir des contractions. Pour échapper aux tirs, je me suis mise à courir à travers les champs. Plusieurs fois j’ai trébuché sur des cailloux et en tombant j’ai senti quelque chose se détacher dans mon ventre. Le lendemain, j’ai accouché d’un petit garçon et 3 jours plus tard il est décédé. Je peux pas décrire comment je me suis sentie. J’avais tellement hâte de le voir… Peu de temps après, 6 personnes de ma famille ont été tuées, et moi j’ai pris une balle dans la jambe. 22 points de suture. J’ai dit à mon mari : la Syrie stop. Et on s’est enfuis tous les deux au Liban.
La situation là-bas était très mauvaise, on se débrouillait comme on pouvait. Un jour, je parlais au téléphone avec ma soeur, et j’ai entendu une grosse explosion et le téléphone a coupé. J’ai pensé : ça y est toute ma famille est morte. À ce moment j’étais de nouveau enceinte, au 6ème mois. À cause du choc émotionnel, j’ai commencé à saigner. Pendant 15 jours je n’ai eu aucune nouvelle d’eux. Heureusement ils ont survécu, mais j’étais dans une situation grave physiquement. Même le docteur m’a demandé comment je supportais toute cette douleur. Moi je pensais seulement à tout faire pour maintenir mon bébé en vie. Le bébé est né 2 mois plus tard, mais il était déjà mort…
Quelques mois plus tard mon frère a été tué et mon mari est mort dans un accident de voiture. Je me suis retrouvée toute seule au Liban. Sans famille, sans personne. C’était la misère. Avec mon mari on était très amoureux. C’est tellement rare un couple qui s’entend si bien. J’étais tellement triste. Alors je suis rentrée en Syrie. Le village était encore encerclé et chaque jour quelqu’un se faisait tuer. Après 4 mois j’arrivais plus à supporter la situation. Je dormais pas et j’avais perdu 30 kg. Alors je suis repartie au Liban. J’avais plus rien du tout. Rien. Mais en arrivant je me suis dit : cette fois-ci, je recommence ma vie à zéro.
J’ai commencé par travailler à la crèche et à donner des cours d’arabe. En parallèle, je prenais des cours à l’institut d’esthétique. J’ai terminé première de la promotion, et l’UNICEF m’a acheté tout le matériel pour ouvrir un salon de beauté. Avant j’étais déprimée, je passais tout mon temps à pleurer. Mais quand j’ai ouvert le salon, tout a changé. Il y avait une dizaine de filles qui travaillaient pour moi et que je formais. J’étais très douée et les clientes aimaient beaucoup mon travail. J’ai reçu beaucoup de soutien, et j’ai crée beaucoup d’amitiés. Et surtout, j’étais tellement occupée que ça m’a permis de ne pas penser à toute ma tristesse.
Puis le Liban a voté une loi que chaque Syrien doit payer 12’000 dollars pour avoir un magasin. Donc j’ai décidé de fermer le salon et j’ai dit aux gens de l’ONU que je voulais partir. J’avais aucun projet, je voulais juste partir. J’avais trop souffert ici et je n’avais plus rien à perdre. Puis quand ils m’ont dit que j’irais en Suisse, c’était comme un rêve ! D’abord, je me suis dit que j’allais être en sécurité. Puis j’ai regardé sur internet et j’ai pensé : ah je vais devoir traire les vaches (rires) ! À l’aéroport, ils ont mis un tampon comme quoi j’étais interdite au Liban pendant 5 ans. J’ai dit : « S’il vous plait, mettez 20 ans au cas où je serais assez bête pour revenir ! »
En arrivant ici, je suis encore repartie à zéro. Je suis venue seulement pour deux choses : être en sécurité et fonder une famille. Je me suis déjà remariée mais mon mari est en Turquie et il peut être expulsé en Syrie à tout moment. Si ça arrive, c’est fini, il sera tué. Et je suis trop fatiguée pour encore tout recommencer. J’essaie de le faire venir ici, mais les lois sont très difficiles. Les gens ici sont adorables et je me sens en sécurité. Y’a aussi tout le confort. C’est un bon pays pour vivre. Mais pas toute seule. Et ça fait 14 mois que je suis seule dans une petite chambre à penser à mon mari et je suis encore plus déprimée qu’au Liban.
Mon coeur est trop gonflé de souffrance. Quand je pense à tout ce que j’ai vécu, je pleure… Si les blessures n’étaient que sur la peau, elles pourraient se soigner. Mais mes blessures sont trop profondes. Malgré tout, je ressens encore fortement de l’espoir en moi et je suis prête à faire les efforts qu’il faut pour m’en sortir, faire venir mon mari et fonder une famille. Et je suis quelqu’un de très actif. Si j’y arrive, après je voudrais ouvrir un salon esthétique ici, et former des femmes qui ont subi des violences pour les aider. Un jour, Inchallah, j’oublierai toutes mes souffrances et je penserai seulement à mes moments heureux. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite de l’arabe

« Quand j’étais petite, je préférais passer mon temps avec les garçons car ils acceptaient de faire tout ce que je disais ! Je voulais être la cheffe partout (rires) ! Même avec mes grands frères et grandes soeurs, c’est moi qui décidais de tout. Et les gens m’écoutaient car ce que je disais était juste. Et puis un jour, la guerre a débuté. On habitait dans un village de la région de Daraa, là où tout a commencé. Un jour de manifestation, j’étais à l’hôpital pour visiter ma grand-mère, et j’ai vu les blessés arriver. Il y en avait tellement qu’il fallait les enjamber pour passer. Quand je suis rentrée chez moi ce jour-là, tout avait changé. Notre village si calme était devenu très agité.
Les militaires avaient encerclé le village avec des barricades. Il y avait des snipers et des mines tout autour de nous. J’avais très peur. Puis ils ont commencé à entrer dans le village. Ils pillaient et mettaient le feu aux magasins, aux maisons, aux voitures. Et ils vérifiaient les identités. Si ton nom était sur leur liste, ils te prenaient et tu disparaissais. Après quelques mois, des jeunes d’autres villages ont attaqué les militaires. Ça les a mis en colère et ils ont commencé à tirer partout pendant des heures chaque jour. Ils s’en fichaient s’il y avait des enfants ou des femmes. Les choses se sont un peu calmées après, mais le village était toujours encerclé.
Un jour, alors que j’étais enceinte, ils ont commencé à tirer partout devant ma maison. Au même moment, j’ai commencé à ressentir des contractions. Pour échapper aux tirs, je me suis mise à courir à travers les champs. Plusieurs fois j’ai trébuché sur des cailloux et en tombant j’ai senti quelque chose se détacher dans mon ventre. Le lendemain, j’ai accouché d’un petit garçon et 3 jours plus tard il est décédé. Je peux pas décrire comment je me suis sentie. J’avais tellement hâte de le voir… Peu de temps après, 6 personnes de ma famille ont été tuées, et moi j’ai pris une balle dans la jambe. 22 points de suture. J’ai dit à mon mari : la Syrie stop. Et on s’est enfuis tous les deux au Liban.
La situation là-bas était très mauvaise, on se débrouillait comme on pouvait. Un jour, je parlais au téléphone avec ma soeur, et j’ai entendu une grosse explosion et le téléphone a coupé. J’ai pensé : ça y est toute ma famille est morte. À ce moment j’étais de nouveau enceinte, au 6ème mois. À cause du choc émotionnel, j’ai commencé à saigner. Pendant 15 jours je n’ai eu aucune nouvelle d’eux. Heureusement ils ont survécu, mais j’étais dans une situation grave physiquement. Même le docteur m’a demandé comment je supportais toute cette douleur. Moi je pensais seulement à tout faire pour maintenir mon bébé en vie. Le bébé est né 2 mois plus tard, mais il était déjà mort…
Quelques mois plus tard mon frère a été tué et mon mari est mort dans un accident de voiture. Je me suis retrouvée toute seule au Liban. Sans famille, sans personne. C’était la misère. Avec mon mari on était très amoureux. C’est tellement rare un couple qui s’entend si bien. J’étais tellement triste. Alors je suis rentrée en Syrie. Le village était encore encerclé et chaque jour quelqu’un se faisait tuer. Après 4 mois j’arrivais plus à supporter la situation. Je dormais pas et j’avais perdu 30 kg. Alors je suis repartie au Liban. J’avais plus rien du tout. Rien. Mais en arrivant je me suis dit : cette fois-ci, je recommence ma vie à zéro.
J’ai commencé par travailler à la crèche et à donner des cours d’arabe. En parallèle, je prenais des cours à l’institut d’esthétique. J’ai terminé première de la promotion, et l’UNICEF m’a acheté tout le matériel pour ouvrir un salon de beauté. Avant j’étais déprimée, je passais tout mon temps à pleurer. Mais quand j’ai ouvert le salon, tout a changé. Il y avait une dizaine de filles qui travaillaient pour moi et que je formais. J’étais très douée et les clientes aimaient beaucoup mon travail. J’ai reçu beaucoup de soutien, et j’ai crée beaucoup d’amitiés. Et surtout, j’étais tellement occupée que ça m’a permis de ne pas penser à toute ma tristesse.
Puis le Liban a voté une loi que chaque Syrien doit payer 12’000 dollars pour avoir un magasin. Donc j’ai décidé de fermer le salon et j’ai dit aux gens de l’ONU que je voulais partir. J’avais aucun projet, je voulais juste partir. J’avais trop souffert ici et je n’avais plus rien à perdre. Puis quand ils m’ont dit que j’irais en Suisse, c’était comme un rêve ! D’abord, je me suis dit que j’allais être en sécurité. Puis j’ai regardé sur internet et j’ai pensé : ah je vais devoir traire les vaches (rires) ! À l’aéroport, ils ont mis un tampon comme quoi j’étais interdite au Liban pendant 5 ans. J’ai dit : « S’il vous plait, mettez 20 ans au cas où je serais assez bête pour revenir ! »
En arrivant ici, je suis encore repartie à zéro. Je suis venue seulement pour deux choses : être en sécurité et fonder une famille. Je me suis déjà remariée mais mon mari est en Turquie et il peut être expulsé en Syrie à tout moment. Si ça arrive, c’est fini, il sera tué. Et je suis trop fatiguée pour encore tout recommencer. J’essaie de le faire venir ici, mais les lois sont très difficiles. Les gens ici sont adorables et je me sens en sécurité. Y’a aussi tout le confort. C’est un bon pays pour vivre. Mais pas toute seule. Et ça fait 14 mois que je suis seule dans une petite chambre à penser à mon mari et je suis encore plus déprimée qu’au Liban.
Mon coeur est trop gonflé de souffrance. Quand je pense à tout ce que j’ai vécu, je pleure… Si les blessures n’étaient que sur la peau, elles pourraient se soigner. Mais mes blessures sont trop profondes. Malgré tout, je ressens encore fortement de l’espoir en moi et je suis prête à faire les efforts qu’il faut pour m’en sortir, faire venir mon mari et fonder une famille. Et je suis quelqu’un de très actif. Si j’y arrive, après je voudrais ouvrir un salon esthétique ici, et former des femmes qui ont subi des violences pour les aider. Un jour, Inchallah, j’oublierai toutes mes souffrances et je penserai seulement à mes moments heureux. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite de l’arabe