
« J’ai grandi dans un village magnifique de l’Atlas surnommé la Suisse du Maroc. Mais c’était isolé et socialement très fermé. Les gens là-bas ont beaucoup de rêves mais ils peuvent pas les réaliser. S’ils trouvent une occasion, ils partent. Moi j’avais toujours ce rêve de vivre en Europe. On avait des voisins et de la famille qui vivaient là-bas. L’été ils rentraient au Maroc et ils nous racontaient comment c’est. Qu’il y a plus de liberté, surtout pour les femmes, que chacun peut décider comme il veut. Pas comme ici où la famille donne des règles qu’il faut respecter. Au village, beaucoup de femmes restaient à la maison même si elles avaient fait des études.
Dans ma famille je suis la seule à avoir continué les études. C’était difficile de convaincre mon père d’étudier l’hôtellerie parce que c’est mal vu pour une femme. Mais une fois là-bas j’ai eu plus de liberté et j’ai fait beaucoup d’aventures. J’ai travaillé dans des hôtels, des festivals, j’ai même rencontré des stars ! Et personne me disait : pourquoi tu fais ceci ou cela ? J’étais de moins en moins timide, je commençais à ouvrir les yeux. Mais j’avais toujours ce rêve de quitter le Maroc. Mon père me disait : « Tu vas changer tes traditions là-bas. Reste ici ! » Quand il est tombé malade, je suis rentrée au village pour m’occuper de lui, jusqu’à son décès. Et après, j’ai trouvé un moyen pour partir.
J’ai accepté un travail pour une famille importante dans un pays du Golfe. Au début on m’a bien accueillie, on m’a donné une bonne chambre, un petit iPhone. Et j’ai commencé par travailler comme gouvernante pour la femme . Puis un jour son mari a tapé le cuisinier et le cuisinier est parti. Ils m’ont demandé de le remplacer. D’abord j’ai refusé parce que j’avais peur. Mais ils m’ont dit que c’était juste pour dépanner, alors j’ai accepté. En fait, je devais cuisiner pour presque 25 personnes chaque jour. Je commençais dès 6h et j’avais aucun jour de congé. Ils m’obligeaient de porter le foulard et les vêtements jusqu’en bas tout le temps, même si je cuisinais seule à la maison.
Le mari avait des régimes spéciaux jusqu’au gramme près. Si je faisais pas comme il voulait, il commençait à hurler très fort, à m’insulter des choses graves. Parfois je devais préparer 50 pigeons toute seule. Mes mains devenaient noires à causes des grillades. Les employées des Philippines, il les attrapait par les cheveux et il les tapait. Il y avait aussi des Indiens à qui il a pris le passeport et qui ne sont pas partis depuis 5 ans. Un jour, il a fait venir 30 Africains pour travailler la terre. La terre était très sèche et les pauvres ne mangeaient qu’un seul repas par jour. C’était vraiment de l’esclavage. Mais on ne pouvait rien faire parce qu’il faisait partie d’une famille puissante.
Après j’ai entendu qu’il avait sorti un pistolet en pointant un des jeunes Africains parce qu’il voulait partir. Et là je me suis dit : stop, je dois m’en aller. J’avais supporté trop de choses, j’avais plus la capacité de continuer. Vraiment, c’était de l’esclavage. Mais c’était difficile de partir parce qu’ils avaient pris mon passeport. J’ai mis ma fierté de côté et j’ai commencé à pleurer, à les supplier. Mais ils ont pas voulu. Alors je leur ai dit que j’avais tout raconté à ma famille et qu’ils allaient faire un scandale et que tout le monde sur internet allait savoir ce qui se passe ici. Une semaine après j’étais rentrée au Maroc.
Cette expérience m’a donné beaucoup de courage pour partir en Europe. Je me suis dit que là-bas ça n’arriverait jamais. Après 2-3 ans j’ai trouvé un visa et un contrat dans un restaurant en France. Mais en fait c’était un passeur qui ramenait des gens avec des faux contrats. Une fois arrivée, il m’a dit que je dois me débrouiller. Je dormais dans un petit studio avec plein d’autres gens dans un quartier vraiment dangereux. On était comme des sardines, les gens fumaient du shit, prenaient de la drogue, se prostituaient. J’étais choquée. Une fille m’a dit : « Nous aussi on est venues comme toi. Change ton caractère, tes habits, commence à boire et oublie tout ça. » Mais j’arrivais pas.
J’avais jamais imaginé que c’était possible. J’étais traumatisée, je devenais folle. Je savais pas quoi faire, j’avais peur. J’avais donné tout mon argent au passeur, ma mère avait vendu des bijoux et fait un crédit. Et si j’allais voir la police ils allaient me renvoyer au Maroc. Après 1 mois, j’ai appelé une cousine qui vivait en France et je lui ai tout raconté. Elle est venue me chercher et m’a amenée en Suisse. En tout j’étais restée 1 mois, mais c’était comme 10 ans. La réalité était différente de ce que j’avais imaginé. L’Europe, c’est pas le paradis, c’est pas la liberté et l’argent.
Quand je suis arrivée à Genève, j’étais très triste, très perdue. Je savais même pas ce que j’allais faire. Je passais mon temps à pleurer. Je me disais : pourquoi ça m’arrive à moi ? C’est quoi cette vie toujours à me déplacer, sans maison, sans papiers ? C’est très difficile pour les sans papiers ici. Y’a des gens qui profitent de toi. J’ai déjà travaillé plusieurs fois sans être payée. Une fois, j’ai travaillé dans un restaurant qui me payait juste assez pour que je continue, jusqu’à ce que je sois épuisée. Parce qu’il savait que je pouvais pas aller à la police pour le dénoncer. Mais j’ai jamais touché les aides sociales. Moi je demande rien, juste une vie normale.
Heureusement, les choses commencent à s’améliorer. J’ai un petit travail déclaré et je commence à bien m’intégrer, à connaitre la culture, le système, les choses à respecter. J’ai quand même trouvé ce que je voulais ici. Je me sens en sécurité, surtout en tant que femme. Mon rêve maintenant c’est d’avoir les papiers et travailler avec les personnes âgées. Et ça fait partie de ma culture, chez nous on garde les grands-parents avec nous jusqu’à la fin. Pour moi ce sont comme des anges. J’ai une fille aussi maintenant et elle me donne un but. De me battre pour elle, pour pas qu’elle vive des choses mauvaises comme moi. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite en partie de l’arabe

« J’ai grandi dans un village magnifique de l’Atlas surnommé la Suisse du Maroc. Mais c’était isolé et socialement très fermé. Les gens là-bas ont beaucoup de rêves mais ils peuvent pas les réaliser. S’ils trouvent une occasion, ils partent. Moi j’avais toujours ce rêve de vivre en Europe. On avait des voisins et de la famille qui vivaient là-bas. L’été ils rentraient au Maroc et ils nous racontaient comment c’est. Qu’il y a plus de liberté, surtout pour les femmes, que chacun peut décider comme il veut. Pas comme ici où la famille donne des règles qu’il faut respecter. Au village, beaucoup de femmes restaient à la maison même si elles avaient fait des études.
Dans ma famille je suis la seule à avoir continué les études. C’était difficile de convaincre mon père d’étudier l’hôtellerie parce que c’est mal vu pour une femme. Mais une fois là-bas j’ai eu plus de liberté et j’ai fait beaucoup d’aventures. J’ai travaillé dans des hôtels, des festivals, j’ai même rencontré des stars ! Et personne me disait : pourquoi tu fais ceci ou cela ? J’étais de moins en moins timide, je commençais à ouvrir les yeux. Mais j’avais toujours ce rêve de quitter le Maroc. Mon père me disait : « Tu vas changer tes traditions là-bas. Reste ici ! » Quand il est tombé malade, je suis rentrée au village pour m’occuper de lui, jusqu’à son décès. Et après, j’ai trouvé un moyen pour partir.
J’ai accepté un travail pour une famille importante dans un pays du Golfe. Au début on m’a bien accueillie, on m’a donné une bonne chambre, un petit iPhone. Et j’ai commencé par travailler comme gouvernante pour la femme . Puis un jour son mari a tapé le cuisinier et le cuisinier est parti. Ils m’ont demandé de le remplacer. D’abord j’ai refusé parce que j’avais peur. Mais ils m’ont dit que c’était juste pour dépanner, alors j’ai accepté. En fait, je devais cuisiner pour presque 25 personnes chaque jour. Je commençais dès 6h et j’avais aucun jour de congé. Ils m’obligeaient de porter le foulard et les vêtements jusqu’en bas tout le temps, même si je cuisinais seule à la maison.
Le mari avait des régimes spéciaux jusqu’au gramme près. Si je faisais pas comme il voulait, il commençait à hurler très fort, à m’insulter des choses graves. Parfois je devais préparer 50 pigeons toute seule. Mes mains devenaient noires à causes des grillades. Les employées des Philippines, il les attrapait par les cheveux et il les tapait. Il y avait aussi des Indiens à qui il a pris le passeport et qui ne sont pas partis depuis 5 ans. Un jour, il a fait venir 30 Africains pour travailler la terre. La terre était très sèche et les pauvres ne mangeaient qu’un seul repas par jour. C’était vraiment de l’esclavage. Mais on ne pouvait rien faire parce qu’il faisait partie d’une famille puissante.
Après j’ai entendu qu’il avait sorti un pistolet en pointant un des jeunes Africains parce qu’il voulait partir. Et là je me suis dit : stop, je dois m’en aller. J’avais supporté trop de choses, j’avais plus la capacité de continuer. Vraiment, c’était de l’esclavage. Mais c’était difficile de partir parce qu’ils avaient pris mon passeport. J’ai mis ma fierté de côté et j’ai commencé à pleurer, à les supplier. Mais ils ont pas voulu. Alors je leur ai dit que j’avais tout raconté à ma famille et qu’ils allaient faire un scandale et que tout le monde sur internet allait savoir ce qui se passe ici. Une semaine après j’étais rentrée au Maroc.
Cette expérience m’a donné beaucoup de courage pour partir en Europe. Je me suis dit que là-bas ça n’arriverait jamais. Après 2-3 ans j’ai trouvé un visa et un contrat dans un restaurant en France. Mais en fait c’était un passeur qui ramenait des gens avec des faux contrats. Une fois arrivée, il m’a dit que je dois me débrouiller. Je dormais dans un petit studio avec plein d’autres gens dans un quartier vraiment dangereux. On était comme des sardines, les gens fumaient du shit, prenaient de la drogue, se prostituaient. J’étais choquée. Une fille m’a dit : « Nous aussi on est venues comme toi. Change ton caractère, tes habits, commence à boire et oublie tout ça. » Mais j’arrivais pas.
J’avais jamais imaginé que c’était possible. J’étais traumatisée, je devenais folle. Je savais pas quoi faire, j’avais peur. J’avais donné tout mon argent au passeur, ma mère avait vendu des bijoux et fait un crédit. Et si j’allais voir la police ils allaient me renvoyer au Maroc. Après 1 mois, j’ai appelé une cousine qui vivait en France et je lui ai tout raconté. Elle est venue me chercher et m’a amenée en Suisse. En tout j’étais restée 1 mois, mais c’était comme 10 ans. La réalité était différente de ce que j’avais imaginé. L’Europe, c’est pas le paradis, c’est pas la liberté et l’argent.
Quand je suis arrivée à Genève, j’étais très triste, très perdue. Je savais même pas ce que j’allais faire. Je passais mon temps à pleurer. Je me disais : pourquoi ça m’arrive à moi ? C’est quoi cette vie toujours à me déplacer, sans maison, sans papiers ? C’est très difficile pour les sans papiers ici. Y’a des gens qui profitent de toi. J’ai déjà travaillé plusieurs fois sans être payée. Une fois, j’ai travaillé dans un restaurant qui me payait juste assez pour que je continue, jusqu’à ce que je sois épuisée. Parce qu’il savait que je pouvais pas aller à la police pour le dénoncer. Mais j’ai jamais touché les aides sociales. Moi je demande rien, juste une vie normale.
Heureusement, les choses commencent à s’améliorer. J’ai un petit travail déclaré et je commence à bien m’intégrer, à connaitre la culture, le système, les choses à respecter. J’ai quand même trouvé ce que je voulais ici. Je me sens en sécurité, surtout en tant que femme. Mon rêve maintenant c’est d’avoir les papiers et travailler avec les personnes âgées. Et ça fait partie de ma culture, chez nous on garde les grands-parents avec nous jusqu’à la fin. Pour moi ce sont comme des anges. J’ai une fille aussi maintenant et elle me donne un but. De me battre pour elle, pour pas qu’elle vive des choses mauvaises comme moi. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite en partie de l’arabe
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« J’ai grandi dans un village magnifique de l’Atlas surnommé la Suisse du Maroc. Mais c’était isolé et socialement très fermé. Les gens là-bas ont beaucoup de rêves mais ils peuvent pas les réaliser. S’ils trouvent une occasion, ils partent. Moi j’avais toujours ce rêve de vivre en Europe. On avait des voisins et de la famille qui vivaient là-bas. L’été ils rentraient au Maroc et ils nous racontaient comment c’est. Qu’il y a plus de liberté, surtout pour les femmes, que chacun peut décider comme il veut. Pas comme ici où la famille donne des règles qu’il faut respecter. Au village, beaucoup de femmes restaient à la maison même si elles avaient fait des études.
Dans ma famille je suis la seule à avoir continué les études. C’était difficile de convaincre mon père d’étudier l’hôtellerie parce que c’est mal vu pour une femme. Mais une fois là-bas j’ai eu plus de liberté et j’ai fait beaucoup d’aventures. J’ai travaillé dans des hôtels, des festivals, j’ai même rencontré des stars ! Et personne me disait : pourquoi tu fais ceci ou cela ? J’étais de moins en moins timide, je commençais à ouvrir les yeux. Mais j’avais toujours ce rêve de quitter le Maroc. Mon père me disait : « Tu vas changer tes traditions là-bas. Reste ici ! » Quand il est tombé malade, je suis rentrée au village pour m’occuper de lui, jusqu’à son décès. Et après, j’ai trouvé un moyen pour partir.
J’ai accepté un travail pour une famille importante dans un pays du Golfe. Au début on m’a bien accueillie, on m’a donné une bonne chambre, un petit iPhone. Et j’ai commencé par travailler comme gouvernante pour la femme . Puis un jour son mari a tapé le cuisinier et le cuisinier est parti. Ils m’ont demandé de le remplacer. D’abord j’ai refusé parce que j’avais peur. Mais ils m’ont dit que c’était juste pour dépanner, alors j’ai accepté. En fait, je devais cuisiner pour presque 25 personnes chaque jour. Je commençais dès 6h et j’avais aucun jour de congé. Ils m’obligeaient de porter le foulard et les vêtements jusqu’en bas tout le temps, même si je cuisinais seule à la maison.
Le mari avait des régimes spéciaux jusqu’au gramme près. Si je faisais pas comme il voulait, il commençait à hurler très fort, à m’insulter des choses graves. Parfois je devais préparer 50 pigeons toute seule. Mes mains devenaient noires à causes des grillades. Les employées des Philippines, il les attrapait par les cheveux et il les tapait. Il y avait aussi des Indiens à qui il a pris le passeport et qui ne sont pas partis depuis 5 ans. Un jour, il a fait venir 30 Africains pour travailler la terre. La terre était très sèche et les pauvres ne mangeaient qu’un seul repas par jour. C’était vraiment de l’esclavage. Mais on ne pouvait rien faire parce qu’il faisait partie d’une famille puissante.
Après j’ai entendu qu’il avait sorti un pistolet en pointant un des jeunes Africains parce qu’il voulait partir. Et là je me suis dit : stop, je dois m’en aller. J’avais supporté trop de choses, j’avais plus la capacité de continuer. Vraiment, c’était de l’esclavage. Mais c’était difficile de partir parce qu’ils avaient pris mon passeport. J’ai mis ma fierté de côté et j’ai commencé à pleurer, à les supplier. Mais ils ont pas voulu. Alors je leur ai dit que j’avais tout raconté à ma famille et qu’ils allaient faire un scandale et que tout le monde sur internet allait savoir ce qui se passe ici. Une semaine après j’étais rentrée au Maroc.
Cette expérience m’a donné beaucoup de courage pour partir en Europe. Je me suis dit que là-bas ça n’arriverait jamais. Après 2-3 ans j’ai trouvé un visa et un contrat dans un restaurant en France. Mais en fait c’était un passeur qui ramenait des gens avec des faux contrats. Une fois arrivée, il m’a dit que je dois me débrouiller. Je dormais dans un petit studio avec plein d’autres gens dans un quartier vraiment dangereux. On était comme des sardines, les gens fumaient du shit, prenaient de la drogue, se prostituaient. J’étais choquée. Une fille m’a dit : « Nous aussi on est venues comme toi. Change ton caractère, tes habits, commence à boire et oublie tout ça. » Mais j’arrivais pas.
J’avais jamais imaginé que c’était possible. J’étais traumatisée, je devenais folle. Je savais pas quoi faire, j’avais peur. J’avais donné tout mon argent au passeur, ma mère avait vendu des bijoux et fait un crédit. Et si j’allais voir la police ils allaient me renvoyer au Maroc. Après 1 mois, j’ai appelé une cousine qui vivait en France et je lui ai tout raconté. Elle est venue me chercher et m’a amenée en Suisse. En tout j’étais restée 1 mois, mais c’était comme 10 ans. La réalité était différente de ce que j’avais imaginé. L’Europe, c’est pas le paradis, c’est pas la liberté et l’argent.
Quand je suis arrivée à Genève, j’étais très triste, très perdue. Je savais même pas ce que j’allais faire. Je passais mon temps à pleurer. Je me disais : pourquoi ça m’arrive à moi ? C’est quoi cette vie toujours à me déplacer, sans maison, sans papiers ? C’est très difficile pour les sans papiers ici. Y’a des gens qui profitent de toi. J’ai déjà travaillé plusieurs fois sans être payée. Une fois, j’ai travaillé dans un restaurant qui me payait juste assez pour que je continue, jusqu’à ce que je sois épuisée. Parce qu’il savait que je pouvais pas aller à la police pour le dénoncer. Mais j’ai jamais touché les aides sociales. Moi je demande rien, juste une vie normale.
Heureusement, les choses commencent à s’améliorer. J’ai un petit travail déclaré et je commence à bien m’intégrer, à connaitre la culture, le système, les choses à respecter. J’ai quand même trouvé ce que je voulais ici. Je me sens en sécurité, surtout en tant que femme. Mon rêve maintenant c’est d’avoir les papiers et travailler avec les personnes âgées. Et ça fait partie de ma culture, chez nous on garde les grands-parents avec nous jusqu’à la fin. Pour moi ce sont comme des anges. J’ai une fille aussi maintenant et elle me donne un but. De me battre pour elle, pour pas qu’elle vive des choses mauvaises comme moi. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite en partie de l’arabe

« J’ai grandi dans un village magnifique de l’Atlas surnommé la Suisse du Maroc. Mais c’était isolé et socialement très fermé. Les gens là-bas ont beaucoup de rêves mais ils peuvent pas les réaliser. S’ils trouvent une occasion, ils partent. Moi j’avais toujours ce rêve de vivre en Europe. On avait des voisins et de la famille qui vivaient là-bas. L’été ils rentraient au Maroc et ils nous racontaient comment c’est. Qu’il y a plus de liberté, surtout pour les femmes, que chacun peut décider comme il veut. Pas comme ici où la famille donne des règles qu’il faut respecter. Au village, beaucoup de femmes restaient à la maison même si elles avaient fait des études.
Dans ma famille je suis la seule à avoir continué les études. C’était difficile de convaincre mon père d’étudier l’hôtellerie parce que c’est mal vu pour une femme. Mais une fois là-bas j’ai eu plus de liberté et j’ai fait beaucoup d’aventures. J’ai travaillé dans des hôtels, des festivals, j’ai même rencontré des stars ! Et personne me disait : pourquoi tu fais ceci ou cela ? J’étais de moins en moins timide, je commençais à ouvrir les yeux. Mais j’avais toujours ce rêve de quitter le Maroc. Mon père me disait : « Tu vas changer tes traditions là-bas. Reste ici ! » Quand il est tombé malade, je suis rentrée au village pour m’occuper de lui, jusqu’à son décès. Et après, j’ai trouvé un moyen pour partir.
J’ai accepté un travail pour une famille importante dans un pays du Golfe. Au début on m’a bien accueillie, on m’a donné une bonne chambre, un petit iPhone. Et j’ai commencé par travailler comme gouvernante pour la femme . Puis un jour son mari a tapé le cuisinier et le cuisinier est parti. Ils m’ont demandé de le remplacer. D’abord j’ai refusé parce que j’avais peur. Mais ils m’ont dit que c’était juste pour dépanner, alors j’ai accepté. En fait, je devais cuisiner pour presque 25 personnes chaque jour. Je commençais dès 6h et j’avais aucun jour de congé. Ils m’obligeaient de porter le foulard et les vêtements jusqu’en bas tout le temps, même si je cuisinais seule à la maison.
Le mari avait des régimes spéciaux jusqu’au gramme près. Si je faisais pas comme il voulait, il commençait à hurler très fort, à m’insulter des choses graves. Parfois je devais préparer 50 pigeons toute seule. Mes mains devenaient noires à causes des grillades. Les employées des Philippines, il les attrapait par les cheveux et il les tapait. Il y avait aussi des Indiens à qui il a pris le passeport et qui ne sont pas partis depuis 5 ans. Un jour, il a fait venir 30 Africains pour travailler la terre. La terre était très sèche et les pauvres ne mangeaient qu’un seul repas par jour. C’était vraiment de l’esclavage. Mais on ne pouvait rien faire parce qu’il faisait partie d’une famille puissante.
Après j’ai entendu qu’il avait sorti un pistolet en pointant un des jeunes Africains parce qu’il voulait partir. Et là je me suis dit : stop, je dois m’en aller. J’avais supporté trop de choses, j’avais plus la capacité de continuer. Vraiment, c’était de l’esclavage. Mais c’était difficile de partir parce qu’ils avaient pris mon passeport. J’ai mis ma fierté de côté et j’ai commencé à pleurer, à les supplier. Mais ils ont pas voulu. Alors je leur ai dit que j’avais tout raconté à ma famille et qu’ils allaient faire un scandale et que tout le monde sur internet allait savoir ce qui se passe ici. Une semaine après j’étais rentrée au Maroc.
Cette expérience m’a donné beaucoup de courage pour partir en Europe. Je me suis dit que là-bas ça n’arriverait jamais. Après 2-3 ans j’ai trouvé un visa et un contrat dans un restaurant en France. Mais en fait c’était un passeur qui ramenait des gens avec des faux contrats. Une fois arrivée, il m’a dit que je dois me débrouiller. Je dormais dans un petit studio avec plein d’autres gens dans un quartier vraiment dangereux. On était comme des sardines, les gens fumaient du shit, prenaient de la drogue, se prostituaient. J’étais choquée. Une fille m’a dit : « Nous aussi on est venues comme toi. Change ton caractère, tes habits, commence à boire et oublie tout ça. » Mais j’arrivais pas.
J’avais jamais imaginé que c’était possible. J’étais traumatisée, je devenais folle. Je savais pas quoi faire, j’avais peur. J’avais donné tout mon argent au passeur, ma mère avait vendu des bijoux et fait un crédit. Et si j’allais voir la police ils allaient me renvoyer au Maroc. Après 1 mois, j’ai appelé une cousine qui vivait en France et je lui ai tout raconté. Elle est venue me chercher et m’a amenée en Suisse. En tout j’étais restée 1 mois, mais c’était comme 10 ans. La réalité était différente de ce que j’avais imaginé. L’Europe, c’est pas le paradis, c’est pas la liberté et l’argent.
Quand je suis arrivée à Genève, j’étais très triste, très perdue. Je savais même pas ce que j’allais faire. Je passais mon temps à pleurer. Je me disais : pourquoi ça m’arrive à moi ? C’est quoi cette vie toujours à me déplacer, sans maison, sans papiers ? C’est très difficile pour les sans papiers ici. Y’a des gens qui profitent de toi. J’ai déjà travaillé plusieurs fois sans être payée. Une fois, j’ai travaillé dans un restaurant qui me payait juste assez pour que je continue, jusqu’à ce que je sois épuisée. Parce qu’il savait que je pouvais pas aller à la police pour le dénoncer. Mais j’ai jamais touché les aides sociales. Moi je demande rien, juste une vie normale.
Heureusement, les choses commencent à s’améliorer. J’ai un petit travail déclaré et je commence à bien m’intégrer, à connaitre la culture, le système, les choses à respecter. J’ai quand même trouvé ce que je voulais ici. Je me sens en sécurité, surtout en tant que femme. Mon rêve maintenant c’est d’avoir les papiers et travailler avec les personnes âgées. Et ça fait partie de ma culture, chez nous on garde les grands-parents avec nous jusqu’à la fin. Pour moi ce sont comme des anges. J’ai une fille aussi maintenant et elle me donne un but. De me battre pour elle, pour pas qu’elle vive des choses mauvaises comme moi. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite en partie de l’arabe