« J’ai grandi en Syrie dans une ville très belle près de Qamichli, à la frontière avec la Turquie. Mon père possédait des champs et faisait pousser du coton, du blé, de l’orge… J’ai toujours eu un caractère très fort, je me disais : tu es une fille mais tu peux faire tout ce que font les garçons ! Dans notre famille, heureusement, la relation entre les filles et les garçons était égale. Mes deux parents étaient très ouverts d’esprit et ils m’ont donné beaucoup de courage pour continuer les études. J’ai toujours voulu être enseignante, alors je suis partie étudier la littérature anglaise à l’université d’Alep. J’étais la première fille de ma ville à aller à l’université ! Mes parents étaient très fiers.

Mais je suis kurde et il y avait beaucoup de discriminations contre nous. C’était interdit de dire qu’on était kurde, de mentionner le Kurdistan, ou même de parler kurde à l’école. On devait toujours faire très attention. Après l’université, j’ai passé un concours pour devenir enseignante. Le jour des résultats, mon nom était sur la liste de ceux qui ont réussi. Mais dès le lendemain, mon nom avait disparu. Je suis allée partout, j’ai demandé à tout le monde : «  Dites-moi pourquoi ?  » Au début personne ne m’a rien dit. Puis un employé de l’éducation m’a dit qu’il y avait des rapports contre moi, parce que je faisais partie d’un parti kurde contre l’Etat. Ils pensaient que j’étais dangereuse.

Pendant 10 ans j’ai enseigné dans une école privée, tout en essayant de faire enlever ces rapports. Et après 10 ans j’ai payé quelqu’un pour obtenir mon diplôme et j’ai pu enseigner dans une école publique. J’aimais beaucoup enseigner, j’avais de très bonnes relations avec mes élèves et mes collègues. Après quelques années j’ai même été directrice. Mais la sécurité de l’Etat venait régulièrement surveiller que personne ne parle kurde. Je répétais à mes élèves de faire très attention. Mais c’est difficile, si j’entends une personne qui parle kurde, immédiatement je lui parle en kurde. La langue est très importante pour nous. Elle est connectée avec nos traditions, avec beaucoup d’aspects de notre culture.

Puis la guerre a commencé. On n’était pas en sécurité et on avait peur. On ne pouvait plus sortir comme d’habitude, et l’école était fermée. Heureusement, les forces kurdes ont protégé la ville après beaucoup de batailles et le gouvernement syrien leur a laissé une partie de la région kurde parce qu’il y avait trop de conflits ailleurs, et ça s’appelle maintenant le Rojava. Mais le plus grand danger pour nous c’était Daesh. Chaque jour ils attaquaient des villes à côté. On était sûrs qu’ils allaient arriver chez nous un jour donc notre valise était toujours prête. Une fois, ils étaient juste à 10 minutes. Il y a eu une grande bataille, et heureusement les Kurdes ont gagné.

Ma famille avait une maison dans une ville qui était déjà contrôlée par Daesh. Tous nos papiers d’identité et nos documents étaient là-bas et Daesh les avait trouvés et ils ont vu qu’on était kurdes. Des amis arabes nous ont dit que Daesh nous recherchait, qu’ils demandaient aux gens où nous trouver. Ils avaient déjà tué ma cousine de 24 ans qui travaillait à l’hôpital là-bas. Chaque jour, Daesh se rapprochait de nous. Alors on a décidé de partir. On a dû tout abandonner du jour au lendemain. Les maisons, les champs, notre travail. On est partis seulement avec une petite valise. On a tout laissé derrière nous, nos amis, nos proches, et nos souvenirs. 

On a payé un passeur pour nous faire passer la frontière en Turquie. Je me rappelle qu’on a dû traverser des barbelés, on avait les vêtements déchirés et les genoux en sang. Une fois de l’autre côté, la police turque nous a arrêtés et mis en prison. Heureusement des proches sont venus et ont payé pour nous libérer. Et surtout, une nouvelle loi sur le regroupement familial venait de passer en Suisse. Mon frère habitait déjà ici et donc on a pu le rejoindre. Aujourd’hui, il n’y a presque plus personne que je connais là-bas. Chaque jour je parle avec ceux qui sont encore là-bas… et la vie est très très dure. Si je rentrais, je ne retrouverais pas la ville que j’ai quittée.

J’étais déjà venue à Genève comme touriste quelques années auparavant. J’avais fait tout un tour en Europe et dans presque toute la Suisse ! Mais c’était très différent quand je suis arrivée la deuxième fois. Je suis arrivée parce que j’avais pas le choix. J’étais très triste. Mais en même temps j’étais contente d’être en sécurité. Nous on pensait que la guerre serait finie après 1 ou 2 ans et qu’on pourrait rentrer. Heureusement, le gouvernement ici est très bien avec les réfugiés. Mais c’est très difficile de trouver un travail. Je veux pas rester à la maison. J’ai toujours travaillé !

J’aime enseigner, être avec les élèves. Mon diplôme d’enseignante a été reconnu, j’ai fait des formations, beaucoup de bénévolat et d’emplois temporaires. J’ai postulé a plein d’emplois fixes, mais j’ai rien obtenu. Je sais pas pourquoi. Je sais que je suis réfugiée ici, mais j’aimerais avoir un travail et être avec les élèves. Pas comme directrice, mais au moins un emploi fixe. Récemment j’ai trouvé un travail temporaire dans un restaurant scolaire à servir les repas. Je ne pouvais pas être enseignante, mais au moins je suis avec les élèves. C’est difficile. Mais je continue de frapper aux portes, et peut-être qu’une porte s’ouvrira. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite en partie de l’arabe

« J’ai grandi en Syrie dans une ville très belle près de Qamichli, à la frontière avec la Turquie. Mon père possédait des champs et faisait pousser du coton, du blé, de l’orge… J’ai toujours eu un caractère très fort, je me disais : tu es une fille mais tu peux faire tout ce que font les garçons ! Dans notre famille, heureusement, la relation entre les filles et les garçons était égale. Mes deux parents étaient très ouverts d’esprit et ils m’ont donné beaucoup de courage pour continuer les études. J’ai toujours voulu être enseignante, alors je suis partie étudier la littérature anglaise à l’université d’Alep. J’étais la première fille de ma ville à aller à l’université ! Mes parents étaient très fiers.

Mais je suis kurde et il y avait beaucoup de discriminations contre nous. C’était interdit de dire qu’on était kurde, de mentionner le Kurdistan, ou même de parler kurde à l’école. On devait toujours faire très attention. Après l’université, j’ai passé un concours pour devenir enseignante. Le jour des résultats, mon nom était sur la liste de ceux qui ont réussi. Mais dès le lendemain, mon nom avait disparu. Je suis allée partout, j’ai demandé à tout le monde : «  Dites-moi pourquoi ?  » Au début personne ne m’a rien dit. Puis un employé de l’éducation m’a dit qu’il y avait des rapports contre moi, parce que je faisais partie d’un parti kurde contre l’Etat. Ils pensaient que j’étais dangereuse.

Pendant 10 ans j’ai enseigné dans une école privée, tout en essayant de faire enlever ces rapports. Et après 10 ans j’ai payé quelqu’un pour obtenir mon diplôme et j’ai pu enseigner dans une école publique. J’aimais beaucoup enseigner, j’avais de très bonnes relations avec mes élèves et mes collègues. Après quelques années j’ai même été directrice. Mais la sécurité de l’Etat venait régulièrement surveiller que personne ne parle kurde. Je répétais à mes élèves de faire très attention. Mais c’est difficile, si j’entends une personne qui parle kurde, immédiatement je lui parle en kurde. La langue est très importante pour nous. Elle est connectée avec nos traditions, avec beaucoup d’aspects de notre culture.

Puis la guerre a commencé. On n’était pas en sécurité et on avait peur. On ne pouvait plus sortir comme d’habitude, et l’école était fermée. Heureusement, les forces kurdes ont protégé la ville après beaucoup de batailles et le gouvernement syrien leur a laissé une partie de la région kurde parce qu’il y avait trop de conflits ailleurs, et ça s’appelle maintenant le Rojava. Mais le plus grand danger pour nous c’était Daesh. Chaque jour ils attaquaient des villes à côté. On était sûrs qu’ils allaient arriver chez nous un jour donc notre valise était toujours prête. Une fois, ils étaient juste à 10 minutes. Il y a eu une grande bataille, et heureusement les Kurdes ont gagné.

Ma famille avait une maison dans une ville qui était déjà contrôlée par Daesh. Tous nos papiers d’identité et nos documents étaient là-bas et Daesh les avait trouvés et ils ont vu qu’on était kurdes. Des amis arabes nous ont dit que Daesh nous recherchait, qu’ils demandaient aux gens où nous trouver. Ils avaient déjà tué ma cousine de 24 ans qui travaillait à l’hôpital là-bas. Chaque jour, Daesh se rapprochait de nous. Alors on a décidé de partir. On a dû tout abandonner du jour au lendemain. Les maisons, les champs, notre travail. On est partis seulement avec une petite valise. On a tout laissé derrière nous, nos amis, nos proches, et nos souvenirs.

On a payé un passeur pour nous faire passer la frontière en Turquie. Je me rappelle qu’on a dû traverser des barbelés, on avait les vêtements déchirés et les genoux en sang. Une fois de l’autre côté, la police turque nous a arrêtés et mis en prison. Heureusement des proches sont venus et ont payé pour nous libérer. Et surtout, une nouvelle loi sur le regroupement familial venait de passer en Suisse. Mon frère habitait déjà ici et donc on a pu le rejoindre. Aujourd’hui, il n’y a presque plus personne que je connais là-bas. Chaque jour je parle avec ceux qui sont encore là-bas… et la vie est très très dure. Si je rentrais, je ne retrouverais pas la ville que j’ai quittée.

J’étais déjà venue à Genève comme touriste quelques années auparavant. J’avais fait tout un tour en Europe et dans presque toute la Suisse ! Mais c’était très différent quand je suis arrivée la deuxième fois. Je suis arrivée parce que j’avais pas le choix. J’étais très triste. Mais en même temps j’étais contente d’être en sécurité. Nous on pensait que la guerre serait finie après 1 ou 2 ans et qu’on pourrait rentrer. Heureusement, le gouvernement ici est très bien avec les réfugiés. Mais c’est très difficile de trouver un travail. Je veux pas rester à la maison. J’ai toujours travaillé !

J’aime enseigner, être avec les élèves. Mon diplôme d’enseignante a été reconnu, j’ai fait des formations, beaucoup de bénévolat et d’emplois temporaires. J’ai postulé a plein d’emplois fixes, mais j’ai rien obtenu. Je sais pas pourquoi. Je sais que je suis réfugiée ici, mais j’aimerais avoir un travail et être avec les élèves. Pas comme directrice, mais au moins un emploi fixe. Récemment j’ai trouvé un travail temporaire dans un restaurant scolaire à servir les repas. Je ne pouvais pas être enseignante, mais au moins je suis avec les élèves. C’est difficile. Mais je continue de frapper aux portes, et peut-être qu’une porte s’ouvrira. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite en partie de l’arabe

Publié le: 14 octobre 2022

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« J’ai grandi en Syrie dans une ville très belle près de Qamichli, à la frontière avec la Turquie. Mon père possédait des champs et faisait pousser du coton, du blé, de l’orge… J’ai toujours eu un caractère très fort, je me disais : tu es une fille mais tu peux faire tout ce que font les garçons ! Dans notre famille, heureusement, la relation entre les filles et les garçons était égale. Mes deux parents étaient très ouverts d’esprit et ils m’ont donné beaucoup de courage pour continuer les études. J’ai toujours voulu être enseignante, alors je suis partie étudier la littérature anglaise à l’université d’Alep. J’étais la première fille de ma ville à aller à l’université ! Mes parents étaient très fiers.

Mais je suis kurde et il y avait beaucoup de discriminations contre nous. C’était interdit de dire qu’on était kurde, de mentionner le Kurdistan, ou même de parler kurde à l’école. On devait toujours faire très attention. Après l’université, j’ai passé un concours pour devenir enseignante. Le jour des résultats, mon nom était sur la liste de ceux qui ont réussi. Mais dès le lendemain, mon nom avait disparu. Je suis allée partout, j’ai demandé à tout le monde : «  Dites-moi pourquoi ?  » Au début personne ne m’a rien dit. Puis un employé de l’éducation m’a dit qu’il y avait des rapports contre moi, parce que je faisais partie d’un parti kurde contre l’Etat. Ils pensaient que j’étais dangereuse.

Pendant 10 ans j’ai enseigné dans une école privée, tout en essayant de faire enlever ces rapports. Et après 10 ans j’ai payé quelqu’un pour obtenir mon diplôme et j’ai pu enseigner dans une école publique. J’aimais beaucoup enseigner, j’avais de très bonnes relations avec mes élèves et mes collègues. Après quelques années j’ai même été directrice. Mais la sécurité de l’Etat venait régulièrement surveiller que personne ne parle kurde. Je répétais à mes élèves de faire très attention. Mais c’est difficile, si j’entends une personne qui parle kurde, immédiatement je lui parle en kurde. La langue est très importante pour nous. Elle est connectée avec nos traditions, avec beaucoup d’aspects de notre culture.

Puis la guerre a commencé. On n’était pas en sécurité et on avait peur. On ne pouvait plus sortir comme d’habitude, et l’école était fermée. Heureusement, les forces kurdes ont protégé la ville après beaucoup de batailles et le gouvernement syrien leur a laissé une partie de la région kurde parce qu’il y avait trop de conflits ailleurs, et ça s’appelle maintenant le Rojava. Mais le plus grand danger pour nous c’était Daesh. Chaque jour ils attaquaient des villes à côté. On était sûrs qu’ils allaient arriver chez nous un jour donc notre valise était toujours prête. Une fois, ils étaient juste à 10 minutes. Il y a eu une grande bataille, et heureusement les Kurdes ont gagné.

Ma famille avait une maison dans une ville qui était déjà contrôlée par Daesh. Tous nos papiers d’identité et nos documents étaient là-bas et Daesh les avait trouvés et ils ont vu qu’on était kurdes. Des amis arabes nous ont dit que Daesh nous recherchait, qu’ils demandaient aux gens où nous trouver. Ils avaient déjà tué ma cousine de 24 ans qui travaillait à l’hôpital là-bas. Chaque jour, Daesh se rapprochait de nous. Alors on a décidé de partir. On a dû tout abandonner du jour au lendemain. Les maisons, les champs, notre travail. On est partis seulement avec une petite valise. On a tout laissé derrière nous, nos amis, nos proches, et nos souvenirs. 

On a payé un passeur pour nous faire passer la frontière en Turquie. Je me rappelle qu’on a dû traverser des barbelés, on avait les vêtements déchirés et les genoux en sang. Une fois de l’autre côté, la police turque nous a arrêtés et mis en prison. Heureusement des proches sont venus et ont payé pour nous libérer. Et surtout, une nouvelle loi sur le regroupement familial venait de passer en Suisse. Mon frère habitait déjà ici et donc on a pu le rejoindre. Aujourd’hui, il n’y a presque plus personne que je connais là-bas. Chaque jour je parle avec ceux qui sont encore là-bas… et la vie est très très dure. Si je rentrais, je ne retrouverais pas la ville que j’ai quittée.

J’étais déjà venue à Genève comme touriste quelques années auparavant. J’avais fait tout un tour en Europe et dans presque toute la Suisse ! Mais c’était très différent quand je suis arrivée la deuxième fois. Je suis arrivée parce que j’avais pas le choix. J’étais très triste. Mais en même temps j’étais contente d’être en sécurité. Nous on pensait que la guerre serait finie après 1 ou 2 ans et qu’on pourrait rentrer. Heureusement, le gouvernement ici est très bien avec les réfugiés. Mais c’est très difficile de trouver un travail. Je veux pas rester à la maison. J’ai toujours travaillé !

J’aime enseigner, être avec les élèves. Mon diplôme d’enseignante a été reconnu, j’ai fait des formations, beaucoup de bénévolat et d’emplois temporaires. J’ai postulé a plein d’emplois fixes, mais j’ai rien obtenu. Je sais pas pourquoi. Je sais que je suis réfugiée ici, mais j’aimerais avoir un travail et être avec les élèves. Pas comme directrice, mais au moins un emploi fixe. Récemment j’ai trouvé un travail temporaire dans un restaurant scolaire à servir les repas. Je ne pouvais pas être enseignante, mais au moins je suis avec les élèves. C’est difficile. Mais je continue de frapper aux portes, et peut-être qu’une porte s’ouvrira. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite en partie de l’arabe

« J’ai grandi en Syrie dans une ville très belle près de Qamichli, à la frontière avec la Turquie. Mon père possédait des champs et faisait pousser du coton, du blé, de l’orge… J’ai toujours eu un caractère très fort, je me disais : tu es une fille mais tu peux faire tout ce que font les garçons ! Dans notre famille, heureusement, la relation entre les filles et les garçons était égale. Mes deux parents étaient très ouverts d’esprit et ils m’ont donné beaucoup de courage pour continuer les études. J’ai toujours voulu être enseignante, alors je suis partie étudier la littérature anglaise à l’université d’Alep. J’étais la première fille de ma ville à aller à l’université ! Mes parents étaient très fiers.

Mais je suis kurde et il y avait beaucoup de discriminations contre nous. C’était interdit de dire qu’on était kurde, de mentionner le Kurdistan, ou même de parler kurde à l’école. On devait toujours faire très attention. Après l’université, j’ai passé un concours pour devenir enseignante. Le jour des résultats, mon nom était sur la liste de ceux qui ont réussi. Mais dès le lendemain, mon nom avait disparu. Je suis allée partout, j’ai demandé à tout le monde : «  Dites-moi pourquoi ?  » Au début personne ne m’a rien dit. Puis un employé de l’éducation m’a dit qu’il y avait des rapports contre moi, parce que je faisais partie d’un parti kurde contre l’Etat. Ils pensaient que j’étais dangereuse.

Pendant 10 ans j’ai enseigné dans une école privée, tout en essayant de faire enlever ces rapports. Et après 10 ans j’ai payé quelqu’un pour obtenir mon diplôme et j’ai pu enseigner dans une école publique. J’aimais beaucoup enseigner, j’avais de très bonnes relations avec mes élèves et mes collègues. Après quelques années j’ai même été directrice. Mais la sécurité de l’Etat venait régulièrement surveiller que personne ne parle kurde. Je répétais à mes élèves de faire très attention. Mais c’est difficile, si j’entends une personne qui parle kurde, immédiatement je lui parle en kurde. La langue est très importante pour nous. Elle est connectée avec nos traditions, avec beaucoup d’aspects de notre culture.

Puis la guerre a commencé. On n’était pas en sécurité et on avait peur. On ne pouvait plus sortir comme d’habitude, et l’école était fermée. Heureusement, les forces kurdes ont protégé la ville après beaucoup de batailles et le gouvernement syrien leur a laissé une partie de la région kurde parce qu’il y avait trop de conflits ailleurs, et ça s’appelle maintenant le Rojava. Mais le plus grand danger pour nous c’était Daesh. Chaque jour ils attaquaient des villes à côté. On était sûrs qu’ils allaient arriver chez nous un jour donc notre valise était toujours prête. Une fois, ils étaient juste à 10 minutes. Il y a eu une grande bataille, et heureusement les Kurdes ont gagné.

Ma famille avait une maison dans une ville qui était déjà contrôlée par Daesh. Tous nos papiers d’identité et nos documents étaient là-bas et Daesh les avait trouvés et ils ont vu qu’on était kurdes. Des amis arabes nous ont dit que Daesh nous recherchait, qu’ils demandaient aux gens où nous trouver. Ils avaient déjà tué ma cousine de 24 ans qui travaillait à l’hôpital là-bas. Chaque jour, Daesh se rapprochait de nous. Alors on a décidé de partir. On a dû tout abandonner du jour au lendemain. Les maisons, les champs, notre travail. On est partis seulement avec une petite valise. On a tout laissé derrière nous, nos amis, nos proches, et nos souvenirs.

On a payé un passeur pour nous faire passer la frontière en Turquie. Je me rappelle qu’on a dû traverser des barbelés, on avait les vêtements déchirés et les genoux en sang. Une fois de l’autre côté, la police turque nous a arrêtés et mis en prison. Heureusement des proches sont venus et ont payé pour nous libérer. Et surtout, une nouvelle loi sur le regroupement familial venait de passer en Suisse. Mon frère habitait déjà ici et donc on a pu le rejoindre. Aujourd’hui, il n’y a presque plus personne que je connais là-bas. Chaque jour je parle avec ceux qui sont encore là-bas… et la vie est très très dure. Si je rentrais, je ne retrouverais pas la ville que j’ai quittée.

J’étais déjà venue à Genève comme touriste quelques années auparavant. J’avais fait tout un tour en Europe et dans presque toute la Suisse ! Mais c’était très différent quand je suis arrivée la deuxième fois. Je suis arrivée parce que j’avais pas le choix. J’étais très triste. Mais en même temps j’étais contente d’être en sécurité. Nous on pensait que la guerre serait finie après 1 ou 2 ans et qu’on pourrait rentrer. Heureusement, le gouvernement ici est très bien avec les réfugiés. Mais c’est très difficile de trouver un travail. Je veux pas rester à la maison. J’ai toujours travaillé !

J’aime enseigner, être avec les élèves. Mon diplôme d’enseignante a été reconnu, j’ai fait des formations, beaucoup de bénévolat et d’emplois temporaires. J’ai postulé a plein d’emplois fixes, mais j’ai rien obtenu. Je sais pas pourquoi. Je sais que je suis réfugiée ici, mais j’aimerais avoir un travail et être avec les élèves. Pas comme directrice, mais au moins un emploi fixe. Récemment j’ai trouvé un travail temporaire dans un restaurant scolaire à servir les repas. Je ne pouvais pas être enseignante, mais au moins je suis avec les élèves. C’est difficile. Mais je continue de frapper aux portes, et peut-être qu’une porte s’ouvrira. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Des frontières et des femmes », réalisée en partenariat avec l’APDH. | Traduite en partie de l’arabe

Publié le: 14 octobre 2022

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