Partie 1/2

« Ma famille était toujours entre les crédits et les obligations de paiements. Mon père était conducteur de tracteur et ma mère avait 3 emplois à la fois. C’était la pauvreté extrême. On vivait en Sibérie, dans une petite ville de 20’000 habitants. Depuis longtemps, la Sibérie est un lieu de katorga [bagnes], et cette culture de la prison s’est conservée. C’était impossible par exemple de parler de sexualité avec ses parents ou pour les filles de parler de leurs règles. Et si tu es homosexuel là-bas, tu es une personne littéralement inférieure. C’était quelque chose d’inacceptable. Il n’y avait aucune tolérance. Et moi j’ai grandi au milieu de cette culture, dans une solitude totale.

J’ai toujours senti que j’étais différente. Depuis mon premier souvenir à 4 ans, je me rappelle que je voulais coudre des robes, danser et chanter. Et pas me battre et jouer à la guerre. Tout chez moi était différent : ma voix, mon comportement, mes habits. Tout. Les voisins posaient des questions et se plaignaient souvent. Et mes parents étaient victimes de cette pression sociale. Ils me demandaient toujours : « Pourquoi tu ne peux pas être comme les autres ? » Ma mère n’avait pas reçu d’amour dans son enfance. Alors elle cherchait à l’obtenir dans son entourage. C’était comme une addiction. Mon père, lui, ne savait pas quoi faire avec cet enfant étrange. Donc il me tabassait.

Et j’ai commencé à comprendre que tout le monde voulait que je sois le plus ordinaire, le plus gris possible. Mais comment être comme les autres si tu n’es pas comme les autres ? Certains essaient, mais moi je ne pouvais pas. J’ai vécu toute ma vie contre cette manière d’être normal, d’être gris. Toute ma vie j’ai revendiqué mon droit à ma manière propre d’être. Et cette petite ville ne supportait pas ma luminosité ! À 16 ans j’ai dit à ma maman que j’étais gay. Pendant 5 mois elle ne m’a plus parlé et n’a fait que pleurer. À l’époque il n’y avait pas plus d’information sur le genre. Ce n’est que plus tard, quand le terme non-binaire est apparu, que je me suis dit : voilà, c’est ça que je suis !

À l’école, c’était des violences au quotidien. Quand j’avais 10 ans, l’école a organisé un concours de talents. Je m’étais déguisée en Alla Pougatcheva, la chanteuse soviétique très populaire. Et j’ai remporté le premier prix ! Après, je suis allée aux toilettes des garçons et il s’est passé là-bas quelque chose que je n’oublierai jamais. Un groupe de garçons m’a suivie et ils m’ont enlevé brutalement mon pantalon pour voir si j’étais vraiment un garçon. Puis ils m’ont pissé dessus. Après ça, ils ont continué de me harceler presque chaque jour. Ils m’insultaient, me crachaient dessus, ils me frappaient et parfois ils me poursuivaient dans la ville. C’était vraiment une guerre.

Quand j’en parlais à mes parents, ils me répondaient : « Tu n’as qu’à utiliser un morceau de clôture pour te défendre ! » Puis un jour, c’est allé trop loin. Ils m’ont encerclée, et m’ont tabassée si fort que j’ai été hospitalisée. J’ai été immobilisée pendant plusieurs semaines et j’ai continué à boiter pendant plusieurs mois. Quand ma mère m’a ramenée de l’hôpital, immobilisée, mon père a dit que j’avais tout inventé. C’était comme la dernière goutte et il m’a expulsée de la maison. Je suis allée chez ma grand-mère et je ne l’ai plus jamais revu. Là-bas, les gens font des enfants pour avoir de la main-d’œuvre gratuite. C’est leur raison d’existence. Si tu es incapable d’aider, alors tu es inutile.

Ma passion c’était la danse, depuis toute petite. A l’école de danse, je n’avais aucun problème de harcèlement. C’était mon échappatoire de mon quotidien. Mais à cause de cette blessure, je ne pouvais plus danser. Alors j’ai entrepris des études de coiffure. Quand ma mère a appris mon choix, elle m’a dit qu’elle allait me pendre avec sa tresse tellement c’était une honte pour un homme d’être coiffeur. Mais je n’ai pas changé d’avis. J’étais très douée et j’ai rapidement gagné le concours des ciseaux d’or de toute la Sibérie. C’était la première fois dans l’histoire de mon établissement qu’un de ses élèves remportait ce prix.

Après ça, j’ai déménagé dans la grande ville de Sibérie. J’avais 16 ans et j’ai suivi des études plus avancées en coiffure. C’était le commencement de la vie normale. J’ai pu voir un psychologue, il y avait une boite gay clandestine et une association LGBTQ. La communauté commençait à s’émanciper. Mais il y avait encore une violence énorme contre nous. J’ai été victime de plein d’agressions. Un jour, je me baladais avec 2 amis. Une voiture s’est arrêtée et 4 mecs avec des couteaux sont sortis en courant vers nous. Heureusement, une voiture de police est apparue et ils ont dû s’enfuir. La moitié de mes amis sibériens ont été tués comme ça. Parfois je me demande comment j’ai fait pour survivre… »

(traduit du russe et de l’anglais)

Partie 2/2

« Suite à toutes ces violences, j’ai développé des symptômes post-traumatiques. Je réagissais aux sons brusques, j’avais des crises de panique. Parfois j’avais le sentiment que quelqu’un me poursuivait et j’étais toujours prête à réagir. C’était aussi impossible pour moi de faire l’amour ou de faire confiance à quelqu’un. Tout ça m’empêchait complètement de vivre. À 19 ans j’ai déménagé à Moscou pour travailler dans un salon de coiffure. C’était mieux mais je n’étais toujours pas en sécurité. Une fois, dans le métro, deux mecs m’ont arraché les boucles d’oreilles. J’avais les oreilles qui saignaient de partout, j’étais terrorisée. Après ça, je n’ai plus jamais pris les transports publics.

À Moscou, il y avait souvent des concours dans les salons pour montrer son art, et j’ai remporté de nombreuses épreuves. Grâce à ça, j’ai décroché le poste d’assistante du directeur d’art dans le salon le plus réputé de Moscou. Ce salon travaillait pour des personnes célèbres et pour plusieurs émissions de la télévision. Et après quelque temps j’ai obtenu ma propre émission télévisée pour la chaine TNT. Je présentais un show de relooking : comment se maquiller, se coiffer, s’habiller, etc. Et les participants de télé-réalité, de séries et d’autres productions de cette chaine venaient se faire relooker dans mon émission, et parfois j’intervenais dans la leur.

Mon émission avait jusqu’à 5 millions de spectateurs avec le streaming en ligne ! Il y avait beaucoup de commentaires insultants et des menaces sur les vidéos. J’ai dû changer d’adresse plusieurs fois parce que j’ai remarqué que des mecs de Tchétchénie me suivaient. Mais malgré ça, l’émission marchait très bien. Je crois que c’est parce que l’atypique, l’original, c’est important pour tout le monde, ça attire. Mais je n’ai pas vécu tout ça comme un succès. La seule chose qui m’a vraiment inspirée c’était des lettres que je recevais de personnes de la communauté LGBTQ qui vivaient dans des petits villages. Ils me remerciaient de me montrer comme je suis parce que ça les aide à s’émanciper.

En 2013, la loi contre la propagande gay a été votée au parlement. La rédaction de la télévision a d’abord essayé de me remplacer par d’autres personnes. Mais ça ne marchait pas, les autres ne ramenaient pas assez de téléspectateurs. Une fois, ils ont mis un garçon du style de Di Caprio et il y avait beaucoup de commentaires du style : « Vous devez ramener notre travelo ! Elle était très sympa ! » Ensuite, le patron de la chaîne m’a demandé de tout changer : ma voix, mes cheveux, mes vêtements. Pour moi c’était inacceptable, alors il a fini par m’expulser et il m’a mise sur une liste noire. À 26 ans, j’étais devenue persona non grata dans toute l’industrie télévisée.

J’étais même pas payée pour cette émission. J’étais jeune et stupide et je n’avais pas fait de contrat. J’arrivais à me nourrir en travaillant dans les salons comme coiffeuse ou avec des clients spéciaux qui me faisaient venir à Milan ou Paris. J’ai aussi remporté un championnat de beauté européen, en 2014. J’ai travaillé avec le théâtre pour des grandes productions, et pour les célébrités russes, des chanteuses, des comédiennes, etc. J’ai organisé des performances immersives de danse, de musique et d’opéra à Moscou. Je sais pas si j’étais heureuse. Ma vie c’était seulement le travail. J’avais quelques amis, oui. Mais un compagnon ? Aucun ! Seulement le travail.

En mars 2022, j’ai finalement décidé de quitter la Russie parce que je voulais survivre. Depuis cette loi, l’état organise une persécution des personnes LGBTQ. Tout ce que tu fais et dis là-bas peut avoir un impact sur toi et tes proches. C’est devenu impossible maintenant pour moi de travailler, de me marier, d’avoir une famille en Russie. Je n’avais plus la force de me battre. Je n’avais pas d’autres choix que de m’enfuir. J’allais soit finir en prison, ou simplement tuée. Ici, je peux aller au magasin tranquillement, ou prendre les transports publics sans m’inquiéter. Oui, les gens me regardent, mais ils ne m’insultent pas, ils ne me crachent pas dessus et ils n’essaient pas de me tuer.

J’ai fait une demande d’asile pour vivre en Suisse. J’ai d’abord vécu 3 mois dans le centre pour requérants d’asile à Boudry. Tu passes ton temps à attendre et personne ne t’explique quoi que ce soit. C’est presque comme une prison. C’était terrible. Et j’étais pas du tout en sécurité. Heureusement j’ai pu déménager. Et récemment j’ai passé l’entretien final pour savoir si je peux rester. Je sais que mon expérience internationale sera utile pour ce pays. Et tous mes projets artistiques ont le même message : on a tous le droit d’aimer, et de se réaliser soi-même, qui que l’on soit. Et si mon travail et mon histoire peuvent aider au moins une personne, alors ma mission est accomplie. »

(traduit du russe et de l’anglais)

Partie 1/2

« Ma famille était toujours entre les crédits et les obligations de paiements. Mon père était conducteur de tracteur et ma mère avait 3 emplois à la fois. C’était la pauvreté extrême. On vivait en Sibérie, dans une petite ville de 20’000 habitants. Depuis longtemps, la Sibérie est un lieu de katorga [bagnes], et cette culture de la prison s’est conservée. C’était impossible par exemple de parler de sexualité avec ses parents ou pour les filles de parler de leurs règles. Et si tu es homosexuel là-bas, tu es une personne littéralement inférieure. C’était quelque chose d’inacceptable. Il n’y avait aucune tolérance. Et moi j’ai grandi au milieu de cette culture, dans une solitude totale.

J’ai toujours senti que j’étais différente. Depuis mon premier souvenir à 4 ans, je me rappelle que je voulais coudre des robes, danser et chanter. Et pas me battre et jouer à la guerre. Tout chez moi était différent : ma voix, mon comportement, mes habits. Tout. Les voisins posaient des questions et se plaignaient souvent. Et mes parents étaient victimes de cette pression sociale. Ils me demandaient toujours : « Pourquoi tu ne peux pas être comme les autres ? » Ma mère n’avait pas reçu d’amour dans son enfance. Alors elle cherchait à l’obtenir dans son entourage. C’était comme une addiction. Mon père, lui, ne savait pas quoi faire avec cet enfant étrange. Donc il me tabassait.

Et j’ai commencé à comprendre que tout le monde voulait que je sois le plus ordinaire, le plus gris possible. Mais comment être comme les autres si tu n’es pas comme les autres ? Certains essaient, mais moi je ne pouvais pas. J’ai vécu toute ma vie contre cette manière d’être normal, d’être gris. Toute ma vie j’ai revendiqué mon droit à ma manière propre d’être. Et cette petite ville ne supportait pas ma luminosité ! À 16 ans j’ai dit à ma maman que j’étais gay. Pendant 5 mois elle ne m’a plus parlé et n’a fait que pleurer. À l’époque il n’y avait pas plus d’information sur le genre. Ce n’est que plus tard, quand le terme non-binaire est apparu, que je me suis dit : voilà, c’est ça que je suis !

À l’école, c’était des violences au quotidien. Quand j’avais 10 ans, l’école a organisé un concours de talents. Je m’étais déguisée en Alla Pougatcheva, la chanteuse soviétique très populaire. Et j’ai remporté le premier prix ! Après, je suis allée aux toilettes des garçons et il s’est passé là-bas quelque chose que je n’oublierai jamais. Un groupe de garçons m’a suivie et ils m’ont enlevé brutalement mon pantalon pour voir si j’étais vraiment un garçon. Puis ils m’ont pissé dessus. Après ça, ils ont continué de me harceler presque chaque jour. Ils m’insultaient, me crachaient dessus, ils me frappaient et parfois ils me poursuivaient dans la ville. C’était vraiment une guerre.

Quand j’en parlais à mes parents, ils me répondaient : « Tu n’as qu’à utiliser un morceau de clôture pour te défendre ! » Puis un jour, c’est allé trop loin. Ils m’ont encerclée, et m’ont tabassée si fort que j’ai été hospitalisée. J’ai été immobilisée pendant plusieurs semaines et j’ai continué à boiter pendant plusieurs mois. Quand ma mère m’a ramenée de l’hôpital, immobilisée, mon père a dit que j’avais tout inventé. C’était comme la dernière goutte et il m’a expulsée de la maison. Je suis allée chez ma grand-mère et je ne l’ai plus jamais revu. Là-bas, les gens font des enfants pour avoir de la main-d’œuvre gratuite. C’est leur raison d’existence. Si tu es incapable d’aider, alors tu es inutile.

Ma passion c’était la danse, depuis toute petite. A l’école de danse, je n’avais aucun problème de harcèlement. C’était mon échappatoire de mon quotidien. Mais à cause de cette blessure, je ne pouvais plus danser. Alors j’ai entrepris des études de coiffure. Quand ma mère a appris mon choix, elle m’a dit qu’elle allait me pendre avec sa tresse tellement c’était une honte pour un homme d’être coiffeur. Mais je n’ai pas changé d’avis. J’étais très douée et j’ai rapidement gagné le concours des ciseaux d’or de toute la Sibérie. C’était la première fois dans l’histoire de mon établissement qu’un de ses élèves remportait ce prix.

Après ça, j’ai déménagé dans la grande ville de Sibérie. J’avais 16 ans et j’ai suivi des études plus avancées en coiffure. C’était le commencement de la vie normale. J’ai pu voir un psychologue, il y avait une boite gay clandestine et une association LGBTQ. La communauté commençait à s’émanciper. Mais il y avait encore une violence énorme contre nous. J’ai été victime de plein d’agressions. Un jour, je me baladais avec 2 amis. Une voiture s’est arrêtée et 4 mecs avec des couteaux sont sortis en courant vers nous. Heureusement, une voiture de police est apparue et ils ont dû s’enfuir. La moitié de mes amis sibériens ont été tués comme ça. Parfois je me demande comment j’ai fait pour survivre… »

(traduit du russe et de l’anglais)

Partie 2/2

« Suite à toutes ces violences, j’ai développé des symptômes post-traumatiques. Je réagissais aux sons brusques, j’avais des crises de panique. Parfois j’avais le sentiment que quelqu’un me poursuivait et j’étais toujours prête à réagir. C’était aussi impossible pour moi de faire l’amour ou de faire confiance à quelqu’un. Tout ça m’empêchait complètement de vivre. À 19 ans j’ai déménagé à Moscou pour travailler dans un salon de coiffure. C’était mieux mais je n’étais toujours pas en sécurité. Une fois, dans le métro, deux mecs m’ont arraché les boucles d’oreilles. J’avais les oreilles qui saignaient de partout, j’étais terrorisée. Après ça, je n’ai plus jamais pris les transports publics.

À Moscou, il y avait souvent des concours dans les salons pour montrer son art, et j’ai remporté de nombreuses épreuves. Grâce à ça, j’ai décroché le poste d’assistante du directeur d’art dans le salon le plus réputé de Moscou. Ce salon travaillait pour des personnes célèbres et pour plusieurs émissions de la télévision. Et après quelque temps j’ai obtenu ma propre émission télévisée pour la chaine TNT. Je présentais un show de relooking : comment se maquiller, se coiffer, s’habiller, etc. Et les participants de télé-réalité, de séries et d’autres productions de cette chaine venaient se faire relooker dans mon émission, et parfois j’intervenais dans la leur.

Mon émission avait jusqu’à 5 millions de spectateurs avec le streaming en ligne ! Il y avait beaucoup de commentaires insultants et des menaces sur les vidéos. J’ai dû changer d’adresse plusieurs fois parce que j’ai remarqué que des mecs de Tchétchénie me suivaient. Mais malgré ça, l’émission marchait très bien. Je crois que c’est parce que l’atypique, l’original, c’est important pour tout le monde, ça attire. Mais je n’ai pas vécu tout ça comme un succès. La seule chose qui m’a vraiment inspirée c’était des lettres que je recevais de personnes de la communauté LGBTQ qui vivaient dans des petits villages. Ils me remerciaient de me montrer comme je suis parce que ça les aide à s’émanciper.

En 2013, la loi contre la propagande gay a été votée au parlement. La rédaction de la télévision a d’abord essayé de me remplacer par d’autres personnes. Mais ça ne marchait pas, les autres ne ramenaient pas assez de téléspectateurs. Une fois, ils ont mis un garçon du style de Di Caprio et il y avait beaucoup de commentaires du style : « Vous devez ramener notre travelo ! Elle était très sympa ! » Ensuite, le patron de la chaîne m’a demandé de tout changer : ma voix, mes cheveux, mes vêtements. Pour moi c’était inacceptable, alors il a fini par m’expulser et il m’a mise sur une liste noire. À 26 ans, j’étais devenue persona non grata dans toute l’industrie télévisée.

J’étais même pas payée pour cette émission. J’étais jeune et stupide et je n’avais pas fait de contrat. J’arrivais à me nourrir en travaillant dans les salons comme coiffeuse ou avec des clients spéciaux qui me faisaient venir à Milan ou Paris. J’ai aussi remporté un championnat de beauté européen, en 2014. J’ai travaillé avec le théâtre pour des grandes productions, et pour les célébrités russes, des chanteuses, des comédiennes, etc. J’ai organisé des performances immersives de danse, de musique et d’opéra à Moscou. Je sais pas si j’étais heureuse. Ma vie c’était seulement le travail. J’avais quelques amis, oui. Mais un compagnon ? Aucun ! Seulement le travail.

En mars 2022, j’ai finalement décidé de quitter la Russie parce que je voulais survivre. Depuis cette loi, l’état organise une persécution des personnes LGBTQ. Tout ce que tu fais et dis là-bas peut avoir un impact sur toi et tes proches. C’est devenu impossible maintenant pour moi de travailler, de me marier, d’avoir une famille en Russie. Je n’avais plus la force de me battre. Je n’avais pas d’autres choix que de m’enfuir. J’allais soit finir en prison, ou simplement tuée. Ici, je peux aller au magasin tranquillement, ou prendre les transports publics sans m’inquiéter. Oui, les gens me regardent, mais ils ne m’insultent pas, ils ne me crachent pas dessus et ils n’essaient pas de me tuer.

J’ai fait une demande d’asile pour vivre en Suisse. J’ai d’abord vécu 3 mois dans le centre pour requérants d’asile à Boudry. Tu passes ton temps à attendre et personne ne t’explique quoi que ce soit. C’est presque comme une prison. C’était terrible. Et j’étais pas du tout en sécurité. Heureusement j’ai pu déménager. Et récemment j’ai passé l’entretien final pour savoir si je peux rester. Je sais que mon expérience internationale sera utile pour ce pays. Et tous mes projets artistiques ont le même message : on a tous le droit d’aimer, et de se réaliser soi-même, qui que l’on soit. Et si mon travail et mon histoire peuvent aider au moins une personne, alors ma mission est accomplie. »

(traduit du russe et de l’anglais)

Publié le: 17 décembre 2022

Partagez sur :

Partie 1/2

« Ma famille était toujours entre les crédits et les obligations de paiements. Mon père était conducteur de tracteur et ma mère avait 3 emplois à la fois. C’était la pauvreté extrême. On vivait en Sibérie, dans une petite ville de 20’000 habitants. Depuis longtemps, la Sibérie est un lieu de katorga [bagnes], et cette culture de la prison s’est conservée. C’était impossible par exemple de parler de sexualité avec ses parents ou pour les filles de parler de leurs règles. Et si tu es homosexuel là-bas, tu es une personne littéralement inférieure. C’était quelque chose d’inacceptable. Il n’y avait aucune tolérance. Et moi j’ai grandi au milieu de cette culture, dans une solitude totale.

J’ai toujours senti que j’étais différente. Depuis mon premier souvenir à 4 ans, je me rappelle que je voulais coudre des robes, danser et chanter. Et pas me battre et jouer à la guerre. Tout chez moi était différent : ma voix, mon comportement, mes habits. Tout. Les voisins posaient des questions et se plaignaient souvent. Et mes parents étaient victimes de cette pression sociale. Ils me demandaient toujours : « Pourquoi tu ne peux pas être comme les autres ? » Ma mère n’avait pas reçu d’amour dans son enfance. Alors elle cherchait à l’obtenir dans son entourage. C’était comme une addiction. Mon père, lui, ne savait pas quoi faire avec cet enfant étrange. Donc il me tabassait.

Et j’ai commencé à comprendre que tout le monde voulait que je sois le plus ordinaire, le plus gris possible. Mais comment être comme les autres si tu n’es pas comme les autres ? Certains essaient, mais moi je ne pouvais pas. J’ai vécu toute ma vie contre cette manière d’être normal, d’être gris. Toute ma vie j’ai revendiqué mon droit à ma manière propre d’être. Et cette petite ville ne supportait pas ma luminosité ! À 16 ans j’ai dit à ma maman que j’étais gay. Pendant 5 mois elle ne m’a plus parlé et n’a fait que pleurer. À l’époque il n’y avait pas plus d’information sur le genre. Ce n’est que plus tard, quand le terme non-binaire est apparu, que je me suis dit : voilà, c’est ça que je suis !

À l’école, c’était des violences au quotidien. Quand j’avais 10 ans, l’école a organisé un concours de talents. Je m’étais déguisée en Alla Pougatcheva, la chanteuse soviétique très populaire. Et j’ai remporté le premier prix ! Après, je suis allée aux toilettes des garçons et il s’est passé là-bas quelque chose que je n’oublierai jamais. Un groupe de garçons m’a suivie et ils m’ont enlevé brutalement mon pantalon pour voir si j’étais vraiment un garçon. Puis ils m’ont pissé dessus. Après ça, ils ont continué de me harceler presque chaque jour. Ils m’insultaient, me crachaient dessus, ils me frappaient et parfois ils me poursuivaient dans la ville. C’était vraiment une guerre.

Quand j’en parlais à mes parents, ils me répondaient : « Tu n’as qu’à utiliser un morceau de clôture pour te défendre ! » Puis un jour, c’est allé trop loin. Ils m’ont encerclée, et m’ont tabassée si fort que j’ai été hospitalisée. J’ai été immobilisée pendant plusieurs semaines et j’ai continué à boiter pendant plusieurs mois. Quand ma mère m’a ramenée de l’hôpital, immobilisée, mon père a dit que j’avais tout inventé. C’était comme la dernière goutte et il m’a expulsée de la maison. Je suis allée chez ma grand-mère et je ne l’ai plus jamais revu. Là-bas, les gens font des enfants pour avoir de la main-d’œuvre gratuite. C’est leur raison d’existence. Si tu es incapable d’aider, alors tu es inutile.

Ma passion c’était la danse, depuis toute petite. A l’école de danse, je n’avais aucun problème de harcèlement. C’était mon échappatoire de mon quotidien. Mais à cause de cette blessure, je ne pouvais plus danser. Alors j’ai entrepris des études de coiffure. Quand ma mère a appris mon choix, elle m’a dit qu’elle allait me pendre avec sa tresse tellement c’était une honte pour un homme d’être coiffeur. Mais je n’ai pas changé d’avis. J’étais très douée et j’ai rapidement gagné le concours des ciseaux d’or de toute la Sibérie. C’était la première fois dans l’histoire de mon établissement qu’un de ses élèves remportait ce prix.

Après ça, j’ai déménagé dans la grande ville de Sibérie. J’avais 16 ans et j’ai suivi des études plus avancées en coiffure. C’était le commencement de la vie normale. J’ai pu voir un psychologue, il y avait une boite gay clandestine et une association LGBTQ. La communauté commençait à s’émanciper. Mais il y avait encore une violence énorme contre nous. J’ai été victime de plein d’agressions. Un jour, je me baladais avec 2 amis. Une voiture s’est arrêtée et 4 mecs avec des couteaux sont sortis en courant vers nous. Heureusement, une voiture de police est apparue et ils ont dû s’enfuir. La moitié de mes amis sibériens ont été tués comme ça. Parfois je me demande comment j’ai fait pour survivre… »

(traduit du russe et de l’anglais)

Partie 2/2

« Suite à toutes ces violences, j’ai développé des symptômes post-traumatiques. Je réagissais aux sons brusques, j’avais des crises de panique. Parfois j’avais le sentiment que quelqu’un me poursuivait et j’étais toujours prête à réagir. C’était aussi impossible pour moi de faire l’amour ou de faire confiance à quelqu’un. Tout ça m’empêchait complètement de vivre. À 19 ans j’ai déménagé à Moscou pour travailler dans un salon de coiffure. C’était mieux mais je n’étais toujours pas en sécurité. Une fois, dans le métro, deux mecs m’ont arraché les boucles d’oreilles. J’avais les oreilles qui saignaient de partout, j’étais terrorisée. Après ça, je n’ai plus jamais pris les transports publics.

À Moscou, il y avait souvent des concours dans les salons pour montrer son art, et j’ai remporté de nombreuses épreuves. Grâce à ça, j’ai décroché le poste d’assistante du directeur d’art dans le salon le plus réputé de Moscou. Ce salon travaillait pour des personnes célèbres et pour plusieurs émissions de la télévision. Et après quelque temps j’ai obtenu ma propre émission télévisée pour la chaine TNT. Je présentais un show de relooking : comment se maquiller, se coiffer, s’habiller, etc. Et les participants de télé-réalité, de séries et d’autres productions de cette chaine venaient se faire relooker dans mon émission, et parfois j’intervenais dans la leur.

Mon émission avait jusqu’à 5 millions de spectateurs avec le streaming en ligne ! Il y avait beaucoup de commentaires insultants et des menaces sur les vidéos. J’ai dû changer d’adresse plusieurs fois parce que j’ai remarqué que des mecs de Tchétchénie me suivaient. Mais malgré ça, l’émission marchait très bien. Je crois que c’est parce que l’atypique, l’original, c’est important pour tout le monde, ça attire. Mais je n’ai pas vécu tout ça comme un succès. La seule chose qui m’a vraiment inspirée c’était des lettres que je recevais de personnes de la communauté LGBTQ qui vivaient dans des petits villages. Ils me remerciaient de me montrer comme je suis parce que ça les aide à s’émanciper.

En 2013, la loi contre la propagande gay a été votée au parlement. La rédaction de la télévision a d’abord essayé de me remplacer par d’autres personnes. Mais ça ne marchait pas, les autres ne ramenaient pas assez de téléspectateurs. Une fois, ils ont mis un garçon du style de Di Caprio et il y avait beaucoup de commentaires du style : « Vous devez ramener notre travelo ! Elle était très sympa ! » Ensuite, le patron de la chaîne m’a demandé de tout changer : ma voix, mes cheveux, mes vêtements. Pour moi c’était inacceptable, alors il a fini par m’expulser et il m’a mise sur une liste noire. À 26 ans, j’étais devenue persona non grata dans toute l’industrie télévisée.

J’étais même pas payée pour cette émission. J’étais jeune et stupide et je n’avais pas fait de contrat. J’arrivais à me nourrir en travaillant dans les salons comme coiffeuse ou avec des clients spéciaux qui me faisaient venir à Milan ou Paris. J’ai aussi remporté un championnat de beauté européen, en 2014. J’ai travaillé avec le théâtre pour des grandes productions, et pour les célébrités russes, des chanteuses, des comédiennes, etc. J’ai organisé des performances immersives de danse, de musique et d’opéra à Moscou. Je sais pas si j’étais heureuse. Ma vie c’était seulement le travail. J’avais quelques amis, oui. Mais un compagnon ? Aucun ! Seulement le travail.

En mars 2022, j’ai finalement décidé de quitter la Russie parce que je voulais survivre. Depuis cette loi, l’état organise une persécution des personnes LGBTQ. Tout ce que tu fais et dis là-bas peut avoir un impact sur toi et tes proches. C’est devenu impossible maintenant pour moi de travailler, de me marier, d’avoir une famille en Russie. Je n’avais plus la force de me battre. Je n’avais pas d’autres choix que de m’enfuir. J’allais soit finir en prison, ou simplement tuée. Ici, je peux aller au magasin tranquillement, ou prendre les transports publics sans m’inquiéter. Oui, les gens me regardent, mais ils ne m’insultent pas, ils ne me crachent pas dessus et ils n’essaient pas de me tuer.

J’ai fait une demande d’asile pour vivre en Suisse. J’ai d’abord vécu 3 mois dans le centre pour requérants d’asile à Boudry. Tu passes ton temps à attendre et personne ne t’explique quoi que ce soit. C’est presque comme une prison. C’était terrible. Et j’étais pas du tout en sécurité. Heureusement j’ai pu déménager. Et récemment j’ai passé l’entretien final pour savoir si je peux rester. Je sais que mon expérience internationale sera utile pour ce pays. Et tous mes projets artistiques ont le même message : on a tous le droit d’aimer, et de se réaliser soi-même, qui que l’on soit. Et si mon travail et mon histoire peuvent aider au moins une personne, alors ma mission est accomplie. »

(traduit du russe et de l’anglais)

Partie 1/2

« Ma famille était toujours entre les crédits et les obligations de paiements. Mon père était conducteur de tracteur et ma mère avait 3 emplois à la fois. C’était la pauvreté extrême. On vivait en Sibérie, dans une petite ville de 20’000 habitants. Depuis longtemps, la Sibérie est un lieu de katorga [bagnes], et cette culture de la prison s’est conservée. C’était impossible par exemple de parler de sexualité avec ses parents ou pour les filles de parler de leurs règles. Et si tu es homosexuel là-bas, tu es une personne littéralement inférieure. C’était quelque chose d’inacceptable. Il n’y avait aucune tolérance. Et moi j’ai grandi au milieu de cette culture, dans une solitude totale.

J’ai toujours senti que j’étais différente. Depuis mon premier souvenir à 4 ans, je me rappelle que je voulais coudre des robes, danser et chanter. Et pas me battre et jouer à la guerre. Tout chez moi était différent : ma voix, mon comportement, mes habits. Tout. Les voisins posaient des questions et se plaignaient souvent. Et mes parents étaient victimes de cette pression sociale. Ils me demandaient toujours : « Pourquoi tu ne peux pas être comme les autres ? » Ma mère n’avait pas reçu d’amour dans son enfance. Alors elle cherchait à l’obtenir dans son entourage. C’était comme une addiction. Mon père, lui, ne savait pas quoi faire avec cet enfant étrange. Donc il me tabassait.

Et j’ai commencé à comprendre que tout le monde voulait que je sois le plus ordinaire, le plus gris possible. Mais comment être comme les autres si tu n’es pas comme les autres ? Certains essaient, mais moi je ne pouvais pas. J’ai vécu toute ma vie contre cette manière d’être normal, d’être gris. Toute ma vie j’ai revendiqué mon droit à ma manière propre d’être. Et cette petite ville ne supportait pas ma luminosité ! À 16 ans j’ai dit à ma maman que j’étais gay. Pendant 5 mois elle ne m’a plus parlé et n’a fait que pleurer. À l’époque il n’y avait pas plus d’information sur le genre. Ce n’est que plus tard, quand le terme non-binaire est apparu, que je me suis dit : voilà, c’est ça que je suis !

À l’école, c’était des violences au quotidien. Quand j’avais 10 ans, l’école a organisé un concours de talents. Je m’étais déguisée en Alla Pougatcheva, la chanteuse soviétique très populaire. Et j’ai remporté le premier prix ! Après, je suis allée aux toilettes des garçons et il s’est passé là-bas quelque chose que je n’oublierai jamais. Un groupe de garçons m’a suivie et ils m’ont enlevé brutalement mon pantalon pour voir si j’étais vraiment un garçon. Puis ils m’ont pissé dessus. Après ça, ils ont continué de me harceler presque chaque jour. Ils m’insultaient, me crachaient dessus, ils me frappaient et parfois ils me poursuivaient dans la ville. C’était vraiment une guerre.

Quand j’en parlais à mes parents, ils me répondaient : « Tu n’as qu’à utiliser un morceau de clôture pour te défendre ! » Puis un jour, c’est allé trop loin. Ils m’ont encerclée, et m’ont tabassée si fort que j’ai été hospitalisée. J’ai été immobilisée pendant plusieurs semaines et j’ai continué à boiter pendant plusieurs mois. Quand ma mère m’a ramenée de l’hôpital, immobilisée, mon père a dit que j’avais tout inventé. C’était comme la dernière goutte et il m’a expulsée de la maison. Je suis allée chez ma grand-mère et je ne l’ai plus jamais revu. Là-bas, les gens font des enfants pour avoir de la main-d’œuvre gratuite. C’est leur raison d’existence. Si tu es incapable d’aider, alors tu es inutile.

Ma passion c’était la danse, depuis toute petite. A l’école de danse, je n’avais aucun problème de harcèlement. C’était mon échappatoire de mon quotidien. Mais à cause de cette blessure, je ne pouvais plus danser. Alors j’ai entrepris des études de coiffure. Quand ma mère a appris mon choix, elle m’a dit qu’elle allait me pendre avec sa tresse tellement c’était une honte pour un homme d’être coiffeur. Mais je n’ai pas changé d’avis. J’étais très douée et j’ai rapidement gagné le concours des ciseaux d’or de toute la Sibérie. C’était la première fois dans l’histoire de mon établissement qu’un de ses élèves remportait ce prix.

Après ça, j’ai déménagé dans la grande ville de Sibérie. J’avais 16 ans et j’ai suivi des études plus avancées en coiffure. C’était le commencement de la vie normale. J’ai pu voir un psychologue, il y avait une boite gay clandestine et une association LGBTQ. La communauté commençait à s’émanciper. Mais il y avait encore une violence énorme contre nous. J’ai été victime de plein d’agressions. Un jour, je me baladais avec 2 amis. Une voiture s’est arrêtée et 4 mecs avec des couteaux sont sortis en courant vers nous. Heureusement, une voiture de police est apparue et ils ont dû s’enfuir. La moitié de mes amis sibériens ont été tués comme ça. Parfois je me demande comment j’ai fait pour survivre… »

(traduit du russe et de l’anglais)

Partie 2/2

« Suite à toutes ces violences, j’ai développé des symptômes post-traumatiques. Je réagissais aux sons brusques, j’avais des crises de panique. Parfois j’avais le sentiment que quelqu’un me poursuivait et j’étais toujours prête à réagir. C’était aussi impossible pour moi de faire l’amour ou de faire confiance à quelqu’un. Tout ça m’empêchait complètement de vivre. À 19 ans j’ai déménagé à Moscou pour travailler dans un salon de coiffure. C’était mieux mais je n’étais toujours pas en sécurité. Une fois, dans le métro, deux mecs m’ont arraché les boucles d’oreilles. J’avais les oreilles qui saignaient de partout, j’étais terrorisée. Après ça, je n’ai plus jamais pris les transports publics.

À Moscou, il y avait souvent des concours dans les salons pour montrer son art, et j’ai remporté de nombreuses épreuves. Grâce à ça, j’ai décroché le poste d’assistante du directeur d’art dans le salon le plus réputé de Moscou. Ce salon travaillait pour des personnes célèbres et pour plusieurs émissions de la télévision. Et après quelque temps j’ai obtenu ma propre émission télévisée pour la chaine TNT. Je présentais un show de relooking : comment se maquiller, se coiffer, s’habiller, etc. Et les participants de télé-réalité, de séries et d’autres productions de cette chaine venaient se faire relooker dans mon émission, et parfois j’intervenais dans la leur.

Mon émission avait jusqu’à 5 millions de spectateurs avec le streaming en ligne ! Il y avait beaucoup de commentaires insultants et des menaces sur les vidéos. J’ai dû changer d’adresse plusieurs fois parce que j’ai remarqué que des mecs de Tchétchénie me suivaient. Mais malgré ça, l’émission marchait très bien. Je crois que c’est parce que l’atypique, l’original, c’est important pour tout le monde, ça attire. Mais je n’ai pas vécu tout ça comme un succès. La seule chose qui m’a vraiment inspirée c’était des lettres que je recevais de personnes de la communauté LGBTQ qui vivaient dans des petits villages. Ils me remerciaient de me montrer comme je suis parce que ça les aide à s’émanciper.

En 2013, la loi contre la propagande gay a été votée au parlement. La rédaction de la télévision a d’abord essayé de me remplacer par d’autres personnes. Mais ça ne marchait pas, les autres ne ramenaient pas assez de téléspectateurs. Une fois, ils ont mis un garçon du style de Di Caprio et il y avait beaucoup de commentaires du style : « Vous devez ramener notre travelo ! Elle était très sympa ! » Ensuite, le patron de la chaîne m’a demandé de tout changer : ma voix, mes cheveux, mes vêtements. Pour moi c’était inacceptable, alors il a fini par m’expulser et il m’a mise sur une liste noire. À 26 ans, j’étais devenue persona non grata dans toute l’industrie télévisée.

J’étais même pas payée pour cette émission. J’étais jeune et stupide et je n’avais pas fait de contrat. J’arrivais à me nourrir en travaillant dans les salons comme coiffeuse ou avec des clients spéciaux qui me faisaient venir à Milan ou Paris. J’ai aussi remporté un championnat de beauté européen, en 2014. J’ai travaillé avec le théâtre pour des grandes productions, et pour les célébrités russes, des chanteuses, des comédiennes, etc. J’ai organisé des performances immersives de danse, de musique et d’opéra à Moscou. Je sais pas si j’étais heureuse. Ma vie c’était seulement le travail. J’avais quelques amis, oui. Mais un compagnon ? Aucun ! Seulement le travail.

En mars 2022, j’ai finalement décidé de quitter la Russie parce que je voulais survivre. Depuis cette loi, l’état organise une persécution des personnes LGBTQ. Tout ce que tu fais et dis là-bas peut avoir un impact sur toi et tes proches. C’est devenu impossible maintenant pour moi de travailler, de me marier, d’avoir une famille en Russie. Je n’avais plus la force de me battre. Je n’avais pas d’autres choix que de m’enfuir. J’allais soit finir en prison, ou simplement tuée. Ici, je peux aller au magasin tranquillement, ou prendre les transports publics sans m’inquiéter. Oui, les gens me regardent, mais ils ne m’insultent pas, ils ne me crachent pas dessus et ils n’essaient pas de me tuer.

J’ai fait une demande d’asile pour vivre en Suisse. J’ai d’abord vécu 3 mois dans le centre pour requérants d’asile à Boudry. Tu passes ton temps à attendre et personne ne t’explique quoi que ce soit. C’est presque comme une prison. C’était terrible. Et j’étais pas du tout en sécurité. Heureusement j’ai pu déménager. Et récemment j’ai passé l’entretien final pour savoir si je peux rester. Je sais que mon expérience internationale sera utile pour ce pays. Et tous mes projets artistiques ont le même message : on a tous le droit d’aimer, et de se réaliser soi-même, qui que l’on soit. Et si mon travail et mon histoire peuvent aider au moins une personne, alors ma mission est accomplie. »

(traduit du russe et de l’anglais)

Publié le: 17 décembre 2022

Partagez sur :