« Je pourrais écrire tout un roman sur ma vie, il faut juste me trouver un éditeur (rires) ! J’ai eu une enfance très, très dure. J’ai grandi dans un village en Colombie avec ma mère, mon beau-père et mes 4 sœurs. On avait un champ où l’on cultivait de tout : du café, du maïs, des bananes, des tomates… C’était un lieu magnifique avec une rivière qui passait entre les champs. Mais on devait travailler de 7h du matin à 5h du soir depuis toutes petites. On a très peu été à l’école. Et si on refusait de travailler, mon beau-père nous tapait. Il était très violent et nous maltraitait toutes verbalement et physiquement. Moi il ne m’a pas violée, mais il violait mes sœurs plus jeunes, ses propres filles. En fait, on n’a pas eu d’enfance parce qu’on vivait au quotidien avec la peur de lui.
Vers 16 ans j’ai eu mon premier enfant. Mais le père aussi était machiste et violent. Et quand j’ai accouché, mes parents ont pris l’enfant en me disant que j’étais trop jeune. Après ça, j’ai quitté la maison et je n’ai plus vu personne pendant 5 années. Je vivais de petits boulots dans des cafés. Et au cours des années suivantes, j’ai eu trois enfants de deux autres pères. Ces deux-là étaient aussi très violents. Au bout d’un temps, comme je ne supportais plus la violence, j’ai commencé à boire. Puis je me suis dit : si je deviens alcoolique, je vais avoir une cirrhose et mourir, et qu’est-ce que vont devenir mes enfants ? Alors j’ai arrêté de boire et j’ai mis fin à la dernière relation après 14 ans de violence. Dans ma vie, toutes mes histoires d’amour m’ont été fatales…
Finalement, j’ai décidé de quitter la Colombie, et à 40 ans je suis arrivée en Espagne avec ma plus jeune fille. Pendant plusieurs années j’ai travaillé au noir avec des personnes âgées. J’ai adoré ça car j’ai un grand amour pour les personnes âgées ! Je travaillais non-stop mais je gagnais seulement 600€ par mois. Ça me permettait à peine de soutenir ma mère, mes enfants et moi-même. La dernière personne dont je me suis occupée avait Alzheimer. J’avais beaucoup d’affection pour elle, je la considérais comme ma propre famille. Puis il y a eu la crise en Espagne. En 15 jours ses enfants ont décidé de la mettre dans une résidence, et je me suis retrouvée sans rien. J’étais très attachée à cette dame et je suis tombée en dépression. J’aurais pu trouver une autre personne, mais j’étais blessée. Je ne voulais plus faire ce travail.
Puis une amie qui travaillait ici aux Pâquis m’a parlé de prostitution. Par nécessité économique, pour soutenir mes enfants, j’ai décidé d’essayer. Je suis arrivée ici il y a 8 ans. C’était un changement brutal. J’ai commencé dans la rue et j’étais très nerveuse. Quand les clients s’approchaient je me mettais à pleurer. Je n’arrivais pas du tout à travailler. Au bout de 3 mois je suis rentrée en Espagne, et je ne voulais plus revenir. Mais la réalité m’a rattrapée ; sans travailler je ne pouvais pas m’en sortir. Alors je suis revenue et j’ai passé 1 an aux Pâquis à travailler dans la rue. Les conditions sont difficiles là-bas. Il faut partager un lieu de vie avec d’autres filles qui ont leurs habitudes et leur culture. Moi je ne bois pas, je ne fume pas, je ne prends pas de drogues. Donc c’était compliqué.
Maintenant j’ai mon propre appartement, je travaille ici toute seule et je me sens beaucoup plus à mon aise. Ce qui m’importe c’est la paix mentale et émotionnelle. Je travaille légalement, tous les voisins savent ce que je fais et ils sont très respectueux. Mais ce travail reste très mal vu, et quand dans mon entourage on me demande ce que je fais, je réponds que je fais des ménages. Je n’aime pas mentir, à l’intérieur de moi je sens que c’est mauvais. Mais je suis obligée sinon ils vont me critiquer. Mes enfants, eux, savent tout depuis le début. Je ne pourrais jamais leur mentir, on a une grande complicité. Ils me disent : “On te respecte, il n’y a rien de mal dans ce que tu fais. Tu as été à la fois une mère et un père pour nous.”
Le plus difficile c’est d’ouvrir la porte sans savoir comment ça va se passer. Mais je n’ai jamais eu de mauvaise expérience. Parce que je suis très claire avec mes prestations : ça je le fais, ça je le fais pas. Et pour moi c’est très important de faire les choses avec le cœur. Si un client paie pour 30 min, après 30 min je ne lui dis pas : allez, c’est terminé ! Non, je veux qu’il soit satisfait. Un jour, un client m’a montré que mon profil sur le site d’escort avait le plus d’étoiles. Je suis une des meilleures escorts de Genève (rires) ! J’ai des clients de toutes les classes sociales : des banquiers, des avocats, des peintres en bâtiment, des médecins… Mais tu sais, les clients ne viennent pas seulement pour le sexe. Beaucoup de gens souffrent de solitude ou de dépression et ils cherchent un peu de chaleur humaine.
Une fois, un client me racontait en pleurant : “À la maison on ne manque de rien, mais on ne fait plus l’amour avec ma femme. Je ne voulais pas venir, mais je n’ai pas d’autres options.” Il souffrait beaucoup. C’est ça la réalité. Et c’est difficile de voir un homme pleurer. Moi j’essaie de le consoler avec le cœur. D’une certaine manière on rend un service, nous, les prostituées. Et certains clients m’offrent même des fleurs ou des chocolats pour me remercier ! J’ai aussi noué de belles relations. J’ai un client régulier qui a des problèmes dans sa vie, et il vient trouver du soutien chez moi. Pendant la pandémie, je ne pouvais pas travailler et c’était très difficile financièrement. Et à son tour, il m’a énormément aidée. Il me donnait de l’argent et parfois il me faisait même mes courses. Tu vois, ce n’est pas qu’une question de sexe.
La chose la plus importante pour moi ce sont mes enfants. Je me suis beaucoup battue toute ma vie pour eux. Et je suis satisfaite avec ce travail parce que je peux aider ma famille à s’en sortir. Je gagne ici 2 ou 3 fois plus qu’en Espagne. Dans ma vie, je n’ai connu que des hommes violents, maintenant je fais ce travail, et je n’ai toujours pas grand-chose pour moi, mais je continue à me battre. Pour eux. Malgré toutes ces souffrances, je suis là et je suis bien dans ma tête. Je remercie Dieu de m’avoir donné cette force pour supporter tant de choses. Certaines personnes deviennent plus dures et fermées avec le temps. Mais moi, non. Avec le temps mon cœur s’est agrandi. J’aime aider les gens. L’argent va et vient, les amitiés vont et viennent. Mais développer ses propres qualités humaines, c’est le plus important.
Maintenant il faut que je commence à penser un peu à moi aussi. Jusqu’à présent je n’ai fait que penser aux autres, et je n’ai pas profité de la vie. Ici, c’est seulement le travail, le travail. Il faut être toujours là, disponible au cas où un client appelle. Je passe ma vie seule, je dine seule, même un 31 décembre ou le jour de mon anniversaire. Ma famille ma manque, la chaleur humaine me manque. Mes enfants sont de plus en plus stables désormais donc après cette année je pense arrêter. J’aimerais rentrer en Espagne. J’adore ce pays, je m’y sens bien et je peux y être heureuse avec peu de moyens. Je ne veux pas être un fardeau pour mes enfants. Si j’ai un petit logement, des pommes de terre et du riz, ça me suffit ! Je pourrai aller à la plage, à la piscine et passer voir des amis. Je vais enfin profiter de la vie, tu comprends ? »
Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie. | Traduit de l’espagnol
« Je pourrais écrire tout un roman sur ma vie, il faut juste me trouver un éditeur (rires) ! J’ai eu une enfance très, très dure. J’ai grandi dans un village en Colombie avec ma mère, mon beau-père et mes 4 sœurs. On avait un champ où l’on cultivait de tout : du café, du maïs, des bananes, des tomates… C’était un lieu magnifique avec une rivière qui passait entre les champs. Mais on devait travailler de 7h du matin à 5h du soir depuis toutes petites. On a très peu été à l’école. Et si on refusait de travailler, mon beau-père nous tapait. Il était très violent et nous maltraitait toutes verbalement et physiquement. Moi il ne m’a pas violée, mais il violait mes sœurs plus jeunes, ses propres filles. En fait, on n’a pas eu d’enfance parce qu’on vivait au quotidien avec la peur de lui.
Vers 16 ans j’ai eu mon premier enfant. Mais le père aussi était machiste et violent. Et quand j’ai accouché, mes parents ont pris l’enfant en me disant que j’étais trop jeune. Après ça, j’ai quitté la maison et je n’ai plus vu personne pendant 5 années. Je vivais de petits boulots dans des cafés. Et au cours des années suivantes, j’ai eu trois enfants de deux autres pères. Ces deux-là étaient aussi très violents. Au bout d’un temps, comme je ne supportais plus la violence, j’ai commencé à boire. Puis je me suis dit : si je deviens alcoolique, je vais avoir une cirrhose et mourir, et qu’est-ce que vont devenir mes enfants ? Alors j’ai arrêté de boire et j’ai mis fin à la dernière relation après 14 ans de violence. Dans ma vie, toutes mes histoires d’amour m’ont été fatales…
Finalement, j’ai décidé de quitter la Colombie, et à 40 ans je suis arrivée en Espagne avec ma plus jeune fille. Pendant plusieurs années j’ai travaillé au noir avec des personnes âgées. J’ai adoré ça car j’ai un grand amour pour les personnes âgées ! Je travaillais non-stop mais je gagnais seulement 600€ par mois. Ça me permettait à peine de soutenir ma mère, mes enfants et moi-même. La dernière personne dont je me suis occupée avait Alzheimer. J’avais beaucoup d’affection pour elle, je la considérais comme ma propre famille. Puis il y a eu la crise en Espagne. En 15 jours ses enfants ont décidé de la mettre dans une résidence, et je me suis retrouvée sans rien. J’étais très attachée à cette dame et je suis tombée en dépression. J’aurais pu trouver une autre personne, mais j’étais blessée. Je ne voulais plus faire ce travail.
Puis une amie qui travaillait ici aux Pâquis m’a parlé de prostitution. Par nécessité économique, pour soutenir mes enfants, j’ai décidé d’essayer. Je suis arrivée ici il y a 8 ans. C’était un changement brutal. J’ai commencé dans la rue et j’étais très nerveuse. Quand les clients s’approchaient je me mettais à pleurer. Je n’arrivais pas du tout à travailler. Au bout de 3 mois je suis rentrée en Espagne, et je ne voulais plus revenir. Mais la réalité m’a rattrapée ; sans travailler je ne pouvais pas m’en sortir. Alors je suis revenue et j’ai passé 1 an aux Pâquis à travailler dans la rue. Les conditions sont difficiles là-bas. Il faut partager un lieu de vie avec d’autres filles qui ont leurs habitudes et leur culture. Moi je ne bois pas, je ne fume pas, je ne prends pas de drogues. Donc c’était compliqué.
Maintenant j’ai mon propre appartement, je travaille ici toute seule et je me sens beaucoup plus à mon aise. Ce qui m’importe c’est la paix mentale et émotionnelle. Je travaille légalement, tous les voisins savent ce que je fais et ils sont très respectueux. Mais ce travail reste très mal vu, et quand dans mon entourage on me demande ce que je fais, je réponds que je fais des ménages. Je n’aime pas mentir, à l’intérieur de moi je sens que c’est mauvais. Mais je suis obligée sinon ils vont me critiquer. Mes enfants, eux, savent tout depuis le début. Je ne pourrais jamais leur mentir, on a une grande complicité. Ils me disent : “On te respecte, il n’y a rien de mal dans ce que tu fais. Tu as été à la fois une mère et un père pour nous.”
Le plus difficile c’est d’ouvrir la porte sans savoir comment ça va se passer. Mais je n’ai jamais eu de mauvaise expérience. Parce que je suis très claire avec mes prestations : ça je le fais, ça je le fais pas. Et pour moi c’est très important de faire les choses avec le cœur. Si un client paie pour 30 min, après 30 min je ne lui dis pas : allez, c’est terminé ! Non, je veux qu’il soit satisfait. Un jour, un client m’a montré que mon profil sur le site d’escort avait le plus d’étoiles. Je suis une des meilleures escorts de Genève (rires) ! J’ai des clients de toutes les classes sociales : des banquiers, des avocats, des peintres en bâtiment, des médecins… Mais tu sais, les clients ne viennent pas seulement pour le sexe. Beaucoup de gens souffrent de solitude ou de dépression et ils cherchent un peu de chaleur humaine.
Une fois, un client me racontait en pleurant : “À la maison on ne manque de rien, mais on ne fait plus l’amour avec ma femme. Je ne voulais pas venir, mais je n’ai pas d’autres options.” Il souffrait beaucoup. C’est ça la réalité. Et c’est difficile de voir un homme pleurer. Moi j’essaie de le consoler avec le cœur. D’une certaine manière on rend un service, nous, les prostituées. Et certains clients m’offrent même des fleurs ou des chocolats pour me remercier ! J’ai aussi noué de belles relations. J’ai un client régulier qui a des problèmes dans sa vie, et il vient trouver du soutien chez moi. Pendant la pandémie, je ne pouvais pas travailler et c’était très difficile financièrement. Et à son tour, il m’a énormément aidée. Il me donnait de l’argent et parfois il me faisait même mes courses. Tu vois, ce n’est pas qu’une question de sexe.
La chose la plus importante pour moi ce sont mes enfants. Je me suis beaucoup battue toute ma vie pour eux. Et je suis satisfaite avec ce travail parce que je peux aider ma famille à s’en sortir. Je gagne ici 2 ou 3 fois plus qu’en Espagne. Dans ma vie, je n’ai connu que des hommes violents, maintenant je fais ce travail, et je n’ai toujours pas grand-chose pour moi, mais je continue à me battre. Pour eux. Malgré toutes ces souffrances, je suis là et je suis bien dans ma tête. Je remercie Dieu de m’avoir donné cette force pour supporter tant de choses. Certaines personnes deviennent plus dures et fermées avec le temps. Mais moi, non. Avec le temps mon cœur s’est agrandi. J’aime aider les gens. L’argent va et vient, les amitiés vont et viennent. Mais développer ses propres qualités humaines, c’est le plus important.
Maintenant il faut que je commence à penser un peu à moi aussi. Jusqu’à présent je n’ai fait que penser aux autres, et je n’ai pas profité de la vie. Ici, c’est seulement le travail, le travail. Il faut être toujours là, disponible au cas où un client appelle. Je passe ma vie seule, je dine seule, même un 31 décembre ou le jour de mon anniversaire. Ma famille ma manque, la chaleur humaine me manque. Mes enfants sont de plus en plus stables désormais donc après cette année je pense arrêter. J’aimerais rentrer en Espagne. J’adore ce pays, je m’y sens bien et je peux y être heureuse avec peu de moyens. Je ne veux pas être un fardeau pour mes enfants. Si j’ai un petit logement, des pommes de terre et du riz, ça me suffit ! Je pourrai aller à la plage, à la piscine et passer voir des amis. Je vais enfin profiter de la vie, tu comprends ? »
Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie. | Traduit de l’espagnol
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« Je pourrais écrire tout un roman sur ma vie, il faut juste me trouver un éditeur (rires) ! J’ai eu une enfance très, très dure. J’ai grandi dans un village en Colombie avec ma mère, mon beau-père et mes 4 sœurs. On avait un champ où l’on cultivait de tout : du café, du maïs, des bananes, des tomates… C’était un lieu magnifique avec une rivière qui passait entre les champs. Mais on devait travailler de 7h du matin à 5h du soir depuis toutes petites. On a très peu été à l’école. Et si on refusait de travailler, mon beau-père nous tapait. Il était très violent et nous maltraitait toutes verbalement et physiquement. Moi il ne m’a pas violée, mais il violait mes sœurs plus jeunes, ses propres filles. En fait, on n’a pas eu d’enfance parce qu’on vivait au quotidien avec la peur de lui.
Vers 16 ans j’ai eu mon premier enfant. Mais le père aussi était machiste et violent. Et quand j’ai accouché, mes parents ont pris l’enfant en me disant que j’étais trop jeune. Après ça, j’ai quitté la maison et je n’ai plus vu personne pendant 5 années. Je vivais de petits boulots dans des cafés. Et au cours des années suivantes, j’ai eu trois enfants de deux autres pères. Ces deux-là étaient aussi très violents. Au bout d’un temps, comme je ne supportais plus la violence, j’ai commencé à boire. Puis je me suis dit : si je deviens alcoolique, je vais avoir une cirrhose et mourir, et qu’est-ce que vont devenir mes enfants ? Alors j’ai arrêté de boire et j’ai mis fin à la dernière relation après 14 ans de violence. Dans ma vie, toutes mes histoires d’amour m’ont été fatales…
Finalement, j’ai décidé de quitter la Colombie, et à 40 ans je suis arrivée en Espagne avec ma plus jeune fille. Pendant plusieurs années j’ai travaillé au noir avec des personnes âgées. J’ai adoré ça car j’ai un grand amour pour les personnes âgées ! Je travaillais non-stop mais je gagnais seulement 600€ par mois. Ça me permettait à peine de soutenir ma mère, mes enfants et moi-même. La dernière personne dont je me suis occupée avait Alzheimer. J’avais beaucoup d’affection pour elle, je la considérais comme ma propre famille. Puis il y a eu la crise en Espagne. En 15 jours ses enfants ont décidé de la mettre dans une résidence, et je me suis retrouvée sans rien. J’étais très attachée à cette dame et je suis tombée en dépression. J’aurais pu trouver une autre personne, mais j’étais blessée. Je ne voulais plus faire ce travail.
Puis une amie qui travaillait ici aux Pâquis m’a parlé de prostitution. Par nécessité économique, pour soutenir mes enfants, j’ai décidé d’essayer. Je suis arrivée ici il y a 8 ans. C’était un changement brutal. J’ai commencé dans la rue et j’étais très nerveuse. Quand les clients s’approchaient je me mettais à pleurer. Je n’arrivais pas du tout à travailler. Au bout de 3 mois je suis rentrée en Espagne, et je ne voulais plus revenir. Mais la réalité m’a rattrapée ; sans travailler je ne pouvais pas m’en sortir. Alors je suis revenue et j’ai passé 1 an aux Pâquis à travailler dans la rue. Les conditions sont difficiles là-bas. Il faut partager un lieu de vie avec d’autres filles qui ont leurs habitudes et leur culture. Moi je ne bois pas, je ne fume pas, je ne prends pas de drogues. Donc c’était compliqué.
Maintenant j’ai mon propre appartement, je travaille ici toute seule et je me sens beaucoup plus à mon aise. Ce qui m’importe c’est la paix mentale et émotionnelle. Je travaille légalement, tous les voisins savent ce que je fais et ils sont très respectueux. Mais ce travail reste très mal vu, et quand dans mon entourage on me demande ce que je fais, je réponds que je fais des ménages. Je n’aime pas mentir, à l’intérieur de moi je sens que c’est mauvais. Mais je suis obligée sinon ils vont me critiquer. Mes enfants, eux, savent tout depuis le début. Je ne pourrais jamais leur mentir, on a une grande complicité. Ils me disent : “On te respecte, il n’y a rien de mal dans ce que tu fais. Tu as été à la fois une mère et un père pour nous.”
Le plus difficile c’est d’ouvrir la porte sans savoir comment ça va se passer. Mais je n’ai jamais eu de mauvaise expérience. Parce que je suis très claire avec mes prestations : ça je le fais, ça je le fais pas. Et pour moi c’est très important de faire les choses avec le cœur. Si un client paie pour 30 min, après 30 min je ne lui dis pas : allez, c’est terminé ! Non, je veux qu’il soit satisfait. Un jour, un client m’a montré que mon profil sur le site d’escort avait le plus d’étoiles. Je suis une des meilleures escorts de Genève (rires) ! J’ai des clients de toutes les classes sociales : des banquiers, des avocats, des peintres en bâtiment, des médecins… Mais tu sais, les clients ne viennent pas seulement pour le sexe. Beaucoup de gens souffrent de solitude ou de dépression et ils cherchent un peu de chaleur humaine.
Une fois, un client me racontait en pleurant : “À la maison on ne manque de rien, mais on ne fait plus l’amour avec ma femme. Je ne voulais pas venir, mais je n’ai pas d’autres options.” Il souffrait beaucoup. C’est ça la réalité. Et c’est difficile de voir un homme pleurer. Moi j’essaie de le consoler avec le cœur. D’une certaine manière on rend un service, nous, les prostituées. Et certains clients m’offrent même des fleurs ou des chocolats pour me remercier ! J’ai aussi noué de belles relations. J’ai un client régulier qui a des problèmes dans sa vie, et il vient trouver du soutien chez moi. Pendant la pandémie, je ne pouvais pas travailler et c’était très difficile financièrement. Et à son tour, il m’a énormément aidée. Il me donnait de l’argent et parfois il me faisait même mes courses. Tu vois, ce n’est pas qu’une question de sexe.
La chose la plus importante pour moi ce sont mes enfants. Je me suis beaucoup battue toute ma vie pour eux. Et je suis satisfaite avec ce travail parce que je peux aider ma famille à s’en sortir. Je gagne ici 2 ou 3 fois plus qu’en Espagne. Dans ma vie, je n’ai connu que des hommes violents, maintenant je fais ce travail, et je n’ai toujours pas grand-chose pour moi, mais je continue à me battre. Pour eux. Malgré toutes ces souffrances, je suis là et je suis bien dans ma tête. Je remercie Dieu de m’avoir donné cette force pour supporter tant de choses. Certaines personnes deviennent plus dures et fermées avec le temps. Mais moi, non. Avec le temps mon cœur s’est agrandi. J’aime aider les gens. L’argent va et vient, les amitiés vont et viennent. Mais développer ses propres qualités humaines, c’est le plus important.
Maintenant il faut que je commence à penser un peu à moi aussi. Jusqu’à présent je n’ai fait que penser aux autres, et je n’ai pas profité de la vie. Ici, c’est seulement le travail, le travail. Il faut être toujours là, disponible au cas où un client appelle. Je passe ma vie seule, je dine seule, même un 31 décembre ou le jour de mon anniversaire. Ma famille ma manque, la chaleur humaine me manque. Mes enfants sont de plus en plus stables désormais donc après cette année je pense arrêter. J’aimerais rentrer en Espagne. J’adore ce pays, je m’y sens bien et je peux y être heureuse avec peu de moyens. Je ne veux pas être un fardeau pour mes enfants. Si j’ai un petit logement, des pommes de terre et du riz, ça me suffit ! Je pourrai aller à la plage, à la piscine et passer voir des amis. Je vais enfin profiter de la vie, tu comprends ? »
Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie. | Traduit de l’espagnol
« Je pourrais écrire tout un roman sur ma vie, il faut juste me trouver un éditeur (rires) ! J’ai eu une enfance très, très dure. J’ai grandi dans un village en Colombie avec ma mère, mon beau-père et mes 4 sœurs. On avait un champ où l’on cultivait de tout : du café, du maïs, des bananes, des tomates… C’était un lieu magnifique avec une rivière qui passait entre les champs. Mais on devait travailler de 7h du matin à 5h du soir depuis toutes petites. On a très peu été à l’école. Et si on refusait de travailler, mon beau-père nous tapait. Il était très violent et nous maltraitait toutes verbalement et physiquement. Moi il ne m’a pas violée, mais il violait mes sœurs plus jeunes, ses propres filles. En fait, on n’a pas eu d’enfance parce qu’on vivait au quotidien avec la peur de lui.
Vers 16 ans j’ai eu mon premier enfant. Mais le père aussi était machiste et violent. Et quand j’ai accouché, mes parents ont pris l’enfant en me disant que j’étais trop jeune. Après ça, j’ai quitté la maison et je n’ai plus vu personne pendant 5 années. Je vivais de petits boulots dans des cafés. Et au cours des années suivantes, j’ai eu trois enfants de deux autres pères. Ces deux-là étaient aussi très violents. Au bout d’un temps, comme je ne supportais plus la violence, j’ai commencé à boire. Puis je me suis dit : si je deviens alcoolique, je vais avoir une cirrhose et mourir, et qu’est-ce que vont devenir mes enfants ? Alors j’ai arrêté de boire et j’ai mis fin à la dernière relation après 14 ans de violence. Dans ma vie, toutes mes histoires d’amour m’ont été fatales…
Finalement, j’ai décidé de quitter la Colombie, et à 40 ans je suis arrivée en Espagne avec ma plus jeune fille. Pendant plusieurs années j’ai travaillé au noir avec des personnes âgées. J’ai adoré ça car j’ai un grand amour pour les personnes âgées ! Je travaillais non-stop mais je gagnais seulement 600€ par mois. Ça me permettait à peine de soutenir ma mère, mes enfants et moi-même. La dernière personne dont je me suis occupée avait Alzheimer. J’avais beaucoup d’affection pour elle, je la considérais comme ma propre famille. Puis il y a eu la crise en Espagne. En 15 jours ses enfants ont décidé de la mettre dans une résidence, et je me suis retrouvée sans rien. J’étais très attachée à cette dame et je suis tombée en dépression. J’aurais pu trouver une autre personne, mais j’étais blessée. Je ne voulais plus faire ce travail.
Puis une amie qui travaillait ici aux Pâquis m’a parlé de prostitution. Par nécessité économique, pour soutenir mes enfants, j’ai décidé d’essayer. Je suis arrivée ici il y a 8 ans. C’était un changement brutal. J’ai commencé dans la rue et j’étais très nerveuse. Quand les clients s’approchaient je me mettais à pleurer. Je n’arrivais pas du tout à travailler. Au bout de 3 mois je suis rentrée en Espagne, et je ne voulais plus revenir. Mais la réalité m’a rattrapée ; sans travailler je ne pouvais pas m’en sortir. Alors je suis revenue et j’ai passé 1 an aux Pâquis à travailler dans la rue. Les conditions sont difficiles là-bas. Il faut partager un lieu de vie avec d’autres filles qui ont leurs habitudes et leur culture. Moi je ne bois pas, je ne fume pas, je ne prends pas de drogues. Donc c’était compliqué.
Maintenant j’ai mon propre appartement, je travaille ici toute seule et je me sens beaucoup plus à mon aise. Ce qui m’importe c’est la paix mentale et émotionnelle. Je travaille légalement, tous les voisins savent ce que je fais et ils sont très respectueux. Mais ce travail reste très mal vu, et quand dans mon entourage on me demande ce que je fais, je réponds que je fais des ménages. Je n’aime pas mentir, à l’intérieur de moi je sens que c’est mauvais. Mais je suis obligée sinon ils vont me critiquer. Mes enfants, eux, savent tout depuis le début. Je ne pourrais jamais leur mentir, on a une grande complicité. Ils me disent : “On te respecte, il n’y a rien de mal dans ce que tu fais. Tu as été à la fois une mère et un père pour nous.”
Le plus difficile c’est d’ouvrir la porte sans savoir comment ça va se passer. Mais je n’ai jamais eu de mauvaise expérience. Parce que je suis très claire avec mes prestations : ça je le fais, ça je le fais pas. Et pour moi c’est très important de faire les choses avec le cœur. Si un client paie pour 30 min, après 30 min je ne lui dis pas : allez, c’est terminé ! Non, je veux qu’il soit satisfait. Un jour, un client m’a montré que mon profil sur le site d’escort avait le plus d’étoiles. Je suis une des meilleures escorts de Genève (rires) ! J’ai des clients de toutes les classes sociales : des banquiers, des avocats, des peintres en bâtiment, des médecins… Mais tu sais, les clients ne viennent pas seulement pour le sexe. Beaucoup de gens souffrent de solitude ou de dépression et ils cherchent un peu de chaleur humaine.
Une fois, un client me racontait en pleurant : “À la maison on ne manque de rien, mais on ne fait plus l’amour avec ma femme. Je ne voulais pas venir, mais je n’ai pas d’autres options.” Il souffrait beaucoup. C’est ça la réalité. Et c’est difficile de voir un homme pleurer. Moi j’essaie de le consoler avec le cœur. D’une certaine manière on rend un service, nous, les prostituées. Et certains clients m’offrent même des fleurs ou des chocolats pour me remercier ! J’ai aussi noué de belles relations. J’ai un client régulier qui a des problèmes dans sa vie, et il vient trouver du soutien chez moi. Pendant la pandémie, je ne pouvais pas travailler et c’était très difficile financièrement. Et à son tour, il m’a énormément aidée. Il me donnait de l’argent et parfois il me faisait même mes courses. Tu vois, ce n’est pas qu’une question de sexe.
La chose la plus importante pour moi ce sont mes enfants. Je me suis beaucoup battue toute ma vie pour eux. Et je suis satisfaite avec ce travail parce que je peux aider ma famille à s’en sortir. Je gagne ici 2 ou 3 fois plus qu’en Espagne. Dans ma vie, je n’ai connu que des hommes violents, maintenant je fais ce travail, et je n’ai toujours pas grand-chose pour moi, mais je continue à me battre. Pour eux. Malgré toutes ces souffrances, je suis là et je suis bien dans ma tête. Je remercie Dieu de m’avoir donné cette force pour supporter tant de choses. Certaines personnes deviennent plus dures et fermées avec le temps. Mais moi, non. Avec le temps mon cœur s’est agrandi. J’aime aider les gens. L’argent va et vient, les amitiés vont et viennent. Mais développer ses propres qualités humaines, c’est le plus important.
Maintenant il faut que je commence à penser un peu à moi aussi. Jusqu’à présent je n’ai fait que penser aux autres, et je n’ai pas profité de la vie. Ici, c’est seulement le travail, le travail. Il faut être toujours là, disponible au cas où un client appelle. Je passe ma vie seule, je dine seule, même un 31 décembre ou le jour de mon anniversaire. Ma famille ma manque, la chaleur humaine me manque. Mes enfants sont de plus en plus stables désormais donc après cette année je pense arrêter. J’aimerais rentrer en Espagne. J’adore ce pays, je m’y sens bien et je peux y être heureuse avec peu de moyens. Je ne veux pas être un fardeau pour mes enfants. Si j’ai un petit logement, des pommes de terre et du riz, ça me suffit ! Je pourrai aller à la plage, à la piscine et passer voir des amis. Je vais enfin profiter de la vie, tu comprends ? »
Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie. | Traduit de l’espagnol