« C’est très désagréable pour moi quand je repense à tout ce qui m’est arrivé. J’ai vécu des choses que tu ne peux pas imaginer. Je suis née à Medellin, en Colombie, dans une famille de 8 enfants. On vivait dans une maison confortable, une famille normale. Puis un jour, j’avais environ 6 ans et ma mère m’a demandé d’aller chercher du lait au magasin. Un de mes oncles m’attendait au coin de la rue, et quand je suis passée il m’a attrapée et il m’a violée. Ça s’est passé plusieurs fois et à chaque fois il me disait : « Si tu dis quoi que ce soit, je te tuerai. » C’était terrible. Je l’ai gardé en moi toute mon enfance, sans jamais en parler à quiconque. Je pensais que personne allait me croire. Mais très vite je me suis dit : quand je serai grande, j’aurai de l’argent et je payerai quelqu’un pour le tuer.

À 17 ans, mon père est mort dans un accident de voiture et la famille est tombée dans la ruine. Quand les piliers de la famille s’effondrent, tout s’effondre avec. Ma mère passait son temps à travailler et le peu d’argent qu’elle ramenait à la maison, mes frères le dépensaient pour se bourrer la gueule. Il nous restait à peine de quoi manger. C’était la misère. Nos frères nous frappaient, nous les filles, et même les frères de ma mère qui venaient s’occuper de nous, nous ont agressées sexuellement. Dans mon pays, tous les hommes de cette génération sont violents et machistes. Parce que leur mère leur enseigne depuis qu’ils sont petits qu’ils ont toujours raison. J’ai eu deux enfants de deux pères différents, et les deux ont été violents avec moi.

Comme l’insécurité était de pire en pire à cause des guérillas et des narcos, à 40 ans j’ai décidé de partir en Espagne. Mais je me suis promis qu’un jour je reviendrais me venger contre l’oncle qui m’avait violée. En arrivant en Espagne, mon contact m’a amenée dans un bar mais je n’ai pas compris pourquoi. Elle m’a dit : « Tu baises avec ton copain, non ? Ici ils te paient pour ça ! » Ça a été un grand choc. Je suis partie tout de suite et j’ai passé la nuit dans un parc. Je n’avais qu’une valise, rien à manger. Alors que je pleurais, seule dans le parc, une Vénézuélienne est venue me voir. Elle m’a raconté son histoire et elle m’a proposé de travailler avec elle dans un bordel ailleurs. Je ne voulais pas mais elle insisté : « Tu vas pouvoir gagner beaucoup d’argent, et tu pourras aider ta famille, etc. ». Et j’ai fini par la suivre.

Ma première passe était horrible. Le client était vulgaire, et brutal. Il n’arrivait pas à éjaculer et il avait besoin que je lui parle salement pour l’exciter. Puis il a voulu que je lui fasse une fellation sans protection. J’ai refusé. Il me dégoutait. Je n’oublierai jamais cet homme. C’était traumatisant. Cette nuit-là, j’ai pleuré pendant des heures. Je ne pensais qu’à m’enfuir. Je me suis dit : « Je suis arrivée ici avec mes propres traumatismes, et je me retrouve à faire ce travail. Quelle vie de merde ! » Je devais travailler tous les jours, de 17h à 5h du matin. La vérité c’est que j’ai fait beaucoup d’argent, ça je te le dis. Mais la prostitution c’est pas de l’argent facile, hein ! C’est de l’argent maudit ! Tu crois que c’est facile de coucher avec un mec bourré et dégoutant pendant que tu as 90’000 choses dans la tête ?

Comme tout était illégal, la police nous chassait comme des rats. J’ai été attrapée 5 fois, mais heureusement jamais expulsée. Après quelque temps, j’ai arrêté ce travail pour obtenir des papiers et faire venir mes enfants. J’ai travaillé comme cuisinière et femme de chambre pendant des années. Des boulots difficiles et très mal payés. Puis un jour j’ai décidé qu’il était temps d’aller en Colombie. Je voulais voir ma famille, et…j’avais ce désir de vengeance. J’ai vu ma mère, et la maison qu’elle avait construite avec l’argent que je lui envoyais. Puis je lui ai demandé des nouvelles de l’oncle. Mon plan était de payer quelqu’un pour le faire souffrir comme il m’avait fait souffrir. Et là… déception. Il était mort un an plus tôt. J’étais tellement frustrée… Mais si un jour je le croise en enfer, je l’attraperai !

De retour en Espagne, j’ai eu un grave accident de circulation au travail et j’avais besoin d’argent pour ma rééducation. J’avais visité la Suisse quelque temps auparavant et j’étais tombée amoureuse du pays. Et je savais qu’il y avait des opportunités dans le travail du sexe ici. Et c’est comme ça que j’ai repris la prostitution, à environ 50 ans, par nécessité financière et le corps encore douloureux de l’accident. Je travaillais avec quelques femmes dans un club à Genève. C’était un endroit illégal mais les clients étaient respectueux et j’ai pu gagner de l’argent pour payer ma rééducation. Il y avait des employés de l’aéroport, des avocats et mêmes des policiers qui venaient ! Mais après quelques années, la clientèle a changé et j’ai vécu là-bas des expériences traumatisantes.

La pire chose s’est passée il y a deux ans. Un jour, je suis rentrée avec un client dans une cabine, et tout de suite j’ai senti que quelque chose de mal allait se passer. Il a fermé la porte derrière moi et il m’a plaquée contre le lit. Il était très grand et costaud. J’ai commencé à crier, et il a hurlé : « Ferme ta gueule sale pute ! ». Il a plaqué sa main sur mon visage et il m’a violée avec une grande violence. C’était horrible. Avant de s’enfuir il m’a dit : « Si tu appelles la police, je te trancherai la tête. » Je suis entrée en état de choc. Je suis sortie du club comme un zombie. J’ai pris le train pour rentrer chez moi, et en descendant du train j’ai perdu connaissance. Plein d’autres filles avaient déjà été tabassées mais personne ne voulait appeler la police parce tout était illégal. Il fallait garder la bouche fermée.

Mais cette fois-ci pour moi c’était de trop. Un ami m’a mise en contact avec l’association Aspasie qui m’a aidée à porter plainte. J’ai tout raconté à la police, ce qui se passait dans ce club et ce qui m’était arrivé. Le club a été fermé quelques semaines, mais ensuite tout a repris comme avant. La police n’a rien fait ! Il y a quelques semaines, ils m’ont appelée pour une reconnaissance, mais il n’y avait que des hommes petits alors que je leur avais dit qu’il était grand et costaud ! Je n’ai plus aucune confiance dans la justice ici. Mais moi je le retrouverai un jour. Je continue de le rechercher partout à Genève. Parfois je couvre mon visage, et je cherche dans les rues où les filles travaillent. Chaque jour je me demande où est ce sale connard. Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a fait. Je te le dis, un jour je le trouverai…

Ma vie a été un chaos total. Depuis que je suis jeune, je suis remplie de colère contre tous ces hommes qui m’ont fait du mal, et contre moi-même aussi. Personne ne peut comprendre ce que ça fait à l’intérieur, la douleur, la colère. Et je suis frustrée de tous mes rêves que je n’ai jamais pu réaliser. J’essaie d’être forte, mais parfois les souvenirs remontent et ça me fait comme une boule dans le ventre. Ma psychologue m’a encouragée à m’ouvrir à ma fille. Mais c’est difficile, comment lui raconter des choses pareilles ? Je ne veux pas que son estime de moi baisse. Et mes enfants n’ont aucune idée du travail que j’ai fait. Il y a des moments où je me sens si mal que j’ai envie de ne plus exister. J’essaie de surmonter ces expériences, mais c’est difficile. Chaque jour je demande à Dieu de me donner la force et l’espoir d’avancer. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie. | Traduit de l’espagnol

« C’est très désagréable pour moi quand je repense à tout ce qui m’est arrivé. J’ai vécu des choses que tu ne peux pas imaginer. Je suis née à Medellin, en Colombie, dans une famille de 8 enfants. On vivait dans une maison confortable, une famille normale. Puis un jour, j’avais environ 6 ans et ma mère m’a demandé d’aller chercher du lait au magasin. Un de mes oncles m’attendait au coin de la rue, et quand je suis passée il m’a attrapée et il m’a violée. Ça s’est passé plusieurs fois et à chaque fois il me disait : « Si tu dis quoi que ce soit, je te tuerai. » C’était terrible. Je l’ai gardé en moi toute mon enfance, sans jamais en parler à quiconque. Je pensais que personne allait me croire. Mais très vite je me suis dit : quand je serai grande, j’aurai de l’argent et je payerai quelqu’un pour le tuer.

À 17 ans, mon père est mort dans un accident de voiture et la famille est tombée dans la ruine. Quand les piliers de la famille s’effondrent, tout s’effondre avec. Ma mère passait son temps à travailler et le peu d’argent qu’elle ramenait à la maison, mes frères le dépensaient pour se bourrer la gueule. Il nous restait à peine de quoi manger. C’était la misère. Nos frères nous frappaient, nous les filles, et même les frères de ma mère qui venaient s’occuper de nous, nous ont agressées sexuellement. Dans mon pays, tous les hommes de cette génération sont violents et machistes. Parce que leur mère leur enseigne depuis qu’ils sont petits qu’ils ont toujours raison. J’ai eu deux enfants de deux pères différents, et les deux ont été violents avec moi.

Comme l’insécurité était de pire en pire à cause des guérillas et des narcos, à 40 ans j’ai décidé de partir en Espagne. Mais je me suis promis qu’un jour je reviendrais me venger contre l’oncle qui m’avait violée. En arrivant en Espagne, mon contact m’a amenée dans un bar mais je n’ai pas compris pourquoi. Elle m’a dit : « Tu baises avec ton copain, non ? Ici ils te paient pour ça ! » Ça a été un grand choc. Je suis partie tout de suite et j’ai passé la nuit dans un parc. Je n’avais qu’une valise, rien à manger. Alors que je pleurais, seule dans le parc, une Vénézuélienne est venue me voir. Elle m’a raconté son histoire et elle m’a proposé de travailler avec elle dans un bordel ailleurs. Je ne voulais pas mais elle insisté : « Tu vas pouvoir gagner beaucoup d’argent, et tu pourras aider ta famille, etc. ». Et j’ai fini par la suivre.

Ma première passe était horrible. Le client était vulgaire, et brutal. Il n’arrivait pas à éjaculer et il avait besoin que je lui parle salement pour l’exciter. Puis il a voulu que je lui fasse une fellation sans protection. J’ai refusé. Il me dégoutait. Je n’oublierai jamais cet homme. C’était traumatisant. Cette nuit-là, j’ai pleuré pendant des heures. Je ne pensais qu’à m’enfuir. Je me suis dit : « Je suis arrivée ici avec mes propres traumatismes, et je me retrouve à faire ce travail. Quelle vie de merde ! » Je devais travailler tous les jours, de 17h à 5h du matin. La vérité c’est que j’ai fait beaucoup d’argent, ça je te le dis. Mais la prostitution c’est pas de l’argent facile, hein ! C’est de l’argent maudit ! Tu crois que c’est facile de coucher avec un mec bourré et dégoutant pendant que tu as 90’000 choses dans la tête ?

Comme tout était illégal, la police nous chassait comme des rats. J’ai été attrapée 5 fois, mais heureusement jamais expulsée. Après quelque temps, j’ai arrêté ce travail pour obtenir des papiers et faire venir mes enfants. J’ai travaillé comme cuisinière et femme de chambre pendant des années. Des boulots difficiles et très mal payés. Puis un jour j’ai décidé qu’il était temps d’aller en Colombie. Je voulais voir ma famille, et…j’avais ce désir de vengeance. J’ai vu ma mère, et la maison qu’elle avait construite avec l’argent que je lui envoyais. Puis je lui ai demandé des nouvelles de l’oncle. Mon plan était de payer quelqu’un pour le faire souffrir comme il m’avait fait souffrir. Et là… déception. Il était mort un an plus tôt. J’étais tellement frustrée… Mais si un jour je le croise en enfer, je l’attraperai !

De retour en Espagne, j’ai eu un grave accident de circulation au travail et j’avais besoin d’argent pour ma rééducation. J’avais visité la Suisse quelque temps auparavant et j’étais tombée amoureuse du pays. Et je savais qu’il y avait des opportunités dans le travail du sexe ici. Et c’est comme ça que j’ai repris la prostitution, à environ 50 ans, par nécessité financière et le corps encore douloureux de l’accident. Je travaillais avec quelques femmes dans un club à Genève. C’était un endroit illégal mais les clients étaient respectueux et j’ai pu gagner de l’argent pour payer ma rééducation. Il y avait des employés de l’aéroport, des avocats et mêmes des policiers qui venaient ! Mais après quelques années, la clientèle a changé et j’ai vécu là-bas des expériences traumatisantes.

La pire chose s’est passée il y a deux ans. Un jour, je suis rentrée avec un client dans une cabine, et tout de suite j’ai senti que quelque chose de mal allait se passer. Il a fermé la porte derrière moi et il m’a plaquée contre le lit. Il était très grand et costaud. J’ai commencé à crier, et il a hurlé : « Ferme ta gueule sale pute ! ». Il a plaqué sa main sur mon visage et il m’a violée avec une grande violence. C’était horrible. Avant de s’enfuir il m’a dit : « Si tu appelles la police, je te trancherai la tête. » Je suis entrée en état de choc. Je suis sortie du club comme un zombie. J’ai pris le train pour rentrer chez moi, et en descendant du train j’ai perdu connaissance. Plein d’autres filles avaient déjà été tabassées mais personne ne voulait appeler la police parce tout était illégal. Il fallait garder la bouche fermée.

Mais cette fois-ci pour moi c’était de trop. Un ami m’a mise en contact avec l’association Aspasie qui m’a aidée à porter plainte. J’ai tout raconté à la police, ce qui se passait dans ce club et ce qui m’était arrivé. Le club a été fermé quelques semaines, mais ensuite tout a repris comme avant. La police n’a rien fait ! Il y a quelques semaines, ils m’ont appelée pour une reconnaissance, mais il n’y avait que des hommes petits alors que je leur avais dit qu’il était grand et costaud ! Je n’ai plus aucune confiance dans la justice ici. Mais moi je le retrouverai un jour. Je continue de le rechercher partout à Genève. Parfois je couvre mon visage, et je cherche dans les rues où les filles travaillent. Chaque jour je me demande où est ce sale connard. Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a fait. Je te le dis, un jour je le trouverai…

Ma vie a été un chaos total. Depuis que je suis jeune, je suis remplie de colère contre tous ces hommes qui m’ont fait du mal, et contre moi-même aussi. Personne ne peut comprendre ce que ça fait à l’intérieur, la douleur, la colère. Et je suis frustrée de tous mes rêves que je n’ai jamais pu réaliser. J’essaie d’être forte, mais parfois les souvenirs remontent et ça me fait comme une boule dans le ventre. Ma psychologue m’a encouragée à m’ouvrir à ma fille. Mais c’est difficile, comment lui raconter des choses pareilles ? Je ne veux pas que son estime de moi baisse. Et mes enfants n’ont aucune idée du travail que j’ai fait. Il y a des moments où je me sens si mal que j’ai envie de ne plus exister. J’essaie de surmonter ces expériences, mais c’est difficile. Chaque jour je demande à Dieu de me donner la force et l’espoir d’avancer. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie. | Traduit de l’espagnol

Publié le: 30 mai 2023

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« C’est très désagréable pour moi quand je repense à tout ce qui m’est arrivé. J’ai vécu des choses que tu ne peux pas imaginer. Je suis née à Medellin, en Colombie, dans une famille de 8 enfants. On vivait dans une maison confortable, une famille normale. Puis un jour, j’avais environ 6 ans et ma mère m’a demandé d’aller chercher du lait au magasin. Un de mes oncles m’attendait au coin de la rue, et quand je suis passée il m’a attrapée et il m’a violée. Ça s’est passé plusieurs fois et à chaque fois il me disait : « Si tu dis quoi que ce soit, je te tuerai. » C’était terrible. Je l’ai gardé en moi toute mon enfance, sans jamais en parler à quiconque. Je pensais que personne allait me croire. Mais très vite je me suis dit : quand je serai grande, j’aurai de l’argent et je payerai quelqu’un pour le tuer.

À 17 ans, mon père est mort dans un accident de voiture et la famille est tombée dans la ruine. Quand les piliers de la famille s’effondrent, tout s’effondre avec. Ma mère passait son temps à travailler et le peu d’argent qu’elle ramenait à la maison, mes frères le dépensaient pour se bourrer la gueule. Il nous restait à peine de quoi manger. C’était la misère. Nos frères nous frappaient, nous les filles, et même les frères de ma mère qui venaient s’occuper de nous, nous ont agressées sexuellement. Dans mon pays, tous les hommes de cette génération sont violents et machistes. Parce que leur mère leur enseigne depuis qu’ils sont petits qu’ils ont toujours raison. J’ai eu deux enfants de deux pères différents, et les deux ont été violents avec moi.

Comme l’insécurité était de pire en pire à cause des guérillas et des narcos, à 40 ans j’ai décidé de partir en Espagne. Mais je me suis promis qu’un jour je reviendrais me venger contre l’oncle qui m’avait violée. En arrivant en Espagne, mon contact m’a amenée dans un bar mais je n’ai pas compris pourquoi. Elle m’a dit : « Tu baises avec ton copain, non ? Ici ils te paient pour ça ! » Ça a été un grand choc. Je suis partie tout de suite et j’ai passé la nuit dans un parc. Je n’avais qu’une valise, rien à manger. Alors que je pleurais, seule dans le parc, une Vénézuélienne est venue me voir. Elle m’a raconté son histoire et elle m’a proposé de travailler avec elle dans un bordel ailleurs. Je ne voulais pas mais elle insisté : « Tu vas pouvoir gagner beaucoup d’argent, et tu pourras aider ta famille, etc. ». Et j’ai fini par la suivre.

Ma première passe était horrible. Le client était vulgaire, et brutal. Il n’arrivait pas à éjaculer et il avait besoin que je lui parle salement pour l’exciter. Puis il a voulu que je lui fasse une fellation sans protection. J’ai refusé. Il me dégoutait. Je n’oublierai jamais cet homme. C’était traumatisant. Cette nuit-là, j’ai pleuré pendant des heures. Je ne pensais qu’à m’enfuir. Je me suis dit : « Je suis arrivée ici avec mes propres traumatismes, et je me retrouve à faire ce travail. Quelle vie de merde ! » Je devais travailler tous les jours, de 17h à 5h du matin. La vérité c’est que j’ai fait beaucoup d’argent, ça je te le dis. Mais la prostitution c’est pas de l’argent facile, hein ! C’est de l’argent maudit ! Tu crois que c’est facile de coucher avec un mec bourré et dégoutant pendant que tu as 90’000 choses dans la tête ?

Comme tout était illégal, la police nous chassait comme des rats. J’ai été attrapée 5 fois, mais heureusement jamais expulsée. Après quelque temps, j’ai arrêté ce travail pour obtenir des papiers et faire venir mes enfants. J’ai travaillé comme cuisinière et femme de chambre pendant des années. Des boulots difficiles et très mal payés. Puis un jour j’ai décidé qu’il était temps d’aller en Colombie. Je voulais voir ma famille, et…j’avais ce désir de vengeance. J’ai vu ma mère, et la maison qu’elle avait construite avec l’argent que je lui envoyais. Puis je lui ai demandé des nouvelles de l’oncle. Mon plan était de payer quelqu’un pour le faire souffrir comme il m’avait fait souffrir. Et là… déception. Il était mort un an plus tôt. J’étais tellement frustrée… Mais si un jour je le croise en enfer, je l’attraperai !

De retour en Espagne, j’ai eu un grave accident de circulation au travail et j’avais besoin d’argent pour ma rééducation. J’avais visité la Suisse quelque temps auparavant et j’étais tombée amoureuse du pays. Et je savais qu’il y avait des opportunités dans le travail du sexe ici. Et c’est comme ça que j’ai repris la prostitution, à environ 50 ans, par nécessité financière et le corps encore douloureux de l’accident. Je travaillais avec quelques femmes dans un club à Genève. C’était un endroit illégal mais les clients étaient respectueux et j’ai pu gagner de l’argent pour payer ma rééducation. Il y avait des employés de l’aéroport, des avocats et mêmes des policiers qui venaient ! Mais après quelques années, la clientèle a changé et j’ai vécu là-bas des expériences traumatisantes.

La pire chose s’est passée il y a deux ans. Un jour, je suis rentrée avec un client dans une cabine, et tout de suite j’ai senti que quelque chose de mal allait se passer. Il a fermé la porte derrière moi et il m’a plaquée contre le lit. Il était très grand et costaud. J’ai commencé à crier, et il a hurlé : « Ferme ta gueule sale pute ! ». Il a plaqué sa main sur mon visage et il m’a violée avec une grande violence. C’était horrible. Avant de s’enfuir il m’a dit : « Si tu appelles la police, je te trancherai la tête. » Je suis entrée en état de choc. Je suis sortie du club comme un zombie. J’ai pris le train pour rentrer chez moi, et en descendant du train j’ai perdu connaissance. Plein d’autres filles avaient déjà été tabassées mais personne ne voulait appeler la police parce tout était illégal. Il fallait garder la bouche fermée.

Mais cette fois-ci pour moi c’était de trop. Un ami m’a mise en contact avec l’association Aspasie qui m’a aidée à porter plainte. J’ai tout raconté à la police, ce qui se passait dans ce club et ce qui m’était arrivé. Le club a été fermé quelques semaines, mais ensuite tout a repris comme avant. La police n’a rien fait ! Il y a quelques semaines, ils m’ont appelée pour une reconnaissance, mais il n’y avait que des hommes petits alors que je leur avais dit qu’il était grand et costaud ! Je n’ai plus aucune confiance dans la justice ici. Mais moi je le retrouverai un jour. Je continue de le rechercher partout à Genève. Parfois je couvre mon visage, et je cherche dans les rues où les filles travaillent. Chaque jour je me demande où est ce sale connard. Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a fait. Je te le dis, un jour je le trouverai…

Ma vie a été un chaos total. Depuis que je suis jeune, je suis remplie de colère contre tous ces hommes qui m’ont fait du mal, et contre moi-même aussi. Personne ne peut comprendre ce que ça fait à l’intérieur, la douleur, la colère. Et je suis frustrée de tous mes rêves que je n’ai jamais pu réaliser. J’essaie d’être forte, mais parfois les souvenirs remontent et ça me fait comme une boule dans le ventre. Ma psychologue m’a encouragée à m’ouvrir à ma fille. Mais c’est difficile, comment lui raconter des choses pareilles ? Je ne veux pas que son estime de moi baisse. Et mes enfants n’ont aucune idée du travail que j’ai fait. Il y a des moments où je me sens si mal que j’ai envie de ne plus exister. J’essaie de surmonter ces expériences, mais c’est difficile. Chaque jour je demande à Dieu de me donner la force et l’espoir d’avancer. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie. | Traduit de l’espagnol

« C’est très désagréable pour moi quand je repense à tout ce qui m’est arrivé. J’ai vécu des choses que tu ne peux pas imaginer. Je suis née à Medellin, en Colombie, dans une famille de 8 enfants. On vivait dans une maison confortable, une famille normale. Puis un jour, j’avais environ 6 ans et ma mère m’a demandé d’aller chercher du lait au magasin. Un de mes oncles m’attendait au coin de la rue, et quand je suis passée il m’a attrapée et il m’a violée. Ça s’est passé plusieurs fois et à chaque fois il me disait : « Si tu dis quoi que ce soit, je te tuerai. » C’était terrible. Je l’ai gardé en moi toute mon enfance, sans jamais en parler à quiconque. Je pensais que personne allait me croire. Mais très vite je me suis dit : quand je serai grande, j’aurai de l’argent et je payerai quelqu’un pour le tuer.

À 17 ans, mon père est mort dans un accident de voiture et la famille est tombée dans la ruine. Quand les piliers de la famille s’effondrent, tout s’effondre avec. Ma mère passait son temps à travailler et le peu d’argent qu’elle ramenait à la maison, mes frères le dépensaient pour se bourrer la gueule. Il nous restait à peine de quoi manger. C’était la misère. Nos frères nous frappaient, nous les filles, et même les frères de ma mère qui venaient s’occuper de nous, nous ont agressées sexuellement. Dans mon pays, tous les hommes de cette génération sont violents et machistes. Parce que leur mère leur enseigne depuis qu’ils sont petits qu’ils ont toujours raison. J’ai eu deux enfants de deux pères différents, et les deux ont été violents avec moi.

Comme l’insécurité était de pire en pire à cause des guérillas et des narcos, à 40 ans j’ai décidé de partir en Espagne. Mais je me suis promis qu’un jour je reviendrais me venger contre l’oncle qui m’avait violée. En arrivant en Espagne, mon contact m’a amenée dans un bar mais je n’ai pas compris pourquoi. Elle m’a dit : « Tu baises avec ton copain, non ? Ici ils te paient pour ça ! » Ça a été un grand choc. Je suis partie tout de suite et j’ai passé la nuit dans un parc. Je n’avais qu’une valise, rien à manger. Alors que je pleurais, seule dans le parc, une Vénézuélienne est venue me voir. Elle m’a raconté son histoire et elle m’a proposé de travailler avec elle dans un bordel ailleurs. Je ne voulais pas mais elle insisté : « Tu vas pouvoir gagner beaucoup d’argent, et tu pourras aider ta famille, etc. ». Et j’ai fini par la suivre.

Ma première passe était horrible. Le client était vulgaire, et brutal. Il n’arrivait pas à éjaculer et il avait besoin que je lui parle salement pour l’exciter. Puis il a voulu que je lui fasse une fellation sans protection. J’ai refusé. Il me dégoutait. Je n’oublierai jamais cet homme. C’était traumatisant. Cette nuit-là, j’ai pleuré pendant des heures. Je ne pensais qu’à m’enfuir. Je me suis dit : « Je suis arrivée ici avec mes propres traumatismes, et je me retrouve à faire ce travail. Quelle vie de merde ! » Je devais travailler tous les jours, de 17h à 5h du matin. La vérité c’est que j’ai fait beaucoup d’argent, ça je te le dis. Mais la prostitution c’est pas de l’argent facile, hein ! C’est de l’argent maudit ! Tu crois que c’est facile de coucher avec un mec bourré et dégoutant pendant que tu as 90’000 choses dans la tête ?

Comme tout était illégal, la police nous chassait comme des rats. J’ai été attrapée 5 fois, mais heureusement jamais expulsée. Après quelque temps, j’ai arrêté ce travail pour obtenir des papiers et faire venir mes enfants. J’ai travaillé comme cuisinière et femme de chambre pendant des années. Des boulots difficiles et très mal payés. Puis un jour j’ai décidé qu’il était temps d’aller en Colombie. Je voulais voir ma famille, et…j’avais ce désir de vengeance. J’ai vu ma mère, et la maison qu’elle avait construite avec l’argent que je lui envoyais. Puis je lui ai demandé des nouvelles de l’oncle. Mon plan était de payer quelqu’un pour le faire souffrir comme il m’avait fait souffrir. Et là… déception. Il était mort un an plus tôt. J’étais tellement frustrée… Mais si un jour je le croise en enfer, je l’attraperai !

De retour en Espagne, j’ai eu un grave accident de circulation au travail et j’avais besoin d’argent pour ma rééducation. J’avais visité la Suisse quelque temps auparavant et j’étais tombée amoureuse du pays. Et je savais qu’il y avait des opportunités dans le travail du sexe ici. Et c’est comme ça que j’ai repris la prostitution, à environ 50 ans, par nécessité financière et le corps encore douloureux de l’accident. Je travaillais avec quelques femmes dans un club à Genève. C’était un endroit illégal mais les clients étaient respectueux et j’ai pu gagner de l’argent pour payer ma rééducation. Il y avait des employés de l’aéroport, des avocats et mêmes des policiers qui venaient ! Mais après quelques années, la clientèle a changé et j’ai vécu là-bas des expériences traumatisantes.

La pire chose s’est passée il y a deux ans. Un jour, je suis rentrée avec un client dans une cabine, et tout de suite j’ai senti que quelque chose de mal allait se passer. Il a fermé la porte derrière moi et il m’a plaquée contre le lit. Il était très grand et costaud. J’ai commencé à crier, et il a hurlé : « Ferme ta gueule sale pute ! ». Il a plaqué sa main sur mon visage et il m’a violée avec une grande violence. C’était horrible. Avant de s’enfuir il m’a dit : « Si tu appelles la police, je te trancherai la tête. » Je suis entrée en état de choc. Je suis sortie du club comme un zombie. J’ai pris le train pour rentrer chez moi, et en descendant du train j’ai perdu connaissance. Plein d’autres filles avaient déjà été tabassées mais personne ne voulait appeler la police parce tout était illégal. Il fallait garder la bouche fermée.

Mais cette fois-ci pour moi c’était de trop. Un ami m’a mise en contact avec l’association Aspasie qui m’a aidée à porter plainte. J’ai tout raconté à la police, ce qui se passait dans ce club et ce qui m’était arrivé. Le club a été fermé quelques semaines, mais ensuite tout a repris comme avant. La police n’a rien fait ! Il y a quelques semaines, ils m’ont appelée pour une reconnaissance, mais il n’y avait que des hommes petits alors que je leur avais dit qu’il était grand et costaud ! Je n’ai plus aucune confiance dans la justice ici. Mais moi je le retrouverai un jour. Je continue de le rechercher partout à Genève. Parfois je couvre mon visage, et je cherche dans les rues où les filles travaillent. Chaque jour je me demande où est ce sale connard. Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a fait. Je te le dis, un jour je le trouverai…

Ma vie a été un chaos total. Depuis que je suis jeune, je suis remplie de colère contre tous ces hommes qui m’ont fait du mal, et contre moi-même aussi. Personne ne peut comprendre ce que ça fait à l’intérieur, la douleur, la colère. Et je suis frustrée de tous mes rêves que je n’ai jamais pu réaliser. J’essaie d’être forte, mais parfois les souvenirs remontent et ça me fait comme une boule dans le ventre. Ma psychologue m’a encouragée à m’ouvrir à ma fille. Mais c’est difficile, comment lui raconter des choses pareilles ? Je ne veux pas que son estime de moi baisse. Et mes enfants n’ont aucune idée du travail que j’ai fait. Il y a des moments où je me sens si mal que j’ai envie de ne plus exister. J’essaie de surmonter ces expériences, mais c’est difficile. Chaque jour je demande à Dieu de me donner la force et l’espoir d’avancer. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie. | Traduit de l’espagnol

Publié le: 30 mai 2023

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