« Je suis née Suisse, à Genève, dans une famille normale. Mais enfant je me sentais déjà différente. Depuis toute petite j’avais pas envie de vivre. Je me souviens que lorsque je me couchais, je faisais des prières pour ne pas me réveiller le lendemain. J’étais pas du tout scolaire, j’aimais la liberté, être dehors, loin des salles de classe. J’arrivais pas à me projeter dans le futur et j’avais le sentiment que personne ne croyait en moi. Avec le temps, la sensation d’être en dehors des normes n’a fait que grandir. À partir de 14 ans, j’ai commencé à avoir des envies suicidaires. J’étais assez décidée. Pour moi, la vie ne valait pas le coup. J’avais besoin d’aide mais j’arrivais pas du tout à en demander. Je parlais à personne de toutes ces pensées. Puis un jour où je me sentais pas bien, j’ai avalé du poison sur un coup de tête.

J’avais 18 ans. Je savais pas vraiment si ça allait marcher. C’était plutôt pour jouer la vie à pile ou face, ne pas choisir, s’en remettre au destin. Je me suis allongée sur mon lit, et j’ai commencé à ressentir des coupures très nettes avec la réalité. Je me retrouvais tout à coup dans un autre environnement avec des amis, puis ça coupait et je me retrouvais ailleurs. À un moment, mon lit s’est comme transformé en une sorte de cercueil. J’arrivais presque plus à respirer. Je me suis dit que j’allais mourir et que ma famille allait me retrouver comme ça, étouffée. Mais j’ai réussi à me calmer, et j’ai fini par m’endormir. Le lendemain, à mon réveil, je voyais plus rien. Tous les effets secondaires ont disparu après 3 semaines environ. Mais les pensées suicidaires, elles, ont persisté.

À côté de tout ça, j’avais jamais eu de relation amoureuse. J’ai toujours détesté les jeux de séduction, j’ai jamais voulu être en couple. Et ça alimentait aussi mon sentiment général d’inadéquation. Donc à 20 ans, j’étais suicidaire, en échec scolaire, et encore vierge… Puis un jour, j’ai eu une idée un peu saugrenue. J’avais lu sur internet l’histoire d’une femme qui avait vendu sa virginité pour des millions. C’était un fake, mais l’idée m’est restée. Et un soir j’ai dit à mes amies : « Je vais vendre ma virginité pour 1 million, j’achèterai un appart et on vivra toutes ensemble ! » Au départ c’était juste un délire entre potes. Mais ce soir-là dans mon lit, je me suis dit que je pourrais vraiment le faire. Que ça serait horrible mais ça serait juste une fois. Et ça m’aiderait peut-être avec mon blocage sentimental…

J’ai mis une annonce sur un site de « sugar dating », où des hommes aisés recherchent des femmes jeunes. Au début  j’y croyais pas, mais plusieurs personnes étaient intéressées. J’ai d’abord demandé 60’000 balles, mais ça n’a pas marché. Finalement, un gars a accepté pour 15’000. Je l’ai d’abord rencontré pour discuter. Il voulait 4 rendez-vous, et qu’on y aille petit à petit. C’était un mec de 50 ans. En vrai, il me dégoutait un peu, mais il avait l’air chou donc ça allait. Quand je suis arrivée dans l’hôtel pour le premier rendez-vous… Ah là là, c’était horrible ! Un des moments les plus stressants de ma vie. Et en sortant de l’hôtel, j’avais l’impression que tout le monde savait ce que j’avais fait. Mais je m’en foutais, je me sentais invincible. J’avais le sentiment d’être capable de tout. Et depuis ce jour, je n’ai plus jamais été suicidaire.

Après les 4 rendez-vous, il a dit qu’il voulait continuer à me voir. J’ai accepté pour 400 francs par rencontre. Et je me suis dit : quitte à le voir lui, autant en voir d’autres ! Et c’est comme ça que j’ai vraiment commencé. Mais j’avais même pas l’impression de me prostituer. Sur ces sites, les gens cherchent une relation. Alors tu discutes beaucoup, tu leur fais croire que tu vois personne d’autre. Je faisais semblant d’être amoureuse, semblant de jouir, etc. Eux, ce qui flattait leur ego, c’est de faire plaisir à une jeunette de 20 ans. Ils se sentent plus pisser ! Et ils ont tous cette posture : moi je suis pas comme les autres, t’as vraiment de la chance de m’avoir. Vraiment tous ! Chez certains, je sentais que y’avait vraiment des sentiments. Mais je demandais toujours à être payée. Pour moi c’était vraiment que le fric.

Ça n’empêchait pas que je puisse avoir de l’affection pour certains. J’en avais un très bourru mais très chou. Et il m’emmenait dans des hôtels de luxe, des restos étoilés, des spas. Ce côté de la prostitution, il est trop cool pour moi ! Mais j’y connaissais rien et je prenais beaucoup de risques parce que j’utilisais pas de préservatifs. Au bout d’un an et demi j’ai contacté l’association Aspasie, et c’est là que j’ai réalisé que je faisais de la merde : je me protégeais pas, je faisais des prix de merde, et je travaillais illégalement. Donc je me suis inscrite à la police des moeurs et j’ai passé un casting dans une agence d’escort de luxe. Ça fait quelques mois que je travaille là-bas maintenant, et les tarifs sont bien meilleurs ! Du coup, j’ai arrêté avec la plupart des « sugar daddy »sauf quelques-uns de mes préférés.

Quand j’ai commencé y’a 2 ans, j’avais une vision très positive du travail du sexe, que ça avait un côté émancipateur. J’avais ce sentiment de m’être réapproprié ma vie. Mais depuis, ma vision a changé. Sur le court terme ça semble aider, comme quand on prend de la drogue, mais pas sur le long terme. Y’a des schémas autodestructeurs qui vont avec. Au début, j’étais vraiment dégoutée, et j’ai réussi à me protéger en me dissociant, en créant un personnage qui vit ces expériences à ma place. Mon personnage est une fille qui prend sa vie en main, qui n’a peur de rien, elle n’a aucune limite. Et à côté, y’a toujours cette petite fille qui étudie et qui n’arrive à rien. J’ai commencé à détester cette fille et à adorer mon personnage. Mais j’ai aussi commencé à sentir que je pouvais avoir un côté manipulateur à travers mon personnage…

Je n’ai plus de limite morale, je suis capable de tout. J’ai même trahi des amies pour des histoires de fric. Y’a des soirées que je pourrais passer avec des potes, mais je vais travailler. Parfois sans même savoir pourquoi. Je crois que je suis devenue un peu accro au fric. En travaillant avec l’agence, je me suis vite retrouvée avec énormément d’argent planqué sous mon lit. La plupart des femmes font ce travail par nécessité économique, mais moi, je vis encore chez mes parents. Donc la tune j’en ai pas vraiment besoin en fait. Mais ça nourrit en moi ce sentiment de toute puissance, d’invincibilité. Ce truc d’adrénaline, de toujours en vouloir plus. Un sentiment de culpabilité commence à grandir en moi. Parfois je me dis : oh mon Dieu, mais qui suis-je devenue ?

Le truc qui me fait le plus souffrir c’est de devoir tout cacher. Ça me fait mentir sur tellement de choses. Le plus difficile c’est de mentir à mes parents. À la base j’ai une bonne relation avec eux. Et parfois, je les regarde dans les yeux et je m’imagine tout leur raconter. Mais j’ai trop peur de leur réaction. Alors pourquoi je continue ? Mon personnage représente encore mon idéal, à un moment, j’ai presque voulu devenir seulement elle. Et j’ai peur que si je la lâche, je vais redevenir la jeune fille suicidaire que j’étais. Mais je commence à me dire que y’a pas 2 identités, et que ces forces ne vont pas disparaitre. Mais j’en suis pas encore tout à fait là. Et j’aime vivre des choses hors norme, et le sentiment d’illimité que m’apporte l’argent. Grâce à ça, je ne suis plus suicidaire et je sens que la vie en vaut la peine ! »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie.

« Je suis née Suisse, à Genève, dans une famille normale. Mais enfant je me sentais déjà différente. Depuis toute petite j’avais pas envie de vivre. Je me souviens que lorsque je me couchais, je faisais des prières pour ne pas me réveiller le lendemain. J’étais pas du tout scolaire, j’aimais la liberté, être dehors, loin des salles de classe. J’arrivais pas à me projeter dans le futur et j’avais le sentiment que personne ne croyait en moi. Avec le temps, la sensation d’être en dehors des normes n’a fait que grandir. À partir de 14 ans, j’ai commencé à avoir des envies suicidaires. J’étais assez décidée. Pour moi, la vie ne valait pas le coup. J’avais besoin d’aide mais j’arrivais pas du tout à en demander. Je parlais à personne de toutes ces pensées. Puis un jour où je me sentais pas bien, j’ai avalé du poison sur un coup de tête.

J’avais 18 ans. Je savais pas vraiment si ça allait marcher. C’était plutôt pour jouer la vie à pile ou face, ne pas choisir, s’en remettre au destin. Je me suis allongée sur mon lit, et j’ai commencé à ressentir des coupures très nettes avec la réalité. Je me retrouvais tout à coup dans un autre environnement avec des amis, puis ça coupait et je me retrouvais ailleurs. À un moment, mon lit s’est comme transformé en une sorte de cercueil. J’arrivais presque plus à respirer. Je me suis dit que j’allais mourir et que ma famille allait me retrouver comme ça, étouffée. Mais j’ai réussi à me calmer, et j’ai fini par m’endormir. Le lendemain, à mon réveil, je voyais plus rien. Tous les effets secondaires ont disparu après 3 semaines environ. Mais les pensées suicidaires, elles, ont persisté.

À côté de tout ça, j’avais jamais eu de relation amoureuse. J’ai toujours détesté les jeux de séduction, j’ai jamais voulu être en couple. Et ça alimentait aussi mon sentiment général d’inadéquation. Donc à 20 ans, j’étais suicidaire, en échec scolaire, et encore vierge… Puis un jour, j’ai eu une idée un peu saugrenue. J’avais lu sur internet l’histoire d’une femme qui avait vendu sa virginité pour des millions. C’était un fake, mais l’idée m’est restée. Et un soir j’ai dit à mes amies : « Je vais vendre ma virginité pour 1 million, j’achèterai un appart et on vivra toutes ensemble ! » Au départ c’était juste un délire entre potes. Mais ce soir-là dans mon lit, je me suis dit que je pourrais vraiment le faire. Que ça serait horrible mais ça serait juste une fois. Et ça m’aiderait peut-être avec mon blocage sentimental…

J’ai mis une annonce sur un site de « sugar dating », où des hommes aisés recherchent des femmes jeunes. Au début  j’y croyais pas, mais plusieurs personnes étaient intéressées. J’ai d’abord demandé 60’000 balles, mais ça n’a pas marché. Finalement, un gars a accepté pour 15’000. Je l’ai d’abord rencontré pour discuter. Il voulait 4 rendez-vous, et qu’on y aille petit à petit. C’était un mec de 50 ans. En vrai, il me dégoutait un peu, mais il avait l’air chou donc ça allait. Quand je suis arrivée dans l’hôtel pour le premier rendez-vous… Ah là là, c’était horrible ! Un des moments les plus stressants de ma vie. Et en sortant de l’hôtel, j’avais l’impression que tout le monde savait ce que j’avais fait. Mais je m’en foutais, je me sentais invincible. J’avais le sentiment d’être capable de tout. Et depuis ce jour, je n’ai plus jamais été suicidaire.

Après les 4 rendez-vous, il a dit qu’il voulait continuer à me voir. J’ai accepté pour 400 francs par rencontre. Et je me suis dit : quitte à le voir lui, autant en voir d’autres ! Et c’est comme ça que j’ai vraiment commencé. Mais j’avais même pas l’impression de me prostituer. Sur ces sites, les gens cherchent une relation. Alors tu discutes beaucoup, tu leur fais croire que tu vois personne d’autre. Je faisais semblant d’être amoureuse, semblant de jouir, etc. Eux, ce qui flattait leur ego, c’est de faire plaisir à une jeunette de 20 ans. Ils se sentent plus pisser ! Et ils ont tous cette posture : moi je suis pas comme les autres, t’as vraiment de la chance de m’avoir. Vraiment tous ! Chez certains, je sentais que y’avait vraiment des sentiments. Mais je demandais toujours à être payée. Pour moi c’était vraiment que le fric.

Ça n’empêchait pas que je puisse avoir de l’affection pour certains. J’en avais un très bourru mais très chou. Et il m’emmenait dans des hôtels de luxe, des restos étoilés, des spas. Ce côté de la prostitution, il est trop cool pour moi ! Mais j’y connaissais rien et je prenais beaucoup de risques parce que j’utilisais pas de préservatifs. Au bout d’un an et demi j’ai contacté l’association Aspasie, et c’est là que j’ai réalisé que je faisais de la merde : je me protégeais pas, je faisais des prix de merde, et je travaillais illégalement. Donc je me suis inscrite à la police des moeurs et j’ai passé un casting dans une agence d’escort de luxe. Ça fait quelques mois que je travaille là-bas maintenant, et les tarifs sont bien meilleurs ! Du coup, j’ai arrêté avec la plupart des « sugar daddy »sauf quelques-uns de mes préférés.

Quand j’ai commencé y’a 2 ans, j’avais une vision très positive du travail du sexe, que ça avait un côté émancipateur. J’avais ce sentiment de m’être réapproprié ma vie. Mais depuis, ma vision a changé. Sur le court terme ça semble aider, comme quand on prend de la drogue, mais pas sur le long terme. Y’a des schémas autodestructeurs qui vont avec. Au début, j’étais vraiment dégoutée, et j’ai réussi à me protéger en me dissociant, en créant un personnage qui vit ces expériences à ma place. Mon personnage est une fille qui prend sa vie en main, qui n’a peur de rien, elle n’a aucune limite. Et à côté, y’a toujours cette petite fille qui étudie et qui n’arrive à rien. J’ai commencé à détester cette fille et à adorer mon personnage. Mais j’ai aussi commencé à sentir que je pouvais avoir un côté manipulateur à travers mon personnage…

Je n’ai plus de limite morale, je suis capable de tout. J’ai même trahi des amies pour des histoires de fric. Y’a des soirées que je pourrais passer avec des potes, mais je vais travailler. Parfois sans même savoir pourquoi. Je crois que je suis devenue un peu accro au fric. En travaillant avec l’agence, je me suis vite retrouvée avec énormément d’argent planqué sous mon lit. La plupart des femmes font ce travail par nécessité économique, mais moi, je vis encore chez mes parents. Donc la tune j’en ai pas vraiment besoin en fait. Mais ça nourrit en moi ce sentiment de toute puissance, d’invincibilité. Ce truc d’adrénaline, de toujours en vouloir plus. Un sentiment de culpabilité commence à grandir en moi. Parfois je me dis : oh mon Dieu, mais qui suis-je devenue ?

Le truc qui me fait le plus souffrir c’est de devoir tout cacher. Ça me fait mentir sur tellement de choses. Le plus difficile c’est de mentir à mes parents. À la base j’ai une bonne relation avec eux. Et parfois, je les regarde dans les yeux et je m’imagine tout leur raconter. Mais j’ai trop peur de leur réaction. Alors pourquoi je continue ? Mon personnage représente encore mon idéal, à un moment, j’ai presque voulu devenir seulement elle. Et j’ai peur que si je la lâche, je vais redevenir la jeune fille suicidaire que j’étais. Mais je commence à me dire que y’a pas 2 identités, et que ces forces ne vont pas disparaitre. Mais j’en suis pas encore tout à fait là. Et j’aime vivre des choses hors norme, et le sentiment d’illimité que m’apporte l’argent. Grâce à ça, je ne suis plus suicidaire et je sens que la vie en vaut la peine ! »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie.

Publié le: 2 juin 2023

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« Je suis née Suisse, à Genève, dans une famille normale. Mais enfant je me sentais déjà différente. Depuis toute petite j’avais pas envie de vivre. Je me souviens que lorsque je me couchais, je faisais des prières pour ne pas me réveiller le lendemain. J’étais pas du tout scolaire, j’aimais la liberté, être dehors, loin des salles de classe. J’arrivais pas à me projeter dans le futur et j’avais le sentiment que personne ne croyait en moi. Avec le temps, la sensation d’être en dehors des normes n’a fait que grandir. À partir de 14 ans, j’ai commencé à avoir des envies suicidaires. J’étais assez décidée. Pour moi, la vie ne valait pas le coup. J’avais besoin d’aide mais j’arrivais pas du tout à en demander. Je parlais à personne de toutes ces pensées. Puis un jour où je me sentais pas bien, j’ai avalé du poison sur un coup de tête.

J’avais 18 ans. Je savais pas vraiment si ça allait marcher. C’était plutôt pour jouer la vie à pile ou face, ne pas choisir, s’en remettre au destin. Je me suis allongée sur mon lit, et j’ai commencé à ressentir des coupures très nettes avec la réalité. Je me retrouvais tout à coup dans un autre environnement avec des amis, puis ça coupait et je me retrouvais ailleurs. À un moment, mon lit s’est comme transformé en une sorte de cercueil. J’arrivais presque plus à respirer. Je me suis dit que j’allais mourir et que ma famille allait me retrouver comme ça, étouffée. Mais j’ai réussi à me calmer, et j’ai fini par m’endormir. Le lendemain, à mon réveil, je voyais plus rien. Tous les effets secondaires ont disparu après 3 semaines environ. Mais les pensées suicidaires, elles, ont persisté.

À côté de tout ça, j’avais jamais eu de relation amoureuse. J’ai toujours détesté les jeux de séduction, j’ai jamais voulu être en couple. Et ça alimentait aussi mon sentiment général d’inadéquation. Donc à 20 ans, j’étais suicidaire, en échec scolaire, et encore vierge… Puis un jour, j’ai eu une idée un peu saugrenue. J’avais lu sur internet l’histoire d’une femme qui avait vendu sa virginité pour des millions. C’était un fake, mais l’idée m’est restée. Et un soir j’ai dit à mes amies : « Je vais vendre ma virginité pour 1 million, j’achèterai un appart et on vivra toutes ensemble ! » Au départ c’était juste un délire entre potes. Mais ce soir-là dans mon lit, je me suis dit que je pourrais vraiment le faire. Que ça serait horrible mais ça serait juste une fois. Et ça m’aiderait peut-être avec mon blocage sentimental…

J’ai mis une annonce sur un site de « sugar dating », où des hommes aisés recherchent des femmes jeunes. Au début  j’y croyais pas, mais plusieurs personnes étaient intéressées. J’ai d’abord demandé 60’000 balles, mais ça n’a pas marché. Finalement, un gars a accepté pour 15’000. Je l’ai d’abord rencontré pour discuter. Il voulait 4 rendez-vous, et qu’on y aille petit à petit. C’était un mec de 50 ans. En vrai, il me dégoutait un peu, mais il avait l’air chou donc ça allait. Quand je suis arrivée dans l’hôtel pour le premier rendez-vous… Ah là là, c’était horrible ! Un des moments les plus stressants de ma vie. Et en sortant de l’hôtel, j’avais l’impression que tout le monde savait ce que j’avais fait. Mais je m’en foutais, je me sentais invincible. J’avais le sentiment d’être capable de tout. Et depuis ce jour, je n’ai plus jamais été suicidaire.

Après les 4 rendez-vous, il a dit qu’il voulait continuer à me voir. J’ai accepté pour 400 francs par rencontre. Et je me suis dit : quitte à le voir lui, autant en voir d’autres ! Et c’est comme ça que j’ai vraiment commencé. Mais j’avais même pas l’impression de me prostituer. Sur ces sites, les gens cherchent une relation. Alors tu discutes beaucoup, tu leur fais croire que tu vois personne d’autre. Je faisais semblant d’être amoureuse, semblant de jouir, etc. Eux, ce qui flattait leur ego, c’est de faire plaisir à une jeunette de 20 ans. Ils se sentent plus pisser ! Et ils ont tous cette posture : moi je suis pas comme les autres, t’as vraiment de la chance de m’avoir. Vraiment tous ! Chez certains, je sentais que y’avait vraiment des sentiments. Mais je demandais toujours à être payée. Pour moi c’était vraiment que le fric.

Ça n’empêchait pas que je puisse avoir de l’affection pour certains. J’en avais un très bourru mais très chou. Et il m’emmenait dans des hôtels de luxe, des restos étoilés, des spas. Ce côté de la prostitution, il est trop cool pour moi ! Mais j’y connaissais rien et je prenais beaucoup de risques parce que j’utilisais pas de préservatifs. Au bout d’un an et demi j’ai contacté l’association Aspasie, et c’est là que j’ai réalisé que je faisais de la merde : je me protégeais pas, je faisais des prix de merde, et je travaillais illégalement. Donc je me suis inscrite à la police des moeurs et j’ai passé un casting dans une agence d’escort de luxe. Ça fait quelques mois que je travaille là-bas maintenant, et les tarifs sont bien meilleurs ! Du coup, j’ai arrêté avec la plupart des « sugar daddy »sauf quelques-uns de mes préférés.

Quand j’ai commencé y’a 2 ans, j’avais une vision très positive du travail du sexe, que ça avait un côté émancipateur. J’avais ce sentiment de m’être réapproprié ma vie. Mais depuis, ma vision a changé. Sur le court terme ça semble aider, comme quand on prend de la drogue, mais pas sur le long terme. Y’a des schémas autodestructeurs qui vont avec. Au début, j’étais vraiment dégoutée, et j’ai réussi à me protéger en me dissociant, en créant un personnage qui vit ces expériences à ma place. Mon personnage est une fille qui prend sa vie en main, qui n’a peur de rien, elle n’a aucune limite. Et à côté, y’a toujours cette petite fille qui étudie et qui n’arrive à rien. J’ai commencé à détester cette fille et à adorer mon personnage. Mais j’ai aussi commencé à sentir que je pouvais avoir un côté manipulateur à travers mon personnage…

Je n’ai plus de limite morale, je suis capable de tout. J’ai même trahi des amies pour des histoires de fric. Y’a des soirées que je pourrais passer avec des potes, mais je vais travailler. Parfois sans même savoir pourquoi. Je crois que je suis devenue un peu accro au fric. En travaillant avec l’agence, je me suis vite retrouvée avec énormément d’argent planqué sous mon lit. La plupart des femmes font ce travail par nécessité économique, mais moi, je vis encore chez mes parents. Donc la tune j’en ai pas vraiment besoin en fait. Mais ça nourrit en moi ce sentiment de toute puissance, d’invincibilité. Ce truc d’adrénaline, de toujours en vouloir plus. Un sentiment de culpabilité commence à grandir en moi. Parfois je me dis : oh mon Dieu, mais qui suis-je devenue ?

Le truc qui me fait le plus souffrir c’est de devoir tout cacher. Ça me fait mentir sur tellement de choses. Le plus difficile c’est de mentir à mes parents. À la base j’ai une bonne relation avec eux. Et parfois, je les regarde dans les yeux et je m’imagine tout leur raconter. Mais j’ai trop peur de leur réaction. Alors pourquoi je continue ? Mon personnage représente encore mon idéal, à un moment, j’ai presque voulu devenir seulement elle. Et j’ai peur que si je la lâche, je vais redevenir la jeune fille suicidaire que j’étais. Mais je commence à me dire que y’a pas 2 identités, et que ces forces ne vont pas disparaitre. Mais j’en suis pas encore tout à fait là. Et j’aime vivre des choses hors norme, et le sentiment d’illimité que m’apporte l’argent. Grâce à ça, je ne suis plus suicidaire et je sens que la vie en vaut la peine ! »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie.

« Je suis née Suisse, à Genève, dans une famille normale. Mais enfant je me sentais déjà différente. Depuis toute petite j’avais pas envie de vivre. Je me souviens que lorsque je me couchais, je faisais des prières pour ne pas me réveiller le lendemain. J’étais pas du tout scolaire, j’aimais la liberté, être dehors, loin des salles de classe. J’arrivais pas à me projeter dans le futur et j’avais le sentiment que personne ne croyait en moi. Avec le temps, la sensation d’être en dehors des normes n’a fait que grandir. À partir de 14 ans, j’ai commencé à avoir des envies suicidaires. J’étais assez décidée. Pour moi, la vie ne valait pas le coup. J’avais besoin d’aide mais j’arrivais pas du tout à en demander. Je parlais à personne de toutes ces pensées. Puis un jour où je me sentais pas bien, j’ai avalé du poison sur un coup de tête.

J’avais 18 ans. Je savais pas vraiment si ça allait marcher. C’était plutôt pour jouer la vie à pile ou face, ne pas choisir, s’en remettre au destin. Je me suis allongée sur mon lit, et j’ai commencé à ressentir des coupures très nettes avec la réalité. Je me retrouvais tout à coup dans un autre environnement avec des amis, puis ça coupait et je me retrouvais ailleurs. À un moment, mon lit s’est comme transformé en une sorte de cercueil. J’arrivais presque plus à respirer. Je me suis dit que j’allais mourir et que ma famille allait me retrouver comme ça, étouffée. Mais j’ai réussi à me calmer, et j’ai fini par m’endormir. Le lendemain, à mon réveil, je voyais plus rien. Tous les effets secondaires ont disparu après 3 semaines environ. Mais les pensées suicidaires, elles, ont persisté.

À côté de tout ça, j’avais jamais eu de relation amoureuse. J’ai toujours détesté les jeux de séduction, j’ai jamais voulu être en couple. Et ça alimentait aussi mon sentiment général d’inadéquation. Donc à 20 ans, j’étais suicidaire, en échec scolaire, et encore vierge… Puis un jour, j’ai eu une idée un peu saugrenue. J’avais lu sur internet l’histoire d’une femme qui avait vendu sa virginité pour des millions. C’était un fake, mais l’idée m’est restée. Et un soir j’ai dit à mes amies : « Je vais vendre ma virginité pour 1 million, j’achèterai un appart et on vivra toutes ensemble ! » Au départ c’était juste un délire entre potes. Mais ce soir-là dans mon lit, je me suis dit que je pourrais vraiment le faire. Que ça serait horrible mais ça serait juste une fois. Et ça m’aiderait peut-être avec mon blocage sentimental…

J’ai mis une annonce sur un site de « sugar dating », où des hommes aisés recherchent des femmes jeunes. Au début  j’y croyais pas, mais plusieurs personnes étaient intéressées. J’ai d’abord demandé 60’000 balles, mais ça n’a pas marché. Finalement, un gars a accepté pour 15’000. Je l’ai d’abord rencontré pour discuter. Il voulait 4 rendez-vous, et qu’on y aille petit à petit. C’était un mec de 50 ans. En vrai, il me dégoutait un peu, mais il avait l’air chou donc ça allait. Quand je suis arrivée dans l’hôtel pour le premier rendez-vous… Ah là là, c’était horrible ! Un des moments les plus stressants de ma vie. Et en sortant de l’hôtel, j’avais l’impression que tout le monde savait ce que j’avais fait. Mais je m’en foutais, je me sentais invincible. J’avais le sentiment d’être capable de tout. Et depuis ce jour, je n’ai plus jamais été suicidaire.

Après les 4 rendez-vous, il a dit qu’il voulait continuer à me voir. J’ai accepté pour 400 francs par rencontre. Et je me suis dit : quitte à le voir lui, autant en voir d’autres ! Et c’est comme ça que j’ai vraiment commencé. Mais j’avais même pas l’impression de me prostituer. Sur ces sites, les gens cherchent une relation. Alors tu discutes beaucoup, tu leur fais croire que tu vois personne d’autre. Je faisais semblant d’être amoureuse, semblant de jouir, etc. Eux, ce qui flattait leur ego, c’est de faire plaisir à une jeunette de 20 ans. Ils se sentent plus pisser ! Et ils ont tous cette posture : moi je suis pas comme les autres, t’as vraiment de la chance de m’avoir. Vraiment tous ! Chez certains, je sentais que y’avait vraiment des sentiments. Mais je demandais toujours à être payée. Pour moi c’était vraiment que le fric.

Ça n’empêchait pas que je puisse avoir de l’affection pour certains. J’en avais un très bourru mais très chou. Et il m’emmenait dans des hôtels de luxe, des restos étoilés, des spas. Ce côté de la prostitution, il est trop cool pour moi ! Mais j’y connaissais rien et je prenais beaucoup de risques parce que j’utilisais pas de préservatifs. Au bout d’un an et demi j’ai contacté l’association Aspasie, et c’est là que j’ai réalisé que je faisais de la merde : je me protégeais pas, je faisais des prix de merde, et je travaillais illégalement. Donc je me suis inscrite à la police des moeurs et j’ai passé un casting dans une agence d’escort de luxe. Ça fait quelques mois que je travaille là-bas maintenant, et les tarifs sont bien meilleurs ! Du coup, j’ai arrêté avec la plupart des « sugar daddy »sauf quelques-uns de mes préférés.

Quand j’ai commencé y’a 2 ans, j’avais une vision très positive du travail du sexe, que ça avait un côté émancipateur. J’avais ce sentiment de m’être réapproprié ma vie. Mais depuis, ma vision a changé. Sur le court terme ça semble aider, comme quand on prend de la drogue, mais pas sur le long terme. Y’a des schémas autodestructeurs qui vont avec. Au début, j’étais vraiment dégoutée, et j’ai réussi à me protéger en me dissociant, en créant un personnage qui vit ces expériences à ma place. Mon personnage est une fille qui prend sa vie en main, qui n’a peur de rien, elle n’a aucune limite. Et à côté, y’a toujours cette petite fille qui étudie et qui n’arrive à rien. J’ai commencé à détester cette fille et à adorer mon personnage. Mais j’ai aussi commencé à sentir que je pouvais avoir un côté manipulateur à travers mon personnage…

Je n’ai plus de limite morale, je suis capable de tout. J’ai même trahi des amies pour des histoires de fric. Y’a des soirées que je pourrais passer avec des potes, mais je vais travailler. Parfois sans même savoir pourquoi. Je crois que je suis devenue un peu accro au fric. En travaillant avec l’agence, je me suis vite retrouvée avec énormément d’argent planqué sous mon lit. La plupart des femmes font ce travail par nécessité économique, mais moi, je vis encore chez mes parents. Donc la tune j’en ai pas vraiment besoin en fait. Mais ça nourrit en moi ce sentiment de toute puissance, d’invincibilité. Ce truc d’adrénaline, de toujours en vouloir plus. Un sentiment de culpabilité commence à grandir en moi. Parfois je me dis : oh mon Dieu, mais qui suis-je devenue ?

Le truc qui me fait le plus souffrir c’est de devoir tout cacher. Ça me fait mentir sur tellement de choses. Le plus difficile c’est de mentir à mes parents. À la base j’ai une bonne relation avec eux. Et parfois, je les regarde dans les yeux et je m’imagine tout leur raconter. Mais j’ai trop peur de leur réaction. Alors pourquoi je continue ? Mon personnage représente encore mon idéal, à un moment, j’ai presque voulu devenir seulement elle. Et j’ai peur que si je la lâche, je vais redevenir la jeune fille suicidaire que j’étais. Mais je commence à me dire que y’a pas 2 identités, et que ces forces ne vont pas disparaitre. Mais j’en suis pas encore tout à fait là. Et j’aime vivre des choses hors norme, et le sentiment d’illimité que m’apporte l’argent. Grâce à ça, je ne suis plus suicidaire et je sens que la vie en vaut la peine ! »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie.

Publié le: 2 juin 2023

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