« Ma mère m’a abandonné très tôt et je ne l’ai presque plus revue jusqu’à mes 18 ans. En fait c’est Baboushka [ma grand-mère] qui m’a éduqué, et elle a remplacé à la fois mon père et ma mère. On avait une relation merveilleuse. Elle était très douce, mais en même temps elle serrait bien la vis ! On avait une vie normale au village, près de Kiev : on s’occupait du jardin, on allait traire les vaches et les chèvres. C’était la nature et la liberté ! Vers 6 ans, j’ai été placé dans un foyer spécial pour les enfants sans parents. C’était très dur, mais là-bas j’ai appris un métier : couturier sur cuir. J’aimais ça et j’étais plus rapide que les autres. Et quand j’ai quitté l’internat, j’ai rapidement trouvé un travail dans une usine de chaussures à Kiev. J’étais jeune, indépendant, et je gagnais un très bon salaire ! J’étais fier d’avoir choisi le bon chemin. Beaucoup de mes camarades avaient choisi la drogue, la prostitution, etc. Certains sont même morts depuis.

Quand j’étais au foyer, une organisation nous emmenait dans des familles en Italie pour apprendre la langue. Plus tard, je me suis engagé bénévolement dans cette organisation. Ça me faisait mal au cœur de voir des enfants grandir sans parents, et je me suis toujours senti responsable de les aider. Et comme ça j’ai commencé à exercer le métier de traducteur. Un jour, j’ai rencontré la vice-première ministre ukrainienne et elle m’a proposé d’être son secrétaire général pour toute l’Italie. J’avais tout : un super appart, un chauffeur privé, un super salaire. J’ai même traduit pour 2 présidents ukrainiens. Mais après 1 an et demi, j’ai pété un câble. Le monde de la politique ce n’est pas mon truc. En Ukraine, les politiciens sont plus intéressés par voler que par aider le peuple. Et moi, j’aimais pas ça. Donc j’ai quitté ce monde et j’ai travaillé pour un complexe hôtelier. Et puis, la guerre a commencé… Je voulais pas croire que les Russes attaqueraient. On a grandi ensemble, à l’époque c’était le même pays !

Dans ma tête tout était bouleversé. En vérité, je pensais que j’allais mourir. Je suis parti directement au village retrouver ma mère. C’était un village magnifique, avec des maisons bien construites, une école, une population jeune. Ça faisait près de 500 ans que ma famille y habitait. Puis les Russes sont arrivés… Quand je repense à tout ça, je commence à trembler… Quand ils sont entrés, un groupe de villageois leur a bloqué la route. Les Russes ont tiré. Beaucoup ont été tués, d’autres ont été embarqués et je les ai jamais revus. Puis ils sont venus nous interroger. J’étais effrayé, je ne savais pas si j’allais rentrer chez moi vivant. 3 soldats m’ont posé des questions agressivement : Qu’est-ce que vous pensez de votre président ? Et de la Russie ? Ils m’ont menacé de me tuer, et ils observaient bien comment je réagissais. Moi, j’ai répondu ce qu’ils voulaient entendre. Surtout, j’ai dit que j’avais pas fait l’armée. C’était le plus important pour eux. Ceux qui avaient une formation militaire, ils les ont embarqués et je ne les ai jamais revus.

L’occupation a duré 2 mois. 2 mois sans sortir du village. On ne pouvait même pas quitter la maison à plus de 100 mètres. Pas de télévision, pas de téléphone. On est restés coupés du monde avec ma mère, mon demi-frère et sa famille. On ne savait pas ce qui allait arriver demain, ni même dans 5 minutes. La journée on ne faisait rien, absolument rien. On attendait, c’est tout. Avec la peur au ventre. Et on en devenait fou. Il y a des moments où j’ai eu envie de me tuer. Une fois, des Russes sont venus chez nous pour nous voler. En entrant dans la maison, un jeune soldat a dit : « Putain ! On pensait pas que vous viviez mieux que nous ! ». C’était vraiment un choc pour lui. Ils étaient arrivés en pensant qu’on vivait dans la misère, et qu’on était des néo-fascistes. C’était ça la propagande russe. Et petit à petit ils ont commencé à ouvrir les yeux. Certains ont même exprimé des regrets…

Puis l’armée ukrainienne a bombardé le village pour les faire fuir. C’est là qu’on a eu le plus peur. Les bombes tombaient de partout, parfois 10 fois en une heure. D’abord tu entends un sifflement, alors tu commences à courir. Mais tu ne sais pas où la bombe va tomber. Je peux même pas te décrire comment c’est, le bruit, les tremblements, les cadavres… C’était l’enfer. Mon frère a été tué, ma nièce de 9 ans traumatisée. Moi, j’ai reçu un morceau de métal dans la jambe. Sur le moment, j’ai cru que c’était la fin. Après 3 jours, les Russes étaient partis. Mais le village était à plat. Complètement rasé. Ma mère pleurait beaucoup. Moi, je ne voulais plus vivre. On n’avait plus rien, plus de maison, on ne savait pas quoi faire. Finalement, on a réussi à réparer un mini-bus et on est partis à Kiev avec d’autres personnes, entre les bombardements.

J’ai tout de suite été dans un hôpital militaire pour ma jambe. Les tissus avaient commencé à nécroser et un médecin voulait la couper. Mais heureusement, un autre médecin a insisté pour la soigner. Pendant 4 jours il m’a découpé les tissus morts, sans anesthésiant, sans médicament. C’était une douleur que je ne peux même pas t’expliquer. Mais il a réussi à sauver ma jambe. Après 1 mois je suis sorti de l’hôpital et les Russes ont commencé à bombarder gravement Kiev. J’ai revécu la même chose qu’au village. Sans lumière, sans chauffage, tous les magasins fermés… Je ne pouvais plus supporter de rester ici, et des amis qui étaient déjà à Genève m’ont aidé à les rejoindre. À la frontière, ils m’ont fait passer un contrôle sévère. Mais j’avais les papiers qui disaient que l’armée m’avait radié. Et comme ça, j’ai pu quitter l’Ukraine.

En arrivant à Genève, je suis allez chez un ami. J’étais épuisé, ma jambe était gonflée et j’avais 40°C de fièvre. L’Hospice Général à Genève m’a dit que je ne pouvais pas être soigné parce que je n’avais pas fait ma demande d’asile. Mais pour faire ma demande d’asile, je devais prendre un train, et je n’avais pas la force de bouger. Alors je suis resté chez mon ami comme ça. Heureusement, après 1 semaine je me suis senti mieux, j’ai pu aller faire mes papiers et je suis parti tout de suite aux urgences. L’infection avait commencé à se répandre jusque dans l’os. Ma jambe était tellement fine que tous les médecins de l’hôpital sont venus voir. Ils étaient choqués, ils n’y croyaient pas. Depuis peu de temps, l’infection semble guérie, mais je suis encore sous anti-douleur non-stop. Normalement, ils devraient réussir à sauver ma jambe… Je veux vraiment remercier beaucoup tous les médecins qui m’ont aidé. Ils étaient tous géniaux !

En ce moment je suis encore logé à Palexpo, et c’est un problème pour moi. Oui c’est propre, y’a rien à dire sur ça. Les gens qui travaillent là-bas sont bien, y’a rien à dire. C’est juste les Ukrainiens… Tu vis avec 260 personnes, tout le monde parle, crie. C’est une grande salle sans mur, seulement des petites séparations, et tu entends tout ce qui se passe. Je suis tellement stressé là-bas que je ne mange pas. Aussi, je reçois beaucoup d’insultes parce que je suis gay. Y’a même des gens qui ne me disent plus bonjour, ça fait mal quand même. En Ukraine c’est encore mal vu. J’ai frappé à toutes les portes pour changer de lieu mais pour l’instant personne ne réagit.

Avec cette guerre, beaucoup de choses ont changé en moi. Maintenant je connais la véritable valeur de la vie. Avant je ne me posais pas de questions. Maintenant, la vie est devenue tellement précieuse. Je fais souvent des cauchemars où je vois la guerre et les bombardements. Et je me réveille effrayé. Malheureusement, je vais continuer à repenser à ces souvenirs toute ma vie. Il va falloir que je trouve un moyen de vivre avec. Genève, c’est bien pour moi. C’est une ville extraordinaire, les gens sont calmes et positifs, je veux remercier tout le monde pour leur gentillesse. Mais pour le moment, je suis perdu, je ne sais pas encore si je veux rester ici. Mais il faut continuer à vivre, alors je continue de chercher une terre où poser mes pieds. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

« Ma mère m’a abandonné très tôt et je ne l’ai presque plus revue jusqu’à mes 18 ans. En fait c’est Baboushka [ma grand-mère] qui m’a éduqué, et elle a remplacé à la fois mon père et ma mère. On avait une relation merveilleuse. Elle était très douce, mais en même temps elle serrait bien la vis ! On avait une vie normale au village, près de Kiev : on s’occupait du jardin, on allait traire les vaches et les chèvres. C’était la nature et la liberté ! Vers 6 ans, j’ai été placé dans un foyer spécial pour les enfants sans parents. C’était très dur, mais là-bas j’ai appris un métier : couturier sur cuir. J’aimais ça et j’étais plus rapide que les autres. Et quand j’ai quitté l’internat, j’ai rapidement trouvé un travail dans une usine de chaussures à Kiev. J’étais jeune, indépendant, et je gagnais un très bon salaire ! J’étais fier d’avoir choisi le bon chemin. Beaucoup de mes camarades avaient choisi la drogue, la prostitution, etc. Certains sont même morts depuis.

Quand j’étais au foyer, une organisation nous emmenait dans des familles en Italie pour apprendre la langue. Plus tard, je me suis engagé bénévolement dans cette organisation. Ça me faisait mal au cœur de voir des enfants grandir sans parents, et je me suis toujours senti responsable de les aider. Et comme ça j’ai commencé à exercer le métier de traducteur. Un jour, j’ai rencontré la vice-première ministre ukrainienne et elle m’a proposé d’être son secrétaire général pour toute l’Italie. J’avais tout : un super appart, un chauffeur privé, un super salaire. J’ai même traduit pour 2 présidents ukrainiens. Mais après 1 an et demi, j’ai pété un câble. Le monde de la politique ce n’est pas mon truc. En Ukraine, les politiciens sont plus intéressés par voler que par aider le peuple. Et moi, j’aimais pas ça. Donc j’ai quitté ce monde et j’ai travaillé pour un complexe hôtelier. Et puis, la guerre a commencé…

Je voulais pas croire que les Russes attaqueraient. On a grandi ensemble, à l’époque c’était le même pays ! Dans ma tête tout était bouleversé. En vérité, je pensais que j’allais mourir. Je suis parti directement au village retrouver ma mère. C’était un village magnifique, avec des maisons bien construites, une école, une population jeune. Ça faisait près de 500 ans que ma famille y habitait. Puis les Russes sont arrivés… Quand je repense à tout ça, je commence à trembler… Quand ils sont entrés, un groupe de villageois leur a bloqué la route. Les Russes ont tiré. Beaucoup ont été tués, d’autres ont été embarqués et je les ai jamais revus. Puis ils sont venus nous interroger. J’étais effrayé, je ne savais pas si j’allais rentrer chez moi vivant. 3 soldats m’ont posé des questions agressivement : Qu’est-ce que vous pensez de votre président ? Et de la Russie ? Ils m’ont menacé de me tuer, et ils observaient bien comment je réagissais. Moi, j’ai répondu ce qu’ils voulaient entendre. Surtout, j’ai dit que j’avais pas fait l’armée. C’était le plus important pour eux. Ceux qui avaient une formation militaire, ils les ont embarqués et je ne les ai jamais revus.

L’occupation a duré 2 mois. 2 mois sans sortir du village. On ne pouvait même pas quitter la maison à plus de 100 mètres. Pas de télévision, pas de téléphone. On est restés coupés du monde avec ma mère, mon demi-frère et sa famille. On ne savait pas ce qui allait arriver demain, ni même dans 5 minutes. La journée on ne faisait rien, absolument rien. On attendait, c’est tout. Avec la peur au ventre. Et on en devenait fou. Il y a des moments où j’ai eu envie de me tuer. Une fois, des Russes sont venus chez nous pour nous voler. En entrant dans la maison, un jeune soldat a dit : « Putain ! On pensait pas que vous viviez mieux que nous ! ». C’était vraiment un choc pour lui. Ils étaient arrivés en pensant qu’on vivait dans la misère, et qu’on était des néo-fascistes. C’était ça la propagande russe. Et petit à petit ils ont commencé à ouvrir les yeux. Certains ont même exprimé des regrets…

Puis l’armée ukrainienne a bombardé le village pour les faire fuir. C’est là qu’on a eu le plus peur. Les bombes tombaient de partout, parfois 10 fois en une heure. D’abord tu entends un sifflement, alors tu commences à courir. Mais tu ne sais pas où la bombe va tomber. Je peux même pas te décrire comment c’est, le bruit, les tremblements, les cadavres… C’était l’enfer. Mon frère a été tué, ma nièce de 9 ans traumatisée. Moi, j’ai reçu un morceau de métal dans la jambe. Sur le moment, j’ai cru que c’était la fin. Après 3 jours, les Russes étaient partis. Mais le village était à plat. Complètement rasé. Ma mère pleurait beaucoup. Moi, je ne voulais plus vivre. On n’avait plus rien, plus de maison, on ne savait pas quoi faire. Finalement, on a réussi à réparer un mini-bus et on est partis à Kiev avec d’autres personnes, entre les bombardements.

J’ai tout de suite été dans un hôpital militaire pour ma jambe. Les tissus avaient commencé à nécroser et un médecin voulait la couper. Mais heureusement, un autre médecin a insisté pour la soigner. Pendant 4 jours il m’a découpé les tissus morts, sans anesthésiant, sans médicament. C’était une douleur que je ne peux même pas t’expliquer. Mais il a réussi à sauver ma jambe. Après 1 mois je suis sorti de l’hôpital et les Russes ont commencé à bombarder gravement Kiev. J’ai revécu la même chose qu’au village. Sans lumière, sans chauffage, tous les magasins fermés… Je ne pouvais plus supporter de rester ici, et des amis qui étaient déjà à Genève m’ont aidé à les rejoindre. À la frontière, ils m’ont fait passer un contrôle sévère. Mais j’avais les papiers qui disaient que l’armée m’avait radié. Et comme ça, j’ai pu quitter l’Ukraine.

En arrivant à Genève, je suis allez chez un ami. J’étais épuisé, ma jambe était gonflée et j’avais 40°C de fièvre. L’Hospice Général à Genève m’a dit que je ne pouvais pas être soigné parce que je n’avais pas fait ma demande d’asile. Mais pour faire ma demande d’asile, je devais prendre un train, et je n’avais pas la force de bouger. Alors je suis resté chez mon ami comme ça. Heureusement, après 1 semaine je me suis senti mieux, j’ai pu aller faire mes papiers et je suis parti tout de suite aux urgences. L’infection avait commencé à se répandre jusque dans l’os. Ma jambe était tellement fine que tous les médecins de l’hôpital sont venus voir. Ils étaient choqués, ils n’y croyaient pas. Depuis peu de temps, l’infection semble guérie, mais je suis encore sous anti-douleur non-stop. Normalement, ils devraient réussir à sauver ma jambe… Je veux vraiment remercier beaucoup tous les médecins qui m’ont aidé. Ils étaient tous géniaux !

En ce moment je suis encore logé à Palexpo, et c’est un problème pour moi. Oui c’est propre, y’a rien à dire sur ça. Les gens qui travaillent là-bas sont bien, y’a rien à dire. C’est juste les Ukrainiens… Tu vis avec 260 personnes, tout le monde parle, crie. C’est une grande salle sans mur, seulement des petites séparations, et tu entends tout ce qui se passe. Je suis tellement stressé là-bas que je ne mange pas. Aussi, je reçois beaucoup d’insultes parce que je suis gay. Y’a même des gens qui ne me disent plus bonjour, ça fait mal quand même. En Ukraine c’est encore mal vu. J’ai frappé à toutes les portes pour changer de lieu mais pour l’instant personne ne réagit.

Avec cette guerre, beaucoup de choses ont changé en moi. Maintenant je connais la véritable valeur de la vie. Avant je ne me posais pas de questions. Maintenant, la vie est devenue tellement précieuse. Je fais souvent des cauchemars où je vois la guerre et les bombardements. Et je me réveille effrayé. Malheureusement, je vais continuer à repenser à ces souvenirs toute ma vie. Il va falloir que je trouve un moyen de vivre avec. Genève, c’est bien pour moi. C’est une ville extraordinaire, les gens sont calmes et positifs, je veux remercier tout le monde pour leur gentillesse. Mais pour le moment, je suis perdu, je ne sais pas encore si je veux rester ici. Mais il faut continuer à vivre, alors je continue de chercher une terre où poser mes pieds. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

Publié le: 29 novembre 2023

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« Ma mère m’a abandonné très tôt et je ne l’ai presque plus revue jusqu’à mes 18 ans. En fait c’est Baboushka [ma grand-mère] qui m’a éduqué, et elle a remplacé à la fois mon père et ma mère. On avait une relation merveilleuse. Elle était très douce, mais en même temps elle serrait bien la vis ! On avait une vie normale au village, près de Kiev : on s’occupait du jardin, on allait traire les vaches et les chèvres. C’était la nature et la liberté ! Vers 6 ans, j’ai été placé dans un foyer spécial pour les enfants sans parents. C’était très dur, mais là-bas j’ai appris un métier : couturier sur cuir. J’aimais ça et j’étais plus rapide que les autres. Et quand j’ai quitté l’internat, j’ai rapidement trouvé un travail dans une usine de chaussures à Kiev. J’étais jeune, indépendant, et je gagnais un très bon salaire ! J’étais fier d’avoir choisi le bon chemin. Beaucoup de mes camarades avaient choisi la drogue, la prostitution, etc. Certains sont même morts depuis.

Quand j’étais au foyer, une organisation nous emmenait dans des familles en Italie pour apprendre la langue. Plus tard, je me suis engagé bénévolement dans cette organisation. Ça me faisait mal au cœur de voir des enfants grandir sans parents, et je me suis toujours senti responsable de les aider. Et comme ça j’ai commencé à exercer le métier de traducteur. Un jour, j’ai rencontré la vice-première ministre ukrainienne et elle m’a proposé d’être son secrétaire général pour toute l’Italie. J’avais tout : un super appart, un chauffeur privé, un super salaire. J’ai même traduit pour 2 présidents ukrainiens. Mais après 1 an et demi, j’ai pété un câble. Le monde de la politique ce n’est pas mon truc. En Ukraine, les politiciens sont plus intéressés par voler que par aider le peuple. Et moi, j’aimais pas ça. Donc j’ai quitté ce monde et j’ai travaillé pour un complexe hôtelier. Et puis, la guerre a commencé… Je voulais pas croire que les Russes attaqueraient. On a grandi ensemble, à l’époque c’était le même pays !

Dans ma tête tout était bouleversé. En vérité, je pensais que j’allais mourir. Je suis parti directement au village retrouver ma mère. C’était un village magnifique, avec des maisons bien construites, une école, une population jeune. Ça faisait près de 500 ans que ma famille y habitait. Puis les Russes sont arrivés… Quand je repense à tout ça, je commence à trembler… Quand ils sont entrés, un groupe de villageois leur a bloqué la route. Les Russes ont tiré. Beaucoup ont été tués, d’autres ont été embarqués et je les ai jamais revus. Puis ils sont venus nous interroger. J’étais effrayé, je ne savais pas si j’allais rentrer chez moi vivant. 3 soldats m’ont posé des questions agressivement : Qu’est-ce que vous pensez de votre président ? Et de la Russie ? Ils m’ont menacé de me tuer, et ils observaient bien comment je réagissais. Moi, j’ai répondu ce qu’ils voulaient entendre. Surtout, j’ai dit que j’avais pas fait l’armée. C’était le plus important pour eux. Ceux qui avaient une formation militaire, ils les ont embarqués et je ne les ai jamais revus.

L’occupation a duré 2 mois. 2 mois sans sortir du village. On ne pouvait même pas quitter la maison à plus de 100 mètres. Pas de télévision, pas de téléphone. On est restés coupés du monde avec ma mère, mon demi-frère et sa famille. On ne savait pas ce qui allait arriver demain, ni même dans 5 minutes. La journée on ne faisait rien, absolument rien. On attendait, c’est tout. Avec la peur au ventre. Et on en devenait fou. Il y a des moments où j’ai eu envie de me tuer. Une fois, des Russes sont venus chez nous pour nous voler. En entrant dans la maison, un jeune soldat a dit : « Putain ! On pensait pas que vous viviez mieux que nous ! ». C’était vraiment un choc pour lui. Ils étaient arrivés en pensant qu’on vivait dans la misère, et qu’on était des néo-fascistes. C’était ça la propagande russe. Et petit à petit ils ont commencé à ouvrir les yeux. Certains ont même exprimé des regrets…

Puis l’armée ukrainienne a bombardé le village pour les faire fuir. C’est là qu’on a eu le plus peur. Les bombes tombaient de partout, parfois 10 fois en une heure. D’abord tu entends un sifflement, alors tu commences à courir. Mais tu ne sais pas où la bombe va tomber. Je peux même pas te décrire comment c’est, le bruit, les tremblements, les cadavres… C’était l’enfer. Mon frère a été tué, ma nièce de 9 ans traumatisée. Moi, j’ai reçu un morceau de métal dans la jambe. Sur le moment, j’ai cru que c’était la fin. Après 3 jours, les Russes étaient partis. Mais le village était à plat. Complètement rasé. Ma mère pleurait beaucoup. Moi, je ne voulais plus vivre. On n’avait plus rien, plus de maison, on ne savait pas quoi faire. Finalement, on a réussi à réparer un mini-bus et on est partis à Kiev avec d’autres personnes, entre les bombardements.

J’ai tout de suite été dans un hôpital militaire pour ma jambe. Les tissus avaient commencé à nécroser et un médecin voulait la couper. Mais heureusement, un autre médecin a insisté pour la soigner. Pendant 4 jours il m’a découpé les tissus morts, sans anesthésiant, sans médicament. C’était une douleur que je ne peux même pas t’expliquer. Mais il a réussi à sauver ma jambe. Après 1 mois je suis sorti de l’hôpital et les Russes ont commencé à bombarder gravement Kiev. J’ai revécu la même chose qu’au village. Sans lumière, sans chauffage, tous les magasins fermés… Je ne pouvais plus supporter de rester ici, et des amis qui étaient déjà à Genève m’ont aidé à les rejoindre. À la frontière, ils m’ont fait passer un contrôle sévère. Mais j’avais les papiers qui disaient que l’armée m’avait radié. Et comme ça, j’ai pu quitter l’Ukraine.

En arrivant à Genève, je suis allez chez un ami. J’étais épuisé, ma jambe était gonflée et j’avais 40°C de fièvre. L’Hospice Général à Genève m’a dit que je ne pouvais pas être soigné parce que je n’avais pas fait ma demande d’asile. Mais pour faire ma demande d’asile, je devais prendre un train, et je n’avais pas la force de bouger. Alors je suis resté chez mon ami comme ça. Heureusement, après 1 semaine je me suis senti mieux, j’ai pu aller faire mes papiers et je suis parti tout de suite aux urgences. L’infection avait commencé à se répandre jusque dans l’os. Ma jambe était tellement fine que tous les médecins de l’hôpital sont venus voir. Ils étaient choqués, ils n’y croyaient pas. Depuis peu de temps, l’infection semble guérie, mais je suis encore sous anti-douleur non-stop. Normalement, ils devraient réussir à sauver ma jambe… Je veux vraiment remercier beaucoup tous les médecins qui m’ont aidé. Ils étaient tous géniaux !

En ce moment je suis encore logé à Palexpo, et c’est un problème pour moi. Oui c’est propre, y’a rien à dire sur ça. Les gens qui travaillent là-bas sont bien, y’a rien à dire. C’est juste les Ukrainiens… Tu vis avec 260 personnes, tout le monde parle, crie. C’est une grande salle sans mur, seulement des petites séparations, et tu entends tout ce qui se passe. Je suis tellement stressé là-bas que je ne mange pas. Aussi, je reçois beaucoup d’insultes parce que je suis gay. Y’a même des gens qui ne me disent plus bonjour, ça fait mal quand même. En Ukraine c’est encore mal vu. J’ai frappé à toutes les portes pour changer de lieu mais pour l’instant personne ne réagit.

Avec cette guerre, beaucoup de choses ont changé en moi. Maintenant je connais la véritable valeur de la vie. Avant je ne me posais pas de questions. Maintenant, la vie est devenue tellement précieuse. Je fais souvent des cauchemars où je vois la guerre et les bombardements. Et je me réveille effrayé. Malheureusement, je vais continuer à repenser à ces souvenirs toute ma vie. Il va falloir que je trouve un moyen de vivre avec. Genève, c’est bien pour moi. C’est une ville extraordinaire, les gens sont calmes et positifs, je veux remercier tout le monde pour leur gentillesse. Mais pour le moment, je suis perdu, je ne sais pas encore si je veux rester ici. Mais il faut continuer à vivre, alors je continue de chercher une terre où poser mes pieds. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

« Ma mère m’a abandonné très tôt et je ne l’ai presque plus revue jusqu’à mes 18 ans. En fait c’est Baboushka [ma grand-mère] qui m’a éduqué, et elle a remplacé à la fois mon père et ma mère. On avait une relation merveilleuse. Elle était très douce, mais en même temps elle serrait bien la vis ! On avait une vie normale au village, près de Kiev : on s’occupait du jardin, on allait traire les vaches et les chèvres. C’était la nature et la liberté ! Vers 6 ans, j’ai été placé dans un foyer spécial pour les enfants sans parents. C’était très dur, mais là-bas j’ai appris un métier : couturier sur cuir. J’aimais ça et j’étais plus rapide que les autres. Et quand j’ai quitté l’internat, j’ai rapidement trouvé un travail dans une usine de chaussures à Kiev. J’étais jeune, indépendant, et je gagnais un très bon salaire ! J’étais fier d’avoir choisi le bon chemin. Beaucoup de mes camarades avaient choisi la drogue, la prostitution, etc. Certains sont même morts depuis.

Quand j’étais au foyer, une organisation nous emmenait dans des familles en Italie pour apprendre la langue. Plus tard, je me suis engagé bénévolement dans cette organisation. Ça me faisait mal au cœur de voir des enfants grandir sans parents, et je me suis toujours senti responsable de les aider. Et comme ça j’ai commencé à exercer le métier de traducteur. Un jour, j’ai rencontré la vice-première ministre ukrainienne et elle m’a proposé d’être son secrétaire général pour toute l’Italie. J’avais tout : un super appart, un chauffeur privé, un super salaire. J’ai même traduit pour 2 présidents ukrainiens. Mais après 1 an et demi, j’ai pété un câble. Le monde de la politique ce n’est pas mon truc. En Ukraine, les politiciens sont plus intéressés par voler que par aider le peuple. Et moi, j’aimais pas ça. Donc j’ai quitté ce monde et j’ai travaillé pour un complexe hôtelier. Et puis, la guerre a commencé…

Je voulais pas croire que les Russes attaqueraient. On a grandi ensemble, à l’époque c’était le même pays ! Dans ma tête tout était bouleversé. En vérité, je pensais que j’allais mourir. Je suis parti directement au village retrouver ma mère. C’était un village magnifique, avec des maisons bien construites, une école, une population jeune. Ça faisait près de 500 ans que ma famille y habitait. Puis les Russes sont arrivés… Quand je repense à tout ça, je commence à trembler… Quand ils sont entrés, un groupe de villageois leur a bloqué la route. Les Russes ont tiré. Beaucoup ont été tués, d’autres ont été embarqués et je les ai jamais revus. Puis ils sont venus nous interroger. J’étais effrayé, je ne savais pas si j’allais rentrer chez moi vivant. 3 soldats m’ont posé des questions agressivement : Qu’est-ce que vous pensez de votre président ? Et de la Russie ? Ils m’ont menacé de me tuer, et ils observaient bien comment je réagissais. Moi, j’ai répondu ce qu’ils voulaient entendre. Surtout, j’ai dit que j’avais pas fait l’armée. C’était le plus important pour eux. Ceux qui avaient une formation militaire, ils les ont embarqués et je ne les ai jamais revus.

L’occupation a duré 2 mois. 2 mois sans sortir du village. On ne pouvait même pas quitter la maison à plus de 100 mètres. Pas de télévision, pas de téléphone. On est restés coupés du monde avec ma mère, mon demi-frère et sa famille. On ne savait pas ce qui allait arriver demain, ni même dans 5 minutes. La journée on ne faisait rien, absolument rien. On attendait, c’est tout. Avec la peur au ventre. Et on en devenait fou. Il y a des moments où j’ai eu envie de me tuer. Une fois, des Russes sont venus chez nous pour nous voler. En entrant dans la maison, un jeune soldat a dit : « Putain ! On pensait pas que vous viviez mieux que nous ! ». C’était vraiment un choc pour lui. Ils étaient arrivés en pensant qu’on vivait dans la misère, et qu’on était des néo-fascistes. C’était ça la propagande russe. Et petit à petit ils ont commencé à ouvrir les yeux. Certains ont même exprimé des regrets…

Puis l’armée ukrainienne a bombardé le village pour les faire fuir. C’est là qu’on a eu le plus peur. Les bombes tombaient de partout, parfois 10 fois en une heure. D’abord tu entends un sifflement, alors tu commences à courir. Mais tu ne sais pas où la bombe va tomber. Je peux même pas te décrire comment c’est, le bruit, les tremblements, les cadavres… C’était l’enfer. Mon frère a été tué, ma nièce de 9 ans traumatisée. Moi, j’ai reçu un morceau de métal dans la jambe. Sur le moment, j’ai cru que c’était la fin. Après 3 jours, les Russes étaient partis. Mais le village était à plat. Complètement rasé. Ma mère pleurait beaucoup. Moi, je ne voulais plus vivre. On n’avait plus rien, plus de maison, on ne savait pas quoi faire. Finalement, on a réussi à réparer un mini-bus et on est partis à Kiev avec d’autres personnes, entre les bombardements.

J’ai tout de suite été dans un hôpital militaire pour ma jambe. Les tissus avaient commencé à nécroser et un médecin voulait la couper. Mais heureusement, un autre médecin a insisté pour la soigner. Pendant 4 jours il m’a découpé les tissus morts, sans anesthésiant, sans médicament. C’était une douleur que je ne peux même pas t’expliquer. Mais il a réussi à sauver ma jambe. Après 1 mois je suis sorti de l’hôpital et les Russes ont commencé à bombarder gravement Kiev. J’ai revécu la même chose qu’au village. Sans lumière, sans chauffage, tous les magasins fermés… Je ne pouvais plus supporter de rester ici, et des amis qui étaient déjà à Genève m’ont aidé à les rejoindre. À la frontière, ils m’ont fait passer un contrôle sévère. Mais j’avais les papiers qui disaient que l’armée m’avait radié. Et comme ça, j’ai pu quitter l’Ukraine.

En arrivant à Genève, je suis allez chez un ami. J’étais épuisé, ma jambe était gonflée et j’avais 40°C de fièvre. L’Hospice Général à Genève m’a dit que je ne pouvais pas être soigné parce que je n’avais pas fait ma demande d’asile. Mais pour faire ma demande d’asile, je devais prendre un train, et je n’avais pas la force de bouger. Alors je suis resté chez mon ami comme ça. Heureusement, après 1 semaine je me suis senti mieux, j’ai pu aller faire mes papiers et je suis parti tout de suite aux urgences. L’infection avait commencé à se répandre jusque dans l’os. Ma jambe était tellement fine que tous les médecins de l’hôpital sont venus voir. Ils étaient choqués, ils n’y croyaient pas. Depuis peu de temps, l’infection semble guérie, mais je suis encore sous anti-douleur non-stop. Normalement, ils devraient réussir à sauver ma jambe… Je veux vraiment remercier beaucoup tous les médecins qui m’ont aidé. Ils étaient tous géniaux !

En ce moment je suis encore logé à Palexpo, et c’est un problème pour moi. Oui c’est propre, y’a rien à dire sur ça. Les gens qui travaillent là-bas sont bien, y’a rien à dire. C’est juste les Ukrainiens… Tu vis avec 260 personnes, tout le monde parle, crie. C’est une grande salle sans mur, seulement des petites séparations, et tu entends tout ce qui se passe. Je suis tellement stressé là-bas que je ne mange pas. Aussi, je reçois beaucoup d’insultes parce que je suis gay. Y’a même des gens qui ne me disent plus bonjour, ça fait mal quand même. En Ukraine c’est encore mal vu. J’ai frappé à toutes les portes pour changer de lieu mais pour l’instant personne ne réagit.

Avec cette guerre, beaucoup de choses ont changé en moi. Maintenant je connais la véritable valeur de la vie. Avant je ne me posais pas de questions. Maintenant, la vie est devenue tellement précieuse. Je fais souvent des cauchemars où je vois la guerre et les bombardements. Et je me réveille effrayé. Malheureusement, je vais continuer à repenser à ces souvenirs toute ma vie. Il va falloir que je trouve un moyen de vivre avec. Genève, c’est bien pour moi. C’est une ville extraordinaire, les gens sont calmes et positifs, je veux remercier tout le monde pour leur gentillesse. Mais pour le moment, je suis perdu, je ne sais pas encore si je veux rester ici. Mais il faut continuer à vivre, alors je continue de chercher une terre où poser mes pieds. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

Publié le: 29 novembre 2023

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