
« On s’est rencontrés par chance. Il passait dans ma ville à côté de Kiev. Je me baladais en ville et tout à coup je réalise qu’un homme me suit ! Je rentrais dans un magasin et il était derrière moi. Puis j’allais dans un autre magasin et il était encore là. À un moment je me suis retrouvée en face de lui et tout de suite il m’a demandé mon numéro de téléphone ! Moi j’ai pas compris, mais je le lui ai donné, comme pour me débarrasser de lui (rires) ! Il a fini par m’appeler, on s’est vus et on a passé de super moments ensemble.
J’avais 29 ans et elle avait 20 ans, et j’ai eu un feeling comme ça ! Elle était magnifique ! Puis comme on s’entendait bien, c’était logique qu’on se marie. Dans tous les couples faut avoir les mêmes points de vue dans la vie. Nos valeurs c’était de bien éduquer les enfants, leur transmettre des valeurs de vie. Et c’est ça qui était la force de notre couple.
Les enfants, c’est tout. Le monde il prend plus de couleurs quand tu as des enfants. On était contents de vivre chaque jour dans cette famille avec des valeurs fortes. On était vraiment heureux. Je suis peut-être une maman poule, je peux faire absolument tout pour mes enfants. Si je dois me coucher sur les rails du train pour eux, je le ferai !
J’ai beaucoup changé grâce à mes enfants. À travers eux j’ai appris à aimer les gens. J’ai réalisé tout l’amour que tu peux distribuer un peu ici et là. Et c’est aussi à travers eux que j’ai senti que Dieu nous aime comme ses propres enfants. Une fois, mon fils s’est perdu quand il avait 5 ans. J’étais tellement inquiet que j’ai commencé à prier Dieu. À ce moment j’ai compris que Dieu aussi était inquiet pour nous. Si tu n’as pas d’enfants, tu ne peux pas comprendre cet amour.
On a vécu longtemps sous la dictature soviétique, et c’était pas facile. A cette époque-là les gens avaient peur, et quand les gens ont peur, ils ne prennent pas de risques. J’ai bien réussi professionnellement, mais je n’ai pas réalisé tous les rêves que j’avais.
Moi non plus, je n’ai pas pu réaliser tous mes rêves. On était vraiment dressés dans une cage idéologique qu’on ne pouvait pas quitter. Vivre dans un système totalitaire c’est quand on t’explique que ton pays est le meilleur, et que tous les autres sont nuls. Et dès qu’on sortait des rails quelqu’un nous faisait une remarque. Donc en public tu dis une chose, et chez toi une autre. C’est exactement ce qu’on vit maintenant avec la Russie. Mais la chute de l’URSS a aussi été un cauchemar. Il n’y avait plus de travail. Tu pouvais voir au marché un professeur très connu en train de vendre ses habits. Vraiment, on a dû survivre. C’était très, très dur.
Malgré tout on s’est bien débrouillés, on a réussi à bien éduquer nos enfants. Et par rapport à ce qui s’est passé le 24 février 2022, la vie avant c’était juste le paradis. Parce que là… y’a absolument tout qui a changé. Avant la guerre, on habitait à Bucha avec nos deux fils. Une petite ville de rêve près de Kiev, toute jolie, toute moderne. C’est nos enfants qui ont déménagé là-bas et on les a suivis pour rester proches d’eux. Avec le temps, notre couple s’était cassé et on avait divorcé, mais on s’est toujours retrouvés autour de la famille.
Et c’est là, à Bucha, que la guerre nous a trouvés. On n’avait rien préparé parce que pour nous y’avait aucune logique qu’ils nous attaquent. Jusqu’à la dernière minute on n’y croyait pas.
Les Russes se sont installés à Bucha le 27 février et les violences, les pillages ont commencé. Depuis ma fenêtre je les voyais tirer de partout. Même sur des voitures vides ou des manèges pour enfants. Si une voiture essayait de partir, ils tiraient dessus. Ma voisine et sa fille ont été tuées comme ça. Mon voisin a été tué en sortant les poubelles, sans raison. Mon meilleur ami a été tué après qu’ils ont fouillé son téléphone. Les gens qu’ils tuaient dans la rue, ils les laissaient sur place, et on ne pouvait pas les enterrer. Les soldats russes étaient dans un état anormal, je pense qu’ils étaient drogués. Même un chien qui aboyait se faisait abattre. Sur un mur ils avaient écrit : « Qui vous a donné le droit de vivre mieux que nous ? » Vu que j’habitais au 8ème étage, on voyait les avions arriver et on entendait les bombes sans savoir où elles allaient tomber. C’était effrayant. Tu vois une maison à côté qui explose et tu te dis que la prochaine est peut-être pour toi. C’était un cauchemar. Je restais cachée tout le temps dans la salle de bains, avec 3 murs qui me séparaient de l’entrée.
Heureusement, nos fils avaient réussi à quitter Bucha pour se cacher dans une maison isolée. Moi, j’ai eu 3 contacts avec les Russes. Le premier j’étais dans la rue et des tanks se sont arrêtés à ma hauteur. Des soldats m’ont demandé où j’allais. J’ai dit que j’habitais ici et j’ai rétorqué : « Et vous, qu’est-que vous faites ici ? » Ils avaient l’air vraiment perdus. Quelques jours après, les Russes ont commencé à traquer les hommes qui avaient fait l’armée, et ils tiraient dans tous les sens. Tout à coup, une grosse explosion a fait voler ma porte d’entrée à 2cm de moi. Si j’avais été un peu plus proche, je ne serais pas ici aujourd’hui.
Après ça il est venu habiter chez moi et j’ai commencé un petit peu plus à me relaxer.
Mon 3ème contact avec les Russes s’est passé alors que j’apportais de la nourriture à des voisins âgés et handicapés. Je suis tombé sur des soldats dans la rue, et ils m’ont fouillé. J’avais pris beaucoup de photos des dégâts qu’ils avaient fait avec mon téléphone. Mais par chance je l’avais oublié à la maison… Ils m’ont accompagné pour apporter le repas puis ils m’ont embarqué. J’ai été enfermé avec 22 autres personnes dans un tout petit studio. Ils ne nous ont rien expliqué. On a imaginé que c’était pour nous utiliser comme protection contre l’armée ukrainienne. On avait seulement 5L d’eau et 3 ou 4 barquettes de nourriture par jour. On était enfermés là, non-stop, avec 2 gardes devant la porte. Et 2 jours après, ils ont reçu un coup de téléphone et une minute plus tard ils ont disparu.
Quand il est rentré chez moi, il était à moitié mort. Il avait même de la peine à monter les escaliers. Et moi j’avais vécu un cauchemar pendant ces jours tellement j’étais inquiète. C’était horrible. On passait notre temps à prier. C’était la seule chose qu’on pouvait faire.
Oui… Et heureusement, on est restés en vie.
On a attendu qu’il récupère un peu et puis on a décidé de rejoindre un couloir humanitaire pour quitter la ville. Les Russes nous donnaient seulement 30 minutes pour sortir, 1 heure s’ils étaient de bonne humeur.
On était tout le temps habillés. On dormait même habillés au cas où il fallait partir.
Et le 19 mars on a pris nos valises, nos chats et on est sortis de chez nous. On a attaché plein de draps blancs sur nous pour qu’ils voient qu’on était des civils. Et on a juste prié pour qu’on reste en vie.
Oh… j’ai eu vraiment peur. Je ne croyais pas qu’on y arriverait.
En arrivant sur la place de la mairie, il ne restait plus qu’un seul bus. Heureusement, ils ont fait de la place pour nous. Et là, quand je me suis assise, j’ai commencé à pleurer, pleurer. Je ne pensais pas y arriver. Et le lendemain, j’ai appris que les Russes sont entrés et ils ont pillé l’immeuble où j’habitais.
Quand le bus est arrivé en territoire libre ukrainien, juste 20 km plus loin, c’était vraiment incroyable. Tous les Ukrainiens nous ont accueillis avec du thé et de la nourriture.
Le thé que j’ai bu ce jour-là, c’est le meilleur thé que j’ai jamais bu dans ma vie.
Et là on a senti qu’on était à nouveau chez nous et j’ai commencé à me relaxer. On a aussi retrouvé un de nos fils qui nous attendait. C’était vraiment le meilleur jour de notre vie. Quand Bucha a été libérée le 1er avril, les militaires ukrainiens ont trouvé 67 personnes torturées et tuées. Et c’était seulement le premier jour.
Au début on ne savait pas qu’il y avait des tortures et des viols, car ça se passait de l’autre côté de la ville. Puis des amis qui habitaient là-bas ont commencé à nous envoyer des photos et des vidéos pour nous montrer ce qui se passait. C’est vraiment un génocide contre le peuple ukrainien.
On est restés à Kiev du 19 au 21 pour réfléchir à quoi faire. Et on a contacté ma cousine qui habite ici à Genève et elle proposé de nous accueillir. Je ne pensais jamais quitter Bucha, c’était ma maison. Mais après avoir vu les soldats russes, j’ai compris que je préférais mourir que de vivre sous leur occupation. Et c’est pour ça que j’ai décidé de partir.
Si on a réussi à faire le chemin jusqu’ici, c’est grâce à tous les bénévoles qui étaient là le long de la route. C’était incroyable de voir tous ces gens-là pour nous aider. Surtout en Pologne. Ils nous ont accueillis comme de la famille. Et même quand on est arrivés ici à Genève, tout le monde était là pour nous aider. J’avais le sentiment de vivre dans une grande famille. C’était génial de sentir cette entraide partout.
J’étais très touché aussi par tous les gens qui nous ont aidés et soutenus. C’était une expérience incroyable.
Quand je suis arrivée chez ma cousine, je me suis allongée en pensant faire une sieste de 10 minutes. Mais j’étais tellement épuisée que j’ai dormi 1 jour complet, tout habillée. C’était vraiment le soulagement qu’on soit arrivés là. Vous savez, nous on est n’est plus ensemble comme couple, mais on a vécu toute cette période ensemble et on est arrivés ici ensemble.
Une fois que Bucha a été libérée, nos enfants y sont retournés. Ils gardent le moral mais c’est très fatigant. Y’a pas de travail, pas d’électricité, pas de gaz. Y’a des roquettes qui continuent de tomber. Surtout pour les nerfs c’est très fatigant. Pour le moment ils n’ont pas été appelés pour rejoindre l’armée mais c’est une question qui est assez ouverte. Ils peuvent être appelés à tout moment…
On est tous les jours en contact avec eux, on leur envoie des cadeaux depuis ici, du fromage, du chocolat !
Moi je veux vraiment dire un grand merci aux Suisses qui accueillent les Ukrainiens. J’ai reçu tout ce que je pouvais avoir pour une vie normale, l’accueil, les soins de santé. Et si les Ukrainiens viennent ici, c’est juste pour se sentir un peu plus en sécurité et oublier ce qu’ils ont vécu. Une fois qu’il y aura la paix en Ukraine, on commencera à réfléchir à nouveau à quoi faire, mais avant ça on ne pense qu’à la paix. La guerre en Ukraine a changé tout et tout le monde. Avec la guerre on a compris la valeur des gens. Certaines personnes qu’on pensait être des amis ne sont plus là et ceux qu’on ne considérait pas comme des amis sont là avec nous. La vie ne sera plus jamais pareille après la guerre.
Les Genevois sont juste géniaux avec nous. Ici c’est un pays très différent de l’Ukraine parce que déjà il n’y a pas de corruption, et tout le monde vit par la loi et bien discipliné. Ça n’a rien à voir avec l’Ukraine, ça c’est vrai (rires) ! Tout ce qui me manque ici, c’est seulement la paix en Ukraine. S’il y a la paix en Ukraine, ma vie à Genève ressemblera à celle dans le jardin d’Eden ! Y’a une phrase dans la Bible qui dit qu’il faut dire merci pour tout : pour les choses bien et les choses mauvaises. Et nous on remercie Dieu tous les jours. J’ai remarqué que les moments difficiles dans ta vie t’aident à mieux comprendre comment tu peux mieux vivre après. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

« On s’est rencontrés par chance. Il passait dans ma ville à côté de Kiev. Je me baladais en ville et tout à coup je réalise qu’un homme me suit ! Je rentrais dans un magasin et il était derrière moi. Puis j’allais dans un autre magasin et il était encore là. À un moment je me suis retrouvée en face de lui et tout de suite il m’a demandé mon numéro de téléphone ! Moi j’ai pas compris, mais je le lui ai donné, comme pour me débarrasser de lui (rires) ! Il a fini par m’appeler, on s’est vus et on a passé de super moments ensemble.
J’avais 29 ans et elle avait 20 ans, et j’ai eu un feeling comme ça ! Elle était magnifique ! Puis comme on s’entendait bien, c’était logique qu’on se marie. Dans tous les couples faut avoir les mêmes points de vue dans la vie. Nos valeurs c’était de bien éduquer les enfants, leur transmettre des valeurs de vie. Et c’est ça qui était la force de notre couple.
Les enfants, c’est tout. Le monde il prend plus de couleurs quand tu as des enfants. On était contents de vivre chaque jour dans cette famille avec des valeurs fortes. On était vraiment heureux. Je suis peut-être une maman poule, je peux faire absolument tout pour mes enfants. Si je dois me coucher sur les rails du train pour eux, je le ferai !
J’ai beaucoup changé grâce à mes enfants. À travers eux j’ai appris à aimer les gens. J’ai réalisé tout l’amour que tu peux distribuer un peu ici et là. Et c’est aussi à travers eux que j’ai senti que Dieu nous aime comme ses propres enfants. Une fois, mon fils s’est perdu quand il avait 5 ans. J’étais tellement inquiet que j’ai commencé à prier Dieu. À ce moment j’ai compris que Dieu aussi était inquiet pour nous. Si tu n’as pas d’enfants, tu ne peux pas comprendre cet amour.
On a vécu longtemps sous la dictature soviétique, et c’était pas facile. A cette époque-là les gens avaient peur, et quand les gens ont peur, ils ne prennent pas de risques. J’ai bien réussi professionnellement, mais je n’ai pas réalisé tous les rêves que j’avais.
Moi non plus, je n’ai pas pu réaliser tous mes rêves. On était vraiment dressés dans une cage idéologique qu’on ne pouvait pas quitter. Vivre dans un système totalitaire c’est quand on t’explique que ton pays est le meilleur, et que tous les autres sont nuls. Et dès qu’on sortait des rails quelqu’un nous faisait une remarque. Donc en public tu dis une chose, et chez toi une autre. C’est exactement ce qu’on vit maintenant avec la Russie. Mais la chute de l’URSS a aussi été un cauchemar. Il n’y avait plus de travail. Tu pouvais voir au marché un professeur très connu en train de vendre ses habits. Vraiment, on a dû survivre. C’était très, très dur.
Malgré tout on s’est bien débrouillés, on a réussi à bien éduquer nos enfants. Et par rapport à ce qui s’est passé le 24 février 2022, la vie avant c’était juste le paradis. Parce que là… y’a absolument tout qui a changé. Avant la guerre, on habitait à Bucha avec nos deux fils. Une petite ville de rêve près de Kiev, toute jolie, toute moderne. C’est nos enfants qui ont déménagé là-bas et on les a suivis pour rester proches d’eux. Avec le temps, notre couple s’était cassé et on avait divorcé, mais on s’est toujours retrouvés autour de la famille.
Et c’est là, à Bucha, que la guerre nous a trouvés. On n’avait rien préparé parce que pour nous y’avait aucune logique qu’ils nous attaquent. Jusqu’à la dernière minute on n’y croyait pas.
Les Russes se sont installés à Bucha le 27 février et les violences, les pillages ont commencé. Depuis ma fenêtre je les voyais tirer de partout. Même sur des voitures vides ou des manèges pour enfants. Si une voiture essayait de partir, ils tiraient dessus. Ma voisine et sa fille ont été tuées comme ça. Mon voisin a été tué en sortant les poubelles, sans raison. Mon meilleur ami a été tué après qu’ils ont fouillé son téléphone. Les gens qu’ils tuaient dans la rue, ils les laissaient sur place, et on ne pouvait pas les enterrer. Les soldats russes étaient dans un état anormal, je pense qu’ils étaient drogués. Même un chien qui aboyait se faisait abattre. Sur un mur ils avaient écrit : « Qui vous a donné le droit de vivre mieux que nous ? » Vu que j’habitais au 8ème étage, on voyait les avions arriver et on entendait les bombes sans savoir où elles allaient tomber. C’était effrayant. Tu vois une maison à côté qui explose et tu te dis que la prochaine est peut-être pour toi. C’était un cauchemar. Je restais cachée tout le temps dans la salle de bains, avec 3 murs qui me séparaient de l’entrée.
Heureusement, nos fils avaient réussi à quitter Bucha pour se cacher dans une maison isolée. Moi, j’ai eu 3 contacts avec les Russes. Le premier j’étais dans la rue et des tanks se sont arrêtés à ma hauteur. Des soldats m’ont demandé où j’allais. J’ai dit que j’habitais ici et j’ai rétorqué : « Et vous, qu’est-que vous faites ici ? » Ils avaient l’air vraiment perdus. Quelques jours après, les Russes ont commencé à traquer les hommes qui avaient fait l’armée, et ils tiraient dans tous les sens. Tout à coup, une grosse explosion a fait voler ma porte d’entrée à 2cm de moi. Si j’avais été un peu plus proche, je ne serais pas ici aujourd’hui.
Après ça il est venu habiter chez moi et j’ai commencé un petit peu plus à me relaxer.
Mon 3ème contact avec les Russes s’est passé alors que j’apportais de la nourriture à des voisins âgés et handicapés. Je suis tombé sur des soldats dans la rue, et ils m’ont fouillé. J’avais pris beaucoup de photos des dégâts qu’ils avaient fait avec mon téléphone. Mais par chance je l’avais oublié à la maison… Ils m’ont accompagné pour apporter le repas puis ils m’ont embarqué. J’ai été enfermé avec 22 autres personnes dans un tout petit studio. Ils ne nous ont rien expliqué. On a imaginé que c’était pour nous utiliser comme protection contre l’armée ukrainienne. On avait seulement 5L d’eau et 3 ou 4 barquettes de nourriture par jour. On était enfermés là, non-stop, avec 2 gardes devant la porte. Et 2 jours après, ils ont reçu un coup de téléphone et une minute plus tard ils ont disparu.
Quand il est rentré chez moi, il était à moitié mort. Il avait même de la peine à monter les escaliers. Et moi j’avais vécu un cauchemar pendant ces jours tellement j’étais inquiète. C’était horrible. On passait notre temps à prier. C’était la seule chose qu’on pouvait faire.
Oui… Et heureusement, on est restés en vie.
On a attendu qu’il récupère un peu et puis on a décidé de rejoindre un couloir humanitaire pour quitter la ville. Les Russes nous donnaient seulement 30 minutes pour sortir, 1 heure s’ils étaient de bonne humeur.
On était tout le temps habillés. On dormait même habillés au cas où il fallait partir.
Et le 19 mars on a pris nos valises, nos chats et on est sortis de chez nous. On a attaché plein de draps blancs sur nous pour qu’ils voient qu’on était des civils. Et on a juste prié pour qu’on reste en vie.
Oh… j’ai eu vraiment peur. Je ne croyais pas qu’on y arriverait.
En arrivant sur la place de la mairie, il ne restait plus qu’un seul bus. Heureusement, ils ont fait de la place pour nous. Et là, quand je me suis assise, j’ai commencé à pleurer, pleurer. Je ne pensais pas y arriver. Et le lendemain, j’ai appris que les Russes sont entrés et ils ont pillé l’immeuble où j’habitais.
Quand le bus est arrivé en territoire libre ukrainien, juste 20 km plus loin, c’était vraiment incroyable. Tous les Ukrainiens nous ont accueillis avec du thé et de la nourriture.
Le thé que j’ai bu ce jour-là, c’est le meilleur thé que j’ai jamais bu dans ma vie.
Et là on a senti qu’on était à nouveau chez nous et j’ai commencé à me relaxer. On a aussi retrouvé un de nos fils qui nous attendait. C’était vraiment le meilleur jour de notre vie. Quand Bucha a été libérée le 1er avril, les militaires ukrainiens ont trouvé 67 personnes torturées et tuées. Et c’était seulement le premier jour.
Au début on ne savait pas qu’il y avait des tortures et des viols, car ça se passait de l’autre côté de la ville. Puis des amis qui habitaient là-bas ont commencé à nous envoyer des photos et des vidéos pour nous montrer ce qui se passait. C’est vraiment un génocide contre le peuple ukrainien.
On est restés à Kiev du 19 au 21 pour réfléchir à quoi faire. Et on a contacté ma cousine qui habite ici à Genève et elle proposé de nous accueillir. Je ne pensais jamais quitter Bucha, c’était ma maison. Mais après avoir vu les soldats russes, j’ai compris que je préférais mourir que de vivre sous leur occupation. Et c’est pour ça que j’ai décidé de partir.
Si on a réussi à faire le chemin jusqu’ici, c’est grâce à tous les bénévoles qui étaient là le long de la route. C’était incroyable de voir tous ces gens-là pour nous aider. Surtout en Pologne. Ils nous ont accueillis comme de la famille. Et même quand on est arrivés ici à Genève, tout le monde était là pour nous aider. J’avais le sentiment de vivre dans une grande famille. C’était génial de sentir cette entraide partout.
J’étais très touché aussi par tous les gens qui nous ont aidés et soutenus. C’était une expérience incroyable.
Quand je suis arrivée chez ma cousine, je me suis allongée en pensant faire une sieste de 10 minutes. Mais j’étais tellement épuisée que j’ai dormi 1 jour complet, tout habillée. C’était vraiment le soulagement qu’on soit arrivés là. Vous savez, nous on est n’est plus ensemble comme couple, mais on a vécu toute cette période ensemble et on est arrivés ici ensemble.
Une fois que Bucha a été libérée, nos enfants y sont retournés. Ils gardent le moral mais c’est très fatigant. Y’a pas de travail, pas d’électricité, pas de gaz. Y’a des roquettes qui continuent de tomber. Surtout pour les nerfs c’est très fatigant. Pour le moment ils n’ont pas été appelés pour rejoindre l’armée mais c’est une question qui est assez ouverte. Ils peuvent être appelés à tout moment…
On est tous les jours en contact avec eux, on leur envoie des cadeaux depuis ici, du fromage, du chocolat !
Moi je veux vraiment dire un grand merci aux Suisses qui accueillent les Ukrainiens. J’ai reçu tout ce que je pouvais avoir pour une vie normale, l’accueil, les soins de santé. Et si les Ukrainiens viennent ici, c’est juste pour se sentir un peu plus en sécurité et oublier ce qu’ils ont vécu. Une fois qu’il y aura la paix en Ukraine, on commencera à réfléchir à nouveau à quoi faire, mais avant ça on ne pense qu’à la paix. La guerre en Ukraine a changé tout et tout le monde. Avec la guerre on a compris la valeur des gens. Certaines personnes qu’on pensait être des amis ne sont plus là et ceux qu’on ne considérait pas comme des amis sont là avec nous. La vie ne sera plus jamais pareille après la guerre.
Les Genevois sont juste géniaux avec nous. Ici c’est un pays très différent de l’Ukraine parce que déjà il n’y a pas de corruption, et tout le monde vit par la loi et bien discipliné. Ça n’a rien à voir avec l’Ukraine, ça c’est vrai (rires) ! Tout ce qui me manque ici, c’est seulement la paix en Ukraine. S’il y a la paix en Ukraine, ma vie à Genève ressemblera à celle dans le jardin d’Eden ! Y’a une phrase dans la Bible qui dit qu’il faut dire merci pour tout : pour les choses bien et les choses mauvaises. Et nous on remercie Dieu tous les jours. J’ai remarqué que les moments difficiles dans ta vie t’aident à mieux comprendre comment tu peux mieux vivre après. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien
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« On s’est rencontrés par chance. Il passait dans ma ville à côté de Kiev. Je me baladais en ville et tout à coup je réalise qu’un homme me suit ! Je rentrais dans un magasin et il était derrière moi. Puis j’allais dans un autre magasin et il était encore là. À un moment je me suis retrouvée en face de lui et tout de suite il m’a demandé mon numéro de téléphone ! Moi j’ai pas compris, mais je le lui ai donné, comme pour me débarrasser de lui (rires) ! Il a fini par m’appeler, on s’est vus et on a passé de super moments ensemble.
J’avais 29 ans et elle avait 20 ans, et j’ai eu un feeling comme ça ! Elle était magnifique ! Puis comme on s’entendait bien, c’était logique qu’on se marie. Dans tous les couples faut avoir les mêmes points de vue dans la vie. Nos valeurs c’était de bien éduquer les enfants, leur transmettre des valeurs de vie. Et c’est ça qui était la force de notre couple.
Les enfants, c’est tout. Le monde il prend plus de couleurs quand tu as des enfants. On était contents de vivre chaque jour dans cette famille avec des valeurs fortes. On était vraiment heureux. Je suis peut-être une maman poule, je peux faire absolument tout pour mes enfants. Si je dois me coucher sur les rails du train pour eux, je le ferai !
J’ai beaucoup changé grâce à mes enfants. À travers eux j’ai appris à aimer les gens. J’ai réalisé tout l’amour que tu peux distribuer un peu ici et là. Et c’est aussi à travers eux que j’ai senti que Dieu nous aime comme ses propres enfants. Une fois, mon fils s’est perdu quand il avait 5 ans. J’étais tellement inquiet que j’ai commencé à prier Dieu. À ce moment j’ai compris que Dieu aussi était inquiet pour nous. Si tu n’as pas d’enfants, tu ne peux pas comprendre cet amour.
On a vécu longtemps sous la dictature soviétique, et c’était pas facile. A cette époque-là les gens avaient peur, et quand les gens ont peur, ils ne prennent pas de risques. J’ai bien réussi professionnellement, mais je n’ai pas réalisé tous les rêves que j’avais.
Moi non plus, je n’ai pas pu réaliser tous mes rêves. On était vraiment dressés dans une cage idéologique qu’on ne pouvait pas quitter. Vivre dans un système totalitaire c’est quand on t’explique que ton pays est le meilleur, et que tous les autres sont nuls. Et dès qu’on sortait des rails quelqu’un nous faisait une remarque. Donc en public tu dis une chose, et chez toi une autre. C’est exactement ce qu’on vit maintenant avec la Russie. Mais la chute de l’URSS a aussi été un cauchemar. Il n’y avait plus de travail. Tu pouvais voir au marché un professeur très connu en train de vendre ses habits. Vraiment, on a dû survivre. C’était très, très dur.
Malgré tout on s’est bien débrouillés, on a réussi à bien éduquer nos enfants. Et par rapport à ce qui s’est passé le 24 février 2022, la vie avant c’était juste le paradis. Parce que là… y’a absolument tout qui a changé. Avant la guerre, on habitait à Bucha avec nos deux fils. Une petite ville de rêve près de Kiev, toute jolie, toute moderne. C’est nos enfants qui ont déménagé là-bas et on les a suivis pour rester proches d’eux. Avec le temps, notre couple s’était cassé et on avait divorcé, mais on s’est toujours retrouvés autour de la famille.
Et c’est là, à Bucha, que la guerre nous a trouvés. On n’avait rien préparé parce que pour nous y’avait aucune logique qu’ils nous attaquent. Jusqu’à la dernière minute on n’y croyait pas.
Les Russes se sont installés à Bucha le 27 février et les violences, les pillages ont commencé. Depuis ma fenêtre je les voyais tirer de partout. Même sur des voitures vides ou des manèges pour enfants. Si une voiture essayait de partir, ils tiraient dessus. Ma voisine et sa fille ont été tuées comme ça. Mon voisin a été tué en sortant les poubelles, sans raison. Mon meilleur ami a été tué après qu’ils ont fouillé son téléphone. Les gens qu’ils tuaient dans la rue, ils les laissaient sur place, et on ne pouvait pas les enterrer. Les soldats russes étaient dans un état anormal, je pense qu’ils étaient drogués. Même un chien qui aboyait se faisait abattre. Sur un mur ils avaient écrit : « Qui vous a donné le droit de vivre mieux que nous ? » Vu que j’habitais au 8ème étage, on voyait les avions arriver et on entendait les bombes sans savoir où elles allaient tomber. C’était effrayant. Tu vois une maison à côté qui explose et tu te dis que la prochaine est peut-être pour toi. C’était un cauchemar. Je restais cachée tout le temps dans la salle de bains, avec 3 murs qui me séparaient de l’entrée.
Heureusement, nos fils avaient réussi à quitter Bucha pour se cacher dans une maison isolée. Moi, j’ai eu 3 contacts avec les Russes. Le premier j’étais dans la rue et des tanks se sont arrêtés à ma hauteur. Des soldats m’ont demandé où j’allais. J’ai dit que j’habitais ici et j’ai rétorqué : « Et vous, qu’est-que vous faites ici ? » Ils avaient l’air vraiment perdus. Quelques jours après, les Russes ont commencé à traquer les hommes qui avaient fait l’armée, et ils tiraient dans tous les sens. Tout à coup, une grosse explosion a fait voler ma porte d’entrée à 2cm de moi. Si j’avais été un peu plus proche, je ne serais pas ici aujourd’hui.
Après ça il est venu habiter chez moi et j’ai commencé un petit peu plus à me relaxer.
Mon 3ème contact avec les Russes s’est passé alors que j’apportais de la nourriture à des voisins âgés et handicapés. Je suis tombé sur des soldats dans la rue, et ils m’ont fouillé. J’avais pris beaucoup de photos des dégâts qu’ils avaient fait avec mon téléphone. Mais par chance je l’avais oublié à la maison… Ils m’ont accompagné pour apporter le repas puis ils m’ont embarqué. J’ai été enfermé avec 22 autres personnes dans un tout petit studio. Ils ne nous ont rien expliqué. On a imaginé que c’était pour nous utiliser comme protection contre l’armée ukrainienne. On avait seulement 5L d’eau et 3 ou 4 barquettes de nourriture par jour. On était enfermés là, non-stop, avec 2 gardes devant la porte. Et 2 jours après, ils ont reçu un coup de téléphone et une minute plus tard ils ont disparu.
Quand il est rentré chez moi, il était à moitié mort. Il avait même de la peine à monter les escaliers. Et moi j’avais vécu un cauchemar pendant ces jours tellement j’étais inquiète. C’était horrible. On passait notre temps à prier. C’était la seule chose qu’on pouvait faire.
Oui… Et heureusement, on est restés en vie.
On a attendu qu’il récupère un peu et puis on a décidé de rejoindre un couloir humanitaire pour quitter la ville. Les Russes nous donnaient seulement 30 minutes pour sortir, 1 heure s’ils étaient de bonne humeur.
On était tout le temps habillés. On dormait même habillés au cas où il fallait partir.
Et le 19 mars on a pris nos valises, nos chats et on est sortis de chez nous. On a attaché plein de draps blancs sur nous pour qu’ils voient qu’on était des civils. Et on a juste prié pour qu’on reste en vie.
Oh… j’ai eu vraiment peur. Je ne croyais pas qu’on y arriverait.
En arrivant sur la place de la mairie, il ne restait plus qu’un seul bus. Heureusement, ils ont fait de la place pour nous. Et là, quand je me suis assise, j’ai commencé à pleurer, pleurer. Je ne pensais pas y arriver. Et le lendemain, j’ai appris que les Russes sont entrés et ils ont pillé l’immeuble où j’habitais.
Quand le bus est arrivé en territoire libre ukrainien, juste 20 km plus loin, c’était vraiment incroyable. Tous les Ukrainiens nous ont accueillis avec du thé et de la nourriture.
Le thé que j’ai bu ce jour-là, c’est le meilleur thé que j’ai jamais bu dans ma vie.
Et là on a senti qu’on était à nouveau chez nous et j’ai commencé à me relaxer. On a aussi retrouvé un de nos fils qui nous attendait. C’était vraiment le meilleur jour de notre vie. Quand Bucha a été libérée le 1er avril, les militaires ukrainiens ont trouvé 67 personnes torturées et tuées. Et c’était seulement le premier jour.
Au début on ne savait pas qu’il y avait des tortures et des viols, car ça se passait de l’autre côté de la ville. Puis des amis qui habitaient là-bas ont commencé à nous envoyer des photos et des vidéos pour nous montrer ce qui se passait. C’est vraiment un génocide contre le peuple ukrainien.
On est restés à Kiev du 19 au 21 pour réfléchir à quoi faire. Et on a contacté ma cousine qui habite ici à Genève et elle proposé de nous accueillir. Je ne pensais jamais quitter Bucha, c’était ma maison. Mais après avoir vu les soldats russes, j’ai compris que je préférais mourir que de vivre sous leur occupation. Et c’est pour ça que j’ai décidé de partir.
Si on a réussi à faire le chemin jusqu’ici, c’est grâce à tous les bénévoles qui étaient là le long de la route. C’était incroyable de voir tous ces gens-là pour nous aider. Surtout en Pologne. Ils nous ont accueillis comme de la famille. Et même quand on est arrivés ici à Genève, tout le monde était là pour nous aider. J’avais le sentiment de vivre dans une grande famille. C’était génial de sentir cette entraide partout.
J’étais très touché aussi par tous les gens qui nous ont aidés et soutenus. C’était une expérience incroyable.
Quand je suis arrivée chez ma cousine, je me suis allongée en pensant faire une sieste de 10 minutes. Mais j’étais tellement épuisée que j’ai dormi 1 jour complet, tout habillée. C’était vraiment le soulagement qu’on soit arrivés là. Vous savez, nous on est n’est plus ensemble comme couple, mais on a vécu toute cette période ensemble et on est arrivés ici ensemble.
Une fois que Bucha a été libérée, nos enfants y sont retournés. Ils gardent le moral mais c’est très fatigant. Y’a pas de travail, pas d’électricité, pas de gaz. Y’a des roquettes qui continuent de tomber. Surtout pour les nerfs c’est très fatigant. Pour le moment ils n’ont pas été appelés pour rejoindre l’armée mais c’est une question qui est assez ouverte. Ils peuvent être appelés à tout moment…
On est tous les jours en contact avec eux, on leur envoie des cadeaux depuis ici, du fromage, du chocolat !
Moi je veux vraiment dire un grand merci aux Suisses qui accueillent les Ukrainiens. J’ai reçu tout ce que je pouvais avoir pour une vie normale, l’accueil, les soins de santé. Et si les Ukrainiens viennent ici, c’est juste pour se sentir un peu plus en sécurité et oublier ce qu’ils ont vécu. Une fois qu’il y aura la paix en Ukraine, on commencera à réfléchir à nouveau à quoi faire, mais avant ça on ne pense qu’à la paix. La guerre en Ukraine a changé tout et tout le monde. Avec la guerre on a compris la valeur des gens. Certaines personnes qu’on pensait être des amis ne sont plus là et ceux qu’on ne considérait pas comme des amis sont là avec nous. La vie ne sera plus jamais pareille après la guerre.
Les Genevois sont juste géniaux avec nous. Ici c’est un pays très différent de l’Ukraine parce que déjà il n’y a pas de corruption, et tout le monde vit par la loi et bien discipliné. Ça n’a rien à voir avec l’Ukraine, ça c’est vrai (rires) ! Tout ce qui me manque ici, c’est seulement la paix en Ukraine. S’il y a la paix en Ukraine, ma vie à Genève ressemblera à celle dans le jardin d’Eden ! Y’a une phrase dans la Bible qui dit qu’il faut dire merci pour tout : pour les choses bien et les choses mauvaises. Et nous on remercie Dieu tous les jours. J’ai remarqué que les moments difficiles dans ta vie t’aident à mieux comprendre comment tu peux mieux vivre après. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

« On s’est rencontrés par chance. Il passait dans ma ville à côté de Kiev. Je me baladais en ville et tout à coup je réalise qu’un homme me suit ! Je rentrais dans un magasin et il était derrière moi. Puis j’allais dans un autre magasin et il était encore là. À un moment je me suis retrouvée en face de lui et tout de suite il m’a demandé mon numéro de téléphone ! Moi j’ai pas compris, mais je le lui ai donné, comme pour me débarrasser de lui (rires) ! Il a fini par m’appeler, on s’est vus et on a passé de super moments ensemble.
J’avais 29 ans et elle avait 20 ans, et j’ai eu un feeling comme ça ! Elle était magnifique ! Puis comme on s’entendait bien, c’était logique qu’on se marie. Dans tous les couples faut avoir les mêmes points de vue dans la vie. Nos valeurs c’était de bien éduquer les enfants, leur transmettre des valeurs de vie. Et c’est ça qui était la force de notre couple.
Les enfants, c’est tout. Le monde il prend plus de couleurs quand tu as des enfants. On était contents de vivre chaque jour dans cette famille avec des valeurs fortes. On était vraiment heureux. Je suis peut-être une maman poule, je peux faire absolument tout pour mes enfants. Si je dois me coucher sur les rails du train pour eux, je le ferai !
J’ai beaucoup changé grâce à mes enfants. À travers eux j’ai appris à aimer les gens. J’ai réalisé tout l’amour que tu peux distribuer un peu ici et là. Et c’est aussi à travers eux que j’ai senti que Dieu nous aime comme ses propres enfants. Une fois, mon fils s’est perdu quand il avait 5 ans. J’étais tellement inquiet que j’ai commencé à prier Dieu. À ce moment j’ai compris que Dieu aussi était inquiet pour nous. Si tu n’as pas d’enfants, tu ne peux pas comprendre cet amour.
On a vécu longtemps sous la dictature soviétique, et c’était pas facile. A cette époque-là les gens avaient peur, et quand les gens ont peur, ils ne prennent pas de risques. J’ai bien réussi professionnellement, mais je n’ai pas réalisé tous les rêves que j’avais.
Moi non plus, je n’ai pas pu réaliser tous mes rêves. On était vraiment dressés dans une cage idéologique qu’on ne pouvait pas quitter. Vivre dans un système totalitaire c’est quand on t’explique que ton pays est le meilleur, et que tous les autres sont nuls. Et dès qu’on sortait des rails quelqu’un nous faisait une remarque. Donc en public tu dis une chose, et chez toi une autre. C’est exactement ce qu’on vit maintenant avec la Russie. Mais la chute de l’URSS a aussi été un cauchemar. Il n’y avait plus de travail. Tu pouvais voir au marché un professeur très connu en train de vendre ses habits. Vraiment, on a dû survivre. C’était très, très dur.
Malgré tout on s’est bien débrouillés, on a réussi à bien éduquer nos enfants. Et par rapport à ce qui s’est passé le 24 février 2022, la vie avant c’était juste le paradis. Parce que là… y’a absolument tout qui a changé. Avant la guerre, on habitait à Bucha avec nos deux fils. Une petite ville de rêve près de Kiev, toute jolie, toute moderne. C’est nos enfants qui ont déménagé là-bas et on les a suivis pour rester proches d’eux. Avec le temps, notre couple s’était cassé et on avait divorcé, mais on s’est toujours retrouvés autour de la famille.
Et c’est là, à Bucha, que la guerre nous a trouvés. On n’avait rien préparé parce que pour nous y’avait aucune logique qu’ils nous attaquent. Jusqu’à la dernière minute on n’y croyait pas.
Les Russes se sont installés à Bucha le 27 février et les violences, les pillages ont commencé. Depuis ma fenêtre je les voyais tirer de partout. Même sur des voitures vides ou des manèges pour enfants. Si une voiture essayait de partir, ils tiraient dessus. Ma voisine et sa fille ont été tuées comme ça. Mon voisin a été tué en sortant les poubelles, sans raison. Mon meilleur ami a été tué après qu’ils ont fouillé son téléphone. Les gens qu’ils tuaient dans la rue, ils les laissaient sur place, et on ne pouvait pas les enterrer. Les soldats russes étaient dans un état anormal, je pense qu’ils étaient drogués. Même un chien qui aboyait se faisait abattre. Sur un mur ils avaient écrit : « Qui vous a donné le droit de vivre mieux que nous ? » Vu que j’habitais au 8ème étage, on voyait les avions arriver et on entendait les bombes sans savoir où elles allaient tomber. C’était effrayant. Tu vois une maison à côté qui explose et tu te dis que la prochaine est peut-être pour toi. C’était un cauchemar. Je restais cachée tout le temps dans la salle de bains, avec 3 murs qui me séparaient de l’entrée.
Heureusement, nos fils avaient réussi à quitter Bucha pour se cacher dans une maison isolée. Moi, j’ai eu 3 contacts avec les Russes. Le premier j’étais dans la rue et des tanks se sont arrêtés à ma hauteur. Des soldats m’ont demandé où j’allais. J’ai dit que j’habitais ici et j’ai rétorqué : « Et vous, qu’est-que vous faites ici ? » Ils avaient l’air vraiment perdus. Quelques jours après, les Russes ont commencé à traquer les hommes qui avaient fait l’armée, et ils tiraient dans tous les sens. Tout à coup, une grosse explosion a fait voler ma porte d’entrée à 2cm de moi. Si j’avais été un peu plus proche, je ne serais pas ici aujourd’hui.
Après ça il est venu habiter chez moi et j’ai commencé un petit peu plus à me relaxer.
Mon 3ème contact avec les Russes s’est passé alors que j’apportais de la nourriture à des voisins âgés et handicapés. Je suis tombé sur des soldats dans la rue, et ils m’ont fouillé. J’avais pris beaucoup de photos des dégâts qu’ils avaient fait avec mon téléphone. Mais par chance je l’avais oublié à la maison… Ils m’ont accompagné pour apporter le repas puis ils m’ont embarqué. J’ai été enfermé avec 22 autres personnes dans un tout petit studio. Ils ne nous ont rien expliqué. On a imaginé que c’était pour nous utiliser comme protection contre l’armée ukrainienne. On avait seulement 5L d’eau et 3 ou 4 barquettes de nourriture par jour. On était enfermés là, non-stop, avec 2 gardes devant la porte. Et 2 jours après, ils ont reçu un coup de téléphone et une minute plus tard ils ont disparu.
Quand il est rentré chez moi, il était à moitié mort. Il avait même de la peine à monter les escaliers. Et moi j’avais vécu un cauchemar pendant ces jours tellement j’étais inquiète. C’était horrible. On passait notre temps à prier. C’était la seule chose qu’on pouvait faire.
Oui… Et heureusement, on est restés en vie.
On a attendu qu’il récupère un peu et puis on a décidé de rejoindre un couloir humanitaire pour quitter la ville. Les Russes nous donnaient seulement 30 minutes pour sortir, 1 heure s’ils étaient de bonne humeur.
On était tout le temps habillés. On dormait même habillés au cas où il fallait partir.
Et le 19 mars on a pris nos valises, nos chats et on est sortis de chez nous. On a attaché plein de draps blancs sur nous pour qu’ils voient qu’on était des civils. Et on a juste prié pour qu’on reste en vie.
Oh… j’ai eu vraiment peur. Je ne croyais pas qu’on y arriverait.
En arrivant sur la place de la mairie, il ne restait plus qu’un seul bus. Heureusement, ils ont fait de la place pour nous. Et là, quand je me suis assise, j’ai commencé à pleurer, pleurer. Je ne pensais pas y arriver. Et le lendemain, j’ai appris que les Russes sont entrés et ils ont pillé l’immeuble où j’habitais.
Quand le bus est arrivé en territoire libre ukrainien, juste 20 km plus loin, c’était vraiment incroyable. Tous les Ukrainiens nous ont accueillis avec du thé et de la nourriture.
Le thé que j’ai bu ce jour-là, c’est le meilleur thé que j’ai jamais bu dans ma vie.
Et là on a senti qu’on était à nouveau chez nous et j’ai commencé à me relaxer. On a aussi retrouvé un de nos fils qui nous attendait. C’était vraiment le meilleur jour de notre vie. Quand Bucha a été libérée le 1er avril, les militaires ukrainiens ont trouvé 67 personnes torturées et tuées. Et c’était seulement le premier jour.
Au début on ne savait pas qu’il y avait des tortures et des viols, car ça se passait de l’autre côté de la ville. Puis des amis qui habitaient là-bas ont commencé à nous envoyer des photos et des vidéos pour nous montrer ce qui se passait. C’est vraiment un génocide contre le peuple ukrainien.
On est restés à Kiev du 19 au 21 pour réfléchir à quoi faire. Et on a contacté ma cousine qui habite ici à Genève et elle proposé de nous accueillir. Je ne pensais jamais quitter Bucha, c’était ma maison. Mais après avoir vu les soldats russes, j’ai compris que je préférais mourir que de vivre sous leur occupation. Et c’est pour ça que j’ai décidé de partir.
Si on a réussi à faire le chemin jusqu’ici, c’est grâce à tous les bénévoles qui étaient là le long de la route. C’était incroyable de voir tous ces gens-là pour nous aider. Surtout en Pologne. Ils nous ont accueillis comme de la famille. Et même quand on est arrivés ici à Genève, tout le monde était là pour nous aider. J’avais le sentiment de vivre dans une grande famille. C’était génial de sentir cette entraide partout.
J’étais très touché aussi par tous les gens qui nous ont aidés et soutenus. C’était une expérience incroyable.
Quand je suis arrivée chez ma cousine, je me suis allongée en pensant faire une sieste de 10 minutes. Mais j’étais tellement épuisée que j’ai dormi 1 jour complet, tout habillée. C’était vraiment le soulagement qu’on soit arrivés là. Vous savez, nous on est n’est plus ensemble comme couple, mais on a vécu toute cette période ensemble et on est arrivés ici ensemble.
Une fois que Bucha a été libérée, nos enfants y sont retournés. Ils gardent le moral mais c’est très fatigant. Y’a pas de travail, pas d’électricité, pas de gaz. Y’a des roquettes qui continuent de tomber. Surtout pour les nerfs c’est très fatigant. Pour le moment ils n’ont pas été appelés pour rejoindre l’armée mais c’est une question qui est assez ouverte. Ils peuvent être appelés à tout moment…
On est tous les jours en contact avec eux, on leur envoie des cadeaux depuis ici, du fromage, du chocolat !
Moi je veux vraiment dire un grand merci aux Suisses qui accueillent les Ukrainiens. J’ai reçu tout ce que je pouvais avoir pour une vie normale, l’accueil, les soins de santé. Et si les Ukrainiens viennent ici, c’est juste pour se sentir un peu plus en sécurité et oublier ce qu’ils ont vécu. Une fois qu’il y aura la paix en Ukraine, on commencera à réfléchir à nouveau à quoi faire, mais avant ça on ne pense qu’à la paix. La guerre en Ukraine a changé tout et tout le monde. Avec la guerre on a compris la valeur des gens. Certaines personnes qu’on pensait être des amis ne sont plus là et ceux qu’on ne considérait pas comme des amis sont là avec nous. La vie ne sera plus jamais pareille après la guerre.
Les Genevois sont juste géniaux avec nous. Ici c’est un pays très différent de l’Ukraine parce que déjà il n’y a pas de corruption, et tout le monde vit par la loi et bien discipliné. Ça n’a rien à voir avec l’Ukraine, ça c’est vrai (rires) ! Tout ce qui me manque ici, c’est seulement la paix en Ukraine. S’il y a la paix en Ukraine, ma vie à Genève ressemblera à celle dans le jardin d’Eden ! Y’a une phrase dans la Bible qui dit qu’il faut dire merci pour tout : pour les choses bien et les choses mauvaises. Et nous on remercie Dieu tous les jours. J’ai remarqué que les moments difficiles dans ta vie t’aident à mieux comprendre comment tu peux mieux vivre après. »
Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien