« Je suis née il y a déjà longtemps, dans un train en Ukraine ! C’est peut-être pour ça que j’ai toujours aimé voyager (rires) ! J’ai un aïeul français qui a épousé une Allemande, et leur fils a épousé une Polonaise. Ils ont eu un fils qui est parti à Saint-Pétersbourg dans l’armée de la reine Ekaterina et il a épousé une Russe. Leur fils, c’est mon grand-père, et donc moi automatiquement je suis russe. Lui est parti vivre à Odessa et il a épousé ma grand-mère, une Ukrainienne. Et donc je suis automatiquement Ukrainienne aussi. Donc en fait moi-même je ne sais pas qui je suis ! Je suis de toute l’Europe (rires) ! Pendant la Seconde Guerre Mondiale, ma mère a vu sa propre mère se faire tuer par des soldats allemands. Je pense qu’elle a été traumatisée, et c’est pour ça que je n’ai pas eu une belle enfance.

Pression, punition, elle m’écrasait tout le temps. J’étais comme un petit chien battu. Je n’avais même pas le droit de lever les yeux. Je ne rêvais que d’une chose : quitter la maison. Avec cette expérience, je suis devenue très forte, mais je ne suis pas devenue méchante pour autant. Tout le contraire ! Comme j’avais énormément manqué d’amour, je rêvais de retrouver un amour familial. Alors j’ai décidé de devenir enseignante pour donner aux enfants tout l’amour que j’avais gardé en moi toute ma jeunesse. J’étais très déterminée dans mes études, je savais ce qu’il fallait que je fasse et je le faisais. J’ai avancé tout droit. Rien ne pouvait m’arrêter ! À 17 ans je suis partie à Moscou pour faire l’école pédagogique. C’était incroyable ! J’étais jeune, j’étais belle, et très active. On allait dans tous les théâtres, tous les concerts de Moscou. Vers 20 ans j’ai rencontré mon mari, un Russe de Sibérie et je me suis installée au Kamchatka avec lui et ma fille qui est née là-bas.

Mais ma mère continuait de m’empêcher d’être heureuse. Elle faisait tout le nécessaire pour que je divorce. Elle me racontait qu’il me trompait, et elle lui racontait la même chose. On a fini par divorcer, et je suis rentrée à Odessa avec ma fille. J’ai repris mon métier d’enseignante dans une école où je suis restée jusqu’à ma retraite. L’école est devenue mon monde. Tout ce que je faisais c’était pour les enfants. J’ai donné à chacun d’entre eux un petit morceau de mon âme. C’est tout. C’est simple. Entre la préparation des scénarios pour les concerts, les sorties avec les enfants, préparer les devoirs, rester au courant de tout ce qui se passe, je n’avais pas le temps de faire autre chose. Toute ma vie ça a été l’école, et les enfants. J’étais heureuse parce que j’ai construit ma vie comme je le voulais, une vie très active et très riche. Et le mal-être que j’avais pendant toute ma jeunesse, je l’ai laissé très, très loin derrière pour vivre dans l’amour.

Je vais te dire une chose. En Ukraine, les élèves donnent un surnom à chaque enseignant, et parfois ça peut être très méchant. Mais moi, je n’ai jamais eu du surnom. J’avais un respect total. Et juste ça, ça veut tout dire. Malheureusement, il n’existe plus beaucoup de profs comme moi. Maintenant, ils transmettent des informations, le programme qu’ils ont appris. Mais diriger les enfants vers la vie, pour qu’ils comprennent comment il faut vivre, ça, c’est autre chose. Et c’est ce que j’ai toujours essayé de faire. Je prenais une classe d’enfants de 11 ans et je restais avec eux jusqu’à leurs 17 ans. Je m’inquiétais pour chacun d’entre eux. Et je resterai leur professeure toute leur vie (rires) ! Je suis la maman de tout le monde ! Mes premiers élèves ont plus de 45 ans maintenant, et leurs enfants deviennent mes propres petits-enfants ! Donc j’ai beaucoup d’enfants et petits-enfants (rires) !

Le 24 février, à 4 heures du matin j’ai entendu une grande explosion. Au début j’ai cru que c’était un accident. J’ai appelé ma fille qui travaillait près de l’aéroport, et elle pleurait déjà : « Maman, c’est la guerre. » J’ai allumé la télé et j’ai vu les nouvelles. C’était comme un couteau dans le dos. Je n’ai pas eu peur pour moi, mais j’ai eu peur pour ma fille, pour mes élèves, et pour le futur de l’Ukraine. Ce jour-là j’ai juste pleuré et hurlé. Je ne savais pas quoi faire. Il faut aller où ? Faire quoi ? C’était horrible. Jusqu’à la dernière seconde je ne voulais pas croire à cette guerre. Moi j’ai étudié en Russie, j’ai vécu et enseigné là-bas, je suis une enfant ex-soviétique. On était tous de la même nationalité, on était tous pareils ! Tout ce que je peux te dire c’est que la Russie que j’ai connue jeune et le Russie d’aujourd’hui, ce n’est pas le même pays. Les gens en Russie sont devenus comme des zombies.

La fille de ma meilleure amie habitait Genève et elle m’a invitée à venir chez elle. Rapidement et sans réfléchir, je suis partie. Je pense que si j’étais restée en Ukraine je serais déjà morte. Je n’aurais pas supporté les alertes tout le temps, les bombardements. Et avec les prix qui ont tellement augmenté je n’aurais pas eu les moyens de me soigner. Je suis diabétique et j’ai un problème au cœur. Donc la Suisse m’a vraiment sauvé la vie. Je n’ai même pas de mots pour dire merci. Je comprends très bien qu’ils sortent l’argent de leur propre poche. Donc je veux que tu écrives : un énorme merci pour les Suisses qui ont ouvert la porte pour accueillir tous les réfugiés ukrainiens. On est arrivés au paradis, on a trouvé un logement, du soutien financier, et des soins médicaux. Et j’ai senti à Genève que tout le monde aidait avec le cœur grand ouvert. Je vis maintenant dans un foyer de l’Hospice Général et tout le personnel est tellement investi pour notre mieux. On sent qu’ils donnent avec leur âme et un grand cœur, et ça c’est très touchant pour nous.

Pendant les premiers 3 mois ici je n’ai fait que pleurer. Mon cœur est cassé en mille morceaux. Y’a eu un avant, et un après. Comme si tu arrachais un arbre de l’Ukraine et que tu le déposais à Genève. Je suis là, mais mes racines sont restées là-bas. Ma vie est comme coupée en deux et moi je suis restée au milieu, sans savoir ce qui va se passer demain. Je sais que 4 de me étudiants ont déjà été tués. Et il y en a sûrement plus dont je ne suis pas au courant. Je vis avec mon téléphone non-stop, à regarder les news sur l’Ukraine. Je me lève et je me couche avec. Je suis ici, mais en même-temps je suis là-bas. Maintenant je suis sûre que lorsque je vais rentrer en Ukraine, à la maison, je ne parlerai que l’ukrainien. Je veux vraiment supprimer de chez moi la langue russe et tout ce qui concerne la Russie. Parce que la Russie a massacré et tué mon peuple, et mes étudiants. Après la guerre, on va reconstruire un nouveau pays. Le peuple ukrainien est vraiment unique. On aime travailler, on est intelligents. On va remonter la pente, et reconstruire la terre ukrainienne. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

« Je suis née il y a déjà longtemps, dans un train en Ukraine ! C’est peut-être pour ça que j’ai toujours aimé voyager (rires) ! J’ai un aïeul français qui a épousé une Allemande, et leur fils a épousé une Polonaise. Ils ont eu un fils qui est parti à Saint-Pétersbourg dans l’armée de la reine Ekaterina et il a épousé une Russe. Leur fils, c’est mon grand-père, et donc moi automatiquement je suis russe. Lui est parti vivre à Odessa et il a épousé ma grand-mère, une Ukrainienne. Et donc je suis automatiquement Ukrainienne aussi. Donc en fait moi-même je ne sais pas qui je suis ! Je suis de toute l’Europe (rires) ! Pendant la Seconde Guerre Mondiale, ma mère a vu sa propre mère se faire tuer par des soldats allemands. Je pense qu’elle a été traumatisée, et c’est pour ça que je n’ai pas eu une belle enfance.

Pression, punition, elle m’écrasait tout le temps. J’étais comme un petit chien battu. Je n’avais même pas le droit de lever les yeux. Je ne rêvais que d’une chose : quitter la maison. Avec cette expérience, je suis devenue très forte, mais je ne suis pas devenue méchante pour autant. Tout le contraire ! Comme j’avais énormément manqué d’amour, je rêvais de retrouver un amour familial. Alors j’ai décidé de devenir enseignante pour donner aux enfants tout l’amour que j’avais gardé en moi toute ma jeunesse. J’étais très déterminée dans mes études, je savais ce qu’il fallait que je fasse et je le faisais. J’ai avancé tout droit. Rien ne pouvait m’arrêter ! À 17 ans je suis partie à Moscou pour faire l’école pédagogique. C’était incroyable ! J’étais jeune, j’étais belle, et très active. On allait dans tous les théâtres, tous les concerts de Moscou. Vers 20 ans j’ai rencontré mon mari, un Russe de Sibérie et je me suis installée au Kamchatka avec lui et ma fille qui est née là-bas.

Mais ma mère continuait de m’empêcher d’être heureuse. Elle faisait tout le nécessaire pour que je divorce. Elle me racontait qu’il me trompait, et elle lui racontait la même chose. On a fini par divorcer, et je suis rentrée à Odessa avec ma fille. J’ai repris mon métier d’enseignante dans une école où je suis restée jusqu’à ma retraite. L’école est devenue mon monde. Tout ce que je faisais c’était pour les enfants. J’ai donné à chacun d’entre eux un petit morceau de mon âme. C’est tout. C’est simple. Entre la préparation des scénarios pour les concerts, les sorties avec les enfants, préparer les devoirs, rester au courant de tout ce qui se passe, je n’avais pas le temps de faire autre chose. Toute ma vie ça a été l’école, et les enfants. J’étais heureuse parce que j’ai construit ma vie comme je le voulais, une vie très active et très riche. Et le mal-être que j’avais pendant toute ma jeunesse, je l’ai laissé très, très loin derrière pour vivre dans l’amour.

Je vais te dire une chose. En Ukraine, les élèves donnent un surnom à chaque enseignant, et parfois ça peut être très méchant. Mais moi, je n’ai jamais eu du surnom. J’avais un respect total. Et juste ça, ça veut tout dire. Malheureusement, il n’existe plus beaucoup de profs comme moi. Maintenant, ils transmettent des informations, le programme qu’ils ont appris. Mais diriger les enfants vers la vie, pour qu’ils comprennent comment il faut vivre, ça, c’est autre chose. Et c’est ce que j’ai toujours essayé de faire. Je prenais une classe d’enfants de 11 ans et je restais avec eux jusqu’à leurs 17 ans. Je m’inquiétais pour chacun d’entre eux. Et je resterai leur professeure toute leur vie (rires) ! Je suis la maman de tout le monde ! Mes premiers élèves ont plus de 45 ans maintenant, et leurs enfants deviennent mes propres petits-enfants ! Donc j’ai beaucoup d’enfants et petits-enfants (rires) !

Le 24 février, à 4 heures du matin j’ai entendu une grande explosion. Au début j’ai cru que c’était un accident. J’ai appelé ma fille qui travaillait près de l’aéroport, et elle pleurait déjà : « Maman, c’est la guerre. » J’ai allumé la télé et j’ai vu les nouvelles. C’était comme un couteau dans le dos. Je n’ai pas eu peur pour moi, mais j’ai eu peur pour ma fille, pour mes élèves, et pour le futur de l’Ukraine. Ce jour-là j’ai juste pleuré et hurlé. Je ne savais pas quoi faire. Il faut aller où ? Faire quoi ? C’était horrible. Jusqu’à la dernière seconde je ne voulais pas croire à cette guerre. Moi j’ai étudié en Russie, j’ai vécu et enseigné là-bas, je suis une enfant ex-soviétique. On était tous de la même nationalité, on était tous pareils ! Tout ce que je peux te dire c’est que la Russie que j’ai connue jeune et le Russie d’aujourd’hui, ce n’est pas le même pays. Les gens en Russie sont devenus comme des zombies.

La fille de ma meilleure amie habitait Genève et elle m’a invitée à venir chez elle. Rapidement et sans réfléchir, je suis partie. Je pense que si j’étais restée en Ukraine je serais déjà morte. Je n’aurais pas supporté les alertes tout le temps, les bombardements. Et avec les prix qui ont tellement augmenté je n’aurais pas eu les moyens de me soigner. Je suis diabétique et j’ai un problème au cœur. Donc la Suisse m’a vraiment sauvé la vie. Je n’ai même pas de mots pour dire merci. Je comprends très bien qu’ils sortent l’argent de leur propre poche. Donc je veux que tu écrives : un énorme merci pour les Suisses qui ont ouvert la porte pour accueillir tous les réfugiés ukrainiens. On est arrivés au paradis, on a trouvé un logement, du soutien financier, et des soins médicaux. Et j’ai senti à Genève que tout le monde aidait avec le cœur grand ouvert. Je vis maintenant dans un foyer de l’Hospice Général et tout le personnel est tellement investi pour notre mieux. On sent qu’ils donnent avec leur âme et un grand cœur, et ça c’est très touchant pour nous.

Pendant les premiers 3 mois ici je n’ai fait que pleurer. Mon cœur est cassé en mille morceaux. Y’a eu un avant, et un après. Comme si tu arrachais un arbre de l’Ukraine et que tu le déposais à Genève. Je suis là, mais mes racines sont restées là-bas. Ma vie est comme coupée en deux et moi je suis restée au milieu, sans savoir ce qui va se passer demain. Je sais que 4 de me étudiants ont déjà été tués. Et il y en a sûrement plus dont je ne suis pas au courant. Je vis avec mon téléphone non-stop, à regarder les news sur l’Ukraine. Je me lève et je me couche avec. Je suis ici, mais en même-temps je suis là-bas. Maintenant je suis sûre que lorsque je vais rentrer en Ukraine, à la maison, je ne parlerai que l’ukrainien. Je veux vraiment supprimer de chez moi la langue russe et tout ce qui concerne la Russie. Parce que la Russie a massacré et tué mon peuple, et mes étudiants. Après la guerre, on va reconstruire un nouveau pays. Le peuple ukrainien est vraiment unique. On aime travailler, on est intelligents. On va remonter la pente, et reconstruire la terre ukrainienne. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

Publié le: 20 novembre 2023

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« Je suis née il y a déjà longtemps, dans un train en Ukraine ! C’est peut-être pour ça que j’ai toujours aimé voyager (rires) ! J’ai un aïeul français qui a épousé une Allemande, et leur fils a épousé une Polonaise. Ils ont eu un fils qui est parti à Saint-Pétersbourg dans l’armée de la reine Ekaterina et il a épousé une Russe. Leur fils, c’est mon grand-père, et donc moi automatiquement je suis russe. Lui est parti vivre à Odessa et il a épousé ma grand-mère, une Ukrainienne. Et donc je suis automatiquement Ukrainienne aussi. Donc en fait moi-même je ne sais pas qui je suis ! Je suis de toute l’Europe (rires) ! Pendant la Seconde Guerre Mondiale, ma mère a vu sa propre mère se faire tuer par des soldats allemands. Je pense qu’elle a été traumatisée, et c’est pour ça que je n’ai pas eu une belle enfance.

Pression, punition, elle m’écrasait tout le temps. J’étais comme un petit chien battu. Je n’avais même pas le droit de lever les yeux. Je ne rêvais que d’une chose : quitter la maison. Avec cette expérience, je suis devenue très forte, mais je ne suis pas devenue méchante pour autant. Tout le contraire ! Comme j’avais énormément manqué d’amour, je rêvais de retrouver un amour familial. Alors j’ai décidé de devenir enseignante pour donner aux enfants tout l’amour que j’avais gardé en moi toute ma jeunesse. J’étais très déterminée dans mes études, je savais ce qu’il fallait que je fasse et je le faisais. J’ai avancé tout droit. Rien ne pouvait m’arrêter ! À 17 ans je suis partie à Moscou pour faire l’école pédagogique. C’était incroyable ! J’étais jeune, j’étais belle, et très active. On allait dans tous les théâtres, tous les concerts de Moscou. Vers 20 ans j’ai rencontré mon mari, un Russe de Sibérie et je me suis installée au Kamchatka avec lui et ma fille qui est née là-bas.

Mais ma mère continuait de m’empêcher d’être heureuse. Elle faisait tout le nécessaire pour que je divorce. Elle me racontait qu’il me trompait, et elle lui racontait la même chose. On a fini par divorcer, et je suis rentrée à Odessa avec ma fille. J’ai repris mon métier d’enseignante dans une école où je suis restée jusqu’à ma retraite. L’école est devenue mon monde. Tout ce que je faisais c’était pour les enfants. J’ai donné à chacun d’entre eux un petit morceau de mon âme. C’est tout. C’est simple. Entre la préparation des scénarios pour les concerts, les sorties avec les enfants, préparer les devoirs, rester au courant de tout ce qui se passe, je n’avais pas le temps de faire autre chose. Toute ma vie ça a été l’école, et les enfants. J’étais heureuse parce que j’ai construit ma vie comme je le voulais, une vie très active et très riche. Et le mal-être que j’avais pendant toute ma jeunesse, je l’ai laissé très, très loin derrière pour vivre dans l’amour.

Je vais te dire une chose. En Ukraine, les élèves donnent un surnom à chaque enseignant, et parfois ça peut être très méchant. Mais moi, je n’ai jamais eu du surnom. J’avais un respect total. Et juste ça, ça veut tout dire. Malheureusement, il n’existe plus beaucoup de profs comme moi. Maintenant, ils transmettent des informations, le programme qu’ils ont appris. Mais diriger les enfants vers la vie, pour qu’ils comprennent comment il faut vivre, ça, c’est autre chose. Et c’est ce que j’ai toujours essayé de faire. Je prenais une classe d’enfants de 11 ans et je restais avec eux jusqu’à leurs 17 ans. Je m’inquiétais pour chacun d’entre eux. Et je resterai leur professeure toute leur vie (rires) ! Je suis la maman de tout le monde ! Mes premiers élèves ont plus de 45 ans maintenant, et leurs enfants deviennent mes propres petits-enfants ! Donc j’ai beaucoup d’enfants et petits-enfants (rires) !

Le 24 février, à 4 heures du matin j’ai entendu une grande explosion. Au début j’ai cru que c’était un accident. J’ai appelé ma fille qui travaillait près de l’aéroport, et elle pleurait déjà : « Maman, c’est la guerre. » J’ai allumé la télé et j’ai vu les nouvelles. C’était comme un couteau dans le dos. Je n’ai pas eu peur pour moi, mais j’ai eu peur pour ma fille, pour mes élèves, et pour le futur de l’Ukraine. Ce jour-là j’ai juste pleuré et hurlé. Je ne savais pas quoi faire. Il faut aller où ? Faire quoi ? C’était horrible. Jusqu’à la dernière seconde je ne voulais pas croire à cette guerre. Moi j’ai étudié en Russie, j’ai vécu et enseigné là-bas, je suis une enfant ex-soviétique. On était tous de la même nationalité, on était tous pareils ! Tout ce que je peux te dire c’est que la Russie que j’ai connue jeune et le Russie d’aujourd’hui, ce n’est pas le même pays. Les gens en Russie sont devenus comme des zombies.

La fille de ma meilleure amie habitait Genève et elle m’a invitée à venir chez elle. Rapidement et sans réfléchir, je suis partie. Je pense que si j’étais restée en Ukraine je serais déjà morte. Je n’aurais pas supporté les alertes tout le temps, les bombardements. Et avec les prix qui ont tellement augmenté je n’aurais pas eu les moyens de me soigner. Je suis diabétique et j’ai un problème au cœur. Donc la Suisse m’a vraiment sauvé la vie. Je n’ai même pas de mots pour dire merci. Je comprends très bien qu’ils sortent l’argent de leur propre poche. Donc je veux que tu écrives : un énorme merci pour les Suisses qui ont ouvert la porte pour accueillir tous les réfugiés ukrainiens. On est arrivés au paradis, on a trouvé un logement, du soutien financier, et des soins médicaux. Et j’ai senti à Genève que tout le monde aidait avec le cœur grand ouvert. Je vis maintenant dans un foyer de l’Hospice Général et tout le personnel est tellement investi pour notre mieux. On sent qu’ils donnent avec leur âme et un grand cœur, et ça c’est très touchant pour nous.

Pendant les premiers 3 mois ici je n’ai fait que pleurer. Mon cœur est cassé en mille morceaux. Y’a eu un avant, et un après. Comme si tu arrachais un arbre de l’Ukraine et que tu le déposais à Genève. Je suis là, mais mes racines sont restées là-bas. Ma vie est comme coupée en deux et moi je suis restée au milieu, sans savoir ce qui va se passer demain. Je sais que 4 de me étudiants ont déjà été tués. Et il y en a sûrement plus dont je ne suis pas au courant. Je vis avec mon téléphone non-stop, à regarder les news sur l’Ukraine. Je me lève et je me couche avec. Je suis ici, mais en même-temps je suis là-bas. Maintenant je suis sûre que lorsque je vais rentrer en Ukraine, à la maison, je ne parlerai que l’ukrainien. Je veux vraiment supprimer de chez moi la langue russe et tout ce qui concerne la Russie. Parce que la Russie a massacré et tué mon peuple, et mes étudiants. Après la guerre, on va reconstruire un nouveau pays. Le peuple ukrainien est vraiment unique. On aime travailler, on est intelligents. On va remonter la pente, et reconstruire la terre ukrainienne. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

« Je suis née il y a déjà longtemps, dans un train en Ukraine ! C’est peut-être pour ça que j’ai toujours aimé voyager (rires) ! J’ai un aïeul français qui a épousé une Allemande, et leur fils a épousé une Polonaise. Ils ont eu un fils qui est parti à Saint-Pétersbourg dans l’armée de la reine Ekaterina et il a épousé une Russe. Leur fils, c’est mon grand-père, et donc moi automatiquement je suis russe. Lui est parti vivre à Odessa et il a épousé ma grand-mère, une Ukrainienne. Et donc je suis automatiquement Ukrainienne aussi. Donc en fait moi-même je ne sais pas qui je suis ! Je suis de toute l’Europe (rires) ! Pendant la Seconde Guerre Mondiale, ma mère a vu sa propre mère se faire tuer par des soldats allemands. Je pense qu’elle a été traumatisée, et c’est pour ça que je n’ai pas eu une belle enfance.

Pression, punition, elle m’écrasait tout le temps. J’étais comme un petit chien battu. Je n’avais même pas le droit de lever les yeux. Je ne rêvais que d’une chose : quitter la maison. Avec cette expérience, je suis devenue très forte, mais je ne suis pas devenue méchante pour autant. Tout le contraire ! Comme j’avais énormément manqué d’amour, je rêvais de retrouver un amour familial. Alors j’ai décidé de devenir enseignante pour donner aux enfants tout l’amour que j’avais gardé en moi toute ma jeunesse. J’étais très déterminée dans mes études, je savais ce qu’il fallait que je fasse et je le faisais. J’ai avancé tout droit. Rien ne pouvait m’arrêter ! À 17 ans je suis partie à Moscou pour faire l’école pédagogique. C’était incroyable ! J’étais jeune, j’étais belle, et très active. On allait dans tous les théâtres, tous les concerts de Moscou. Vers 20 ans j’ai rencontré mon mari, un Russe de Sibérie et je me suis installée au Kamchatka avec lui et ma fille qui est née là-bas.

Mais ma mère continuait de m’empêcher d’être heureuse. Elle faisait tout le nécessaire pour que je divorce. Elle me racontait qu’il me trompait, et elle lui racontait la même chose. On a fini par divorcer, et je suis rentrée à Odessa avec ma fille. J’ai repris mon métier d’enseignante dans une école où je suis restée jusqu’à ma retraite. L’école est devenue mon monde. Tout ce que je faisais c’était pour les enfants. J’ai donné à chacun d’entre eux un petit morceau de mon âme. C’est tout. C’est simple. Entre la préparation des scénarios pour les concerts, les sorties avec les enfants, préparer les devoirs, rester au courant de tout ce qui se passe, je n’avais pas le temps de faire autre chose. Toute ma vie ça a été l’école, et les enfants. J’étais heureuse parce que j’ai construit ma vie comme je le voulais, une vie très active et très riche. Et le mal-être que j’avais pendant toute ma jeunesse, je l’ai laissé très, très loin derrière pour vivre dans l’amour.

Je vais te dire une chose. En Ukraine, les élèves donnent un surnom à chaque enseignant, et parfois ça peut être très méchant. Mais moi, je n’ai jamais eu du surnom. J’avais un respect total. Et juste ça, ça veut tout dire. Malheureusement, il n’existe plus beaucoup de profs comme moi. Maintenant, ils transmettent des informations, le programme qu’ils ont appris. Mais diriger les enfants vers la vie, pour qu’ils comprennent comment il faut vivre, ça, c’est autre chose. Et c’est ce que j’ai toujours essayé de faire. Je prenais une classe d’enfants de 11 ans et je restais avec eux jusqu’à leurs 17 ans. Je m’inquiétais pour chacun d’entre eux. Et je resterai leur professeure toute leur vie (rires) ! Je suis la maman de tout le monde ! Mes premiers élèves ont plus de 45 ans maintenant, et leurs enfants deviennent mes propres petits-enfants ! Donc j’ai beaucoup d’enfants et petits-enfants (rires) !

Le 24 février, à 4 heures du matin j’ai entendu une grande explosion. Au début j’ai cru que c’était un accident. J’ai appelé ma fille qui travaillait près de l’aéroport, et elle pleurait déjà : « Maman, c’est la guerre. » J’ai allumé la télé et j’ai vu les nouvelles. C’était comme un couteau dans le dos. Je n’ai pas eu peur pour moi, mais j’ai eu peur pour ma fille, pour mes élèves, et pour le futur de l’Ukraine. Ce jour-là j’ai juste pleuré et hurlé. Je ne savais pas quoi faire. Il faut aller où ? Faire quoi ? C’était horrible. Jusqu’à la dernière seconde je ne voulais pas croire à cette guerre. Moi j’ai étudié en Russie, j’ai vécu et enseigné là-bas, je suis une enfant ex-soviétique. On était tous de la même nationalité, on était tous pareils ! Tout ce que je peux te dire c’est que la Russie que j’ai connue jeune et le Russie d’aujourd’hui, ce n’est pas le même pays. Les gens en Russie sont devenus comme des zombies.

La fille de ma meilleure amie habitait Genève et elle m’a invitée à venir chez elle. Rapidement et sans réfléchir, je suis partie. Je pense que si j’étais restée en Ukraine je serais déjà morte. Je n’aurais pas supporté les alertes tout le temps, les bombardements. Et avec les prix qui ont tellement augmenté je n’aurais pas eu les moyens de me soigner. Je suis diabétique et j’ai un problème au cœur. Donc la Suisse m’a vraiment sauvé la vie. Je n’ai même pas de mots pour dire merci. Je comprends très bien qu’ils sortent l’argent de leur propre poche. Donc je veux que tu écrives : un énorme merci pour les Suisses qui ont ouvert la porte pour accueillir tous les réfugiés ukrainiens. On est arrivés au paradis, on a trouvé un logement, du soutien financier, et des soins médicaux. Et j’ai senti à Genève que tout le monde aidait avec le cœur grand ouvert. Je vis maintenant dans un foyer de l’Hospice Général et tout le personnel est tellement investi pour notre mieux. On sent qu’ils donnent avec leur âme et un grand cœur, et ça c’est très touchant pour nous.

Pendant les premiers 3 mois ici je n’ai fait que pleurer. Mon cœur est cassé en mille morceaux. Y’a eu un avant, et un après. Comme si tu arrachais un arbre de l’Ukraine et que tu le déposais à Genève. Je suis là, mais mes racines sont restées là-bas. Ma vie est comme coupée en deux et moi je suis restée au milieu, sans savoir ce qui va se passer demain. Je sais que 4 de me étudiants ont déjà été tués. Et il y en a sûrement plus dont je ne suis pas au courant. Je vis avec mon téléphone non-stop, à regarder les news sur l’Ukraine. Je me lève et je me couche avec. Je suis ici, mais en même-temps je suis là-bas. Maintenant je suis sûre que lorsque je vais rentrer en Ukraine, à la maison, je ne parlerai que l’ukrainien. Je veux vraiment supprimer de chez moi la langue russe et tout ce qui concerne la Russie. Parce que la Russie a massacré et tué mon peuple, et mes étudiants. Après la guerre, on va reconstruire un nouveau pays. Le peuple ukrainien est vraiment unique. On aime travailler, on est intelligents. On va remonter la pente, et reconstruire la terre ukrainienne. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’ukrainien

Publié le: 20 novembre 2023

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