« Je suis née à Kazan, la capitale de la République du Tatarstan, qui fait partie de la Fédération de Russie. J’ai donc un passeport russe. Kazan est une très belle ville, très ouverte et internationale. La culture y est très intéressante et vivante, avec des musulmans et des chrétiens orthodoxes. Lorsque j’étais jeune, dans les années 90, le Tatarstan avait beaucoup de problèmes économiques. Beaucoup de mes amis à l’école n’avaient pas les moyens de manger à midi. Ça m’arrivait souvent de payer pour eux, sinon ils ne mangeaient pas de la journée. Aujourd’hui, la situation économique s’est améliorée. Après avoir étudié la sociologie à l’université, j’ai travaillé dans un journal pendant quatre ans à Kazan. Il s’appelait  » Arguments et faits « . J’étais passionnée d’écrire des articles sur les questions sociales et la politique. Mais un de mes articles sur la police a créé beaucoup de problèmes…

Les gens ont commencé à me demander : pourquoi écris-tu ceci ou interviewes-tu cette personne ? C’était il y a dix ans, et à l’époque, la Russie n’était pas encore une dictature comme aujourd’hui, mais elle commençait à l’être. Après la publication de l’article, un policier m’a appelée au téléphone et m’a dit :  » Je connais votre adresse, vous devez modifier cet article « . J’ai parlé avec le rédacteur en chef du journal et nous avons décidé de changer quelques phrases. En fin de compte, je m’intéressais davantage aux projets sociaux, à l’aide et aux soins apportés aux gens. Après cet emploi, j’ai donc travaillé comme responsable des bénévoles pour une ONG. J’ai invité des bénévoles d’autres pays à venir travailler au Tatarstan ou à organiser des projets sociaux dans différents pays. J’ai également travaillé sur les droits de l’Homme avec les Tatars. J’ai géré de nombreux projets de ce type à Kazan, mais aussi à Saint-Pétersbourg et à Moscou.

Mon mari suivait une formation de chef cuisinier. Son rêve était d’ouvrir son propre restaurant. Il a intégré la célèbre San Pellegrino Young Chef Academy et est arrivé en finale ! Après avoir travaillé quelque temps à Saint-Pétersbourg, il a trouvé du travail à Odessa. C’est ainsi que nous sommes arrivés en Ukraine en 2019. J’enseignais l’italien dans une école privée et je travaillais dans le domaine des droits de l’homme avec les Tatars de Crimée. J’ai réalisé de nombreux projets pour les aider à quitter la Crimée où ils avaient des problèmes avec le gouvernement russe. À cette époque, mon mari avait ouvert son premier restaurant à Odessa. C’était très joli, très mignon ! Et après un certain temps, il en a ouvert deux autres. Notre vie se passait très bien à Odessa. Nous avions beaucoup de projets ! Nous vivions dans un bel appartement dans le centre d’Odessa, près de la mer, nous avions beaucoup d’amis. Nous menions une vie heureuse et en sécurité.

C’est intéressant qu’on soit russes et qu’on vive à Odessa. Avant qu’on s’y installe, ma belle-mère nous avait dit de ne pas y aller, parce que c’était dangereux pour les Russes de vivre en Ukraine. C’est ce que dit la propagande russe. Mais ce n’est pas vrai, c’est une ville sûre et magnifique ! Nous n’avons jamais ressenti de problèmes entre les Russes et les Ukrainiens. Nous avons écrit de nombreux messages à nos amis et à notre famille pour les informer. Mais beaucoup nous ont répondu :  » Non, ce n’est pas possible, parce qu’à la télé et dans les journaux, Poutine dit qu’il y a un problème « . Un jour, nous avons entendu un grand bruit, comme des explosions. On a d’abord cru que c’était le bruit du port. Mais c’était la guerre. Pour moi, c’était comme si ce n’était pas réel. Ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas être la réalité. C’était trop étrange. Pourquoi cela s’est-il produit ? Je ne comprends pas. Nous avions une vie tellement normale, pourquoi cela se produirait-il ?

Quelques jours plus tard, je suis partie avec mon fils pour la Moldavie. J’avais lu beaucoup de livres sur les écrivains russes qui fuyaient le pays après la révolution russe. Et maintenant, j’avais l’impression que cela m’arrivait à moi. C’est comme si ma vie était devenue un livre. C’est un sentiment très étrange. En Moldavie, j’ai commencé à aider d’autres réfugiés. Dans les situations dangereuses, je pense très vite à ce que je dois faire et à la manière d’aider les gens. Et mon mari a utilisé ses restaurants pour cuisiner pour l’armée ukrainienne. Pendant cette période, mon mari et moi avons écrit beaucoup de messages sur les médias sociaux à propos de la guerre et de ce qui se passait réellement. Que la propagande n’était pas vraie, que la vie était très belle ici avant.

À cause de cela, et aussi parce que mon mari cuisinait pour l’armée ukrainienne, nous savions que nous ne pouvions pas retourner en Russie. Nous aurions pu tous les deux finir en prison. Avant la guerre, mon mari avait invité un chef genevois, Walter El Nagar, à cuisiner dans son restaurant d’Odessa. En contrepartie, Walter a été très gentil et nous a invités à Genève. Il nous a aidés à trouver un appartement et un emploi pour mon mari. À notre arrivée, nous avons eu un très long entretien avec les autorités suisses. Ce n’est pas facile à comprendre pour eux, car nous sommes russes, mais nous sommes des réfugiés de la guerre en Ukraine. Nous leur avons montré nos réseaux sociaux, les messages que nous avons publiés et mon travail dans le domaine des droits de l’Homme avec les Tatars. Finalement, ils ont compris. Aujourd’hui, nous avons le statut F et mon mari a pu trouver un emploi dans un restaurant.

Je ne sais pas combien de temps durera cette guerre. Mais je pense qu’elle durera longtemps. Je parle à mon père tous les jours. Il est triste pour l’avenir parce que maintenant je ne peux pas revenir en Russie et je ne pourrai pas voir ma famille avant longtemps. Je suis très nostalgique de la culture du Tatarstan. Nous avons une cuisine délicieuse, très différente de la cuisine russe. Et nous avons la langue et la musique tatares. Je ne sais pas si un jour je pourrai y retourner. Pour moi, c’est très étrange. Mon mari aimerait retourner à Odessa un jour, mais je ne sais pas si nous, les Russes, serons autorisés à y retourner non plus. Pour l’instant, nous vivons sans avenir. Nous avions une si belle vie à Odessa. Mon mari avait réalisé son rêve. Et maintenant, il a dû fermer les trois restaurants et nous devons commencer une nouvelle vie en tant que réfugiés. Mais je lui ai dit : ce n’est pas grave, nous pouvons recommencer !

Il aimerait ouvrir un restaurant ici. Genève est une ville très ouverte et internationale, mais c’est aussi une ville très conservatrice pour les affaires. C’est très difficile de créer quelque chose de nouveau. En Ukraine, les affaires vont très vite. Vous avez une idée ? Génial ! Et elle se concrétise ! J’ai aussi des projets pour moi-même. Je fais actuellement un stage dans un centre pour personnes handicapées mentales. J’adore ce genre de travail. Je me suis inscrite à Horizon Académique pour 3 heures de cours de français par jour. Et je suis également bénévole à la Croix-Rouge genevoise. J’ai besoin d’être active et d’apporter mon aide. J’ai trop d’énergie pour rester à la maison (rires) ! Et grâce au bénévolat, je me suis fait beaucoup d’amis. Nous n’avons pas de chance à cause de la guerre, mais nous avons aussi beaucoup de chance parce que nous avons rencontré beaucoup de bonnes personnes. C’est une leçon très importante que j’ai apprise : les gens sont altruistes et prêts à aider ! »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’anglais

« Je suis née à Kazan, la capitale de la République du Tatarstan, qui fait partie de la Fédération de Russie. J’ai donc un passeport russe. Kazan est une très belle ville, très ouverte et internationale. La culture y est très intéressante et vivante, avec des musulmans et des chrétiens orthodoxes. Lorsque j’étais jeune, dans les années 90, le Tatarstan avait beaucoup de problèmes économiques. Beaucoup de mes amis à l’école n’avaient pas les moyens de manger à midi. Ça m’arrivait souvent de payer pour eux, sinon ils ne mangeaient pas de la journée. Aujourd’hui, la situation économique s’est améliorée. Après avoir étudié la sociologie à l’université, j’ai travaillé dans un journal pendant quatre ans à Kazan. Il s’appelait  » Arguments et faits « . J’étais passionnée d’écrire des articles sur les questions sociales et la politique. Mais un de mes articles sur la police a créé beaucoup de problèmes…

Les gens ont commencé à me demander : pourquoi écris-tu ceci ou interviewes-tu cette personne ? C’était il y a dix ans, et à l’époque, la Russie n’était pas encore une dictature comme aujourd’hui, mais elle commençait à l’être. Après la publication de l’article, un policier m’a appelée au téléphone et m’a dit :  » Je connais votre adresse, vous devez modifier cet article « . J’ai parlé avec le rédacteur en chef du journal et nous avons décidé de changer quelques phrases. En fin de compte, je m’intéressais davantage aux projets sociaux, à l’aide et aux soins apportés aux gens. Après cet emploi, j’ai donc travaillé comme responsable des bénévoles pour une ONG. J’ai invité des bénévoles d’autres pays à venir travailler au Tatarstan ou à organiser des projets sociaux dans différents pays. J’ai également travaillé sur les droits de l’Homme avec les Tatars. J’ai géré de nombreux projets de ce type à Kazan, mais aussi à Saint-Pétersbourg et à Moscou.

Mon mari suivait une formation de chef cuisinier. Son rêve était d’ouvrir son propre restaurant. Il a intégré la célèbre San Pellegrino Young Chef Academy et est arrivé en finale ! Après avoir travaillé quelque temps à Saint-Pétersbourg, il a trouvé du travail à Odessa. C’est ainsi que nous sommes arrivés en Ukraine en 2019. J’enseignais l’italien dans une école privée et je travaillais dans le domaine des droits de l’homme avec les Tatars de Crimée. J’ai réalisé de nombreux projets pour les aider à quitter la Crimée où ils avaient des problèmes avec le gouvernement russe. À cette époque, mon mari avait ouvert son premier restaurant à Odessa. C’était très joli, très mignon ! Et après un certain temps, il en a ouvert deux autres. Notre vie se passait très bien à Odessa. Nous avions beaucoup de projets ! Nous vivions dans un bel appartement dans le centre d’Odessa, près de la mer, nous avions beaucoup d’amis. Nous menions une vie heureuse et en sécurité.

C’est intéressant qu’on soit russes et qu’on vive à Odessa. Avant qu’on s’y installe, ma belle-mère nous avait dit de ne pas y aller, parce que c’était dangereux pour les Russes de vivre en Ukraine. C’est ce que dit la propagande russe. Mais ce n’est pas vrai, c’est une ville sûre et magnifique ! Nous n’avons jamais ressenti de problèmes entre les Russes et les Ukrainiens. Nous avons écrit de nombreux messages à nos amis et à notre famille pour les informer. Mais beaucoup nous ont répondu :  » Non, ce n’est pas possible, parce qu’à la télé et dans les journaux, Poutine dit qu’il y a un problème « . Un jour, nous avons entendu un grand bruit, comme des explosions. On a d’abord cru que c’était le bruit du port. Mais c’était la guerre. Pour moi, c’était comme si ce n’était pas réel. Ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas être la réalité. C’était trop étrange. Pourquoi cela s’est-il produit ? Je ne comprends pas. Nous avions une vie tellement normale, pourquoi cela se produirait-il ?

Quelques jours plus tard, je suis partie avec mon fils pour la Moldavie. J’avais lu beaucoup de livres sur les écrivains russes qui fuyaient le pays après la révolution russe. Et maintenant, j’avais l’impression que cela m’arrivait à moi. C’est comme si ma vie était devenue un livre. C’est un sentiment très étrange. En Moldavie, j’ai commencé à aider d’autres réfugiés. Dans les situations dangereuses, je pense très vite à ce que je dois faire et à la manière d’aider les gens. Et mon mari a utilisé ses restaurants pour cuisiner pour l’armée ukrainienne. Pendant cette période, mon mari et moi avons écrit beaucoup de messages sur les médias sociaux à propos de la guerre et de ce qui se passait réellement. Que la propagande n’était pas vraie, que la vie était très belle ici avant. À cause de cela, et aussi parce que mon mari cuisinait pour l’armée ukrainienne, nous savions que nous ne pouvions pas retourner en Russie. Nous aurions pu tous les deux finir en prison.

Avant la guerre, mon mari avait invité un chef genevois, Walter El Nagar, à cuisiner dans son restaurant d’Odessa. En contrepartie, Walter a été très gentil et nous a invités à Genève. Il nous a aidés à trouver un appartement et un emploi pour mon mari. À notre arrivée, nous avons eu un très long entretien avec les autorités suisses. Ce n’est pas facile à comprendre pour eux, car nous sommes russes, mais nous sommes des réfugiés de la guerre en Ukraine. Nous leur avons montré nos réseaux sociaux, les messages que nous avons publiés et mon travail dans le domaine des droits de l’Homme avec les Tatars. Finalement, ils ont compris. Aujourd’hui, nous avons le statut F et mon mari a pu trouver un emploi dans un restaurant.

Je ne sais pas combien de temps durera cette guerre. Mais je pense qu’elle durera longtemps. Je parle à mon père tous les jours. Il est triste pour l’avenir parce que maintenant je ne peux pas revenir en Russie et je ne pourrai pas voir ma famille avant longtemps. Je suis très nostalgique de la culture du Tatarstan. Nous avons une cuisine délicieuse, très différente de la cuisine russe. Et nous avons la langue et la musique tatares. Je ne sais pas si un jour je pourrai y retourner. Pour moi, c’est très étrange. Mon mari aimerait retourner à Odessa un jour, mais je ne sais pas si nous, les Russes, serons autorisés à y retourner non plus. Pour l’instant, nous vivons sans avenir. Nous avions une si belle vie à Odessa. Mon mari avait réalisé son rêve. Et maintenant, il a dû fermer les trois restaurants et nous devons commencer une nouvelle vie en tant que réfugiés. Mais je lui ai dit : ce n’est pas grave, nous pouvons recommencer !

Il aimerait ouvrir un restaurant ici. Genève est une ville très ouverte et internationale, mais c’est aussi une ville très conservatrice pour les affaires. C’est très difficile de créer quelque chose de nouveau. En Ukraine, les affaires vont très vite. Vous avez une idée ? Génial ! Et elle se concrétise ! J’ai aussi des projets pour moi-même. Je fais actuellement un stage dans un centre pour personnes handicapées mentales. J’adore ce genre de travail. Je me suis inscrite à Horizon Académique pour 3 heures de cours de français par jour. Et je suis également bénévole à la Croix-Rouge genevoise. J’ai besoin d’être active et d’apporter mon aide. J’ai trop d’énergie pour rester à la maison (rires) ! Et grâce au bénévolat, je me suis fait beaucoup d’amis. Nous n’avons pas de chance à cause de la guerre, mais nous avons aussi beaucoup de chance parce que nous avons rencontré beaucoup de bonnes personnes. C’est une leçon très importante que j’ai apprise : les gens sont altruistes et prêts à aider ! »

<em>Publiée dans le cadre de la mini-série « <span style= »text-decoration: underline; »><a href= »https://gx218abikog.preview.infomaniak.website/histoires/mini-series/crg/ »>Et puis la guerre a commencé…</a></span> », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’anglais</em>

Publié le: 21 novembre 2023

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« Je suis née à Kazan, la capitale de la République du Tatarstan, qui fait partie de la Fédération de Russie. J’ai donc un passeport russe. Kazan est une très belle ville, très ouverte et internationale. La culture y est très intéressante et vivante, avec des musulmans et des chrétiens orthodoxes. Lorsque j’étais jeune, dans les années 90, le Tatarstan avait beaucoup de problèmes économiques. Beaucoup de mes amis à l’école n’avaient pas les moyens de manger à midi. Ça m’arrivait souvent de payer pour eux, sinon ils ne mangeaient pas de la journée. Aujourd’hui, la situation économique s’est améliorée. Après avoir étudié la sociologie à l’université, j’ai travaillé dans un journal pendant quatre ans à Kazan. Il s’appelait  » Arguments et faits « . J’étais passionnée d’écrire des articles sur les questions sociales et la politique. Mais un de mes articles sur la police a créé beaucoup de problèmes…

Les gens ont commencé à me demander : pourquoi écris-tu ceci ou interviewes-tu cette personne ? C’était il y a dix ans, et à l’époque, la Russie n’était pas encore une dictature comme aujourd’hui, mais elle commençait à l’être. Après la publication de l’article, un policier m’a appelée au téléphone et m’a dit :  » Je connais votre adresse, vous devez modifier cet article « . J’ai parlé avec le rédacteur en chef du journal et nous avons décidé de changer quelques phrases. En fin de compte, je m’intéressais davantage aux projets sociaux, à l’aide et aux soins apportés aux gens. Après cet emploi, j’ai donc travaillé comme responsable des bénévoles pour une ONG. J’ai invité des bénévoles d’autres pays à venir travailler au Tatarstan ou à organiser des projets sociaux dans différents pays. J’ai également travaillé sur les droits de l’Homme avec les Tatars. J’ai géré de nombreux projets de ce type à Kazan, mais aussi à Saint-Pétersbourg et à Moscou.

Mon mari suivait une formation de chef cuisinier. Son rêve était d’ouvrir son propre restaurant. Il a intégré la célèbre San Pellegrino Young Chef Academy et est arrivé en finale ! Après avoir travaillé quelque temps à Saint-Pétersbourg, il a trouvé du travail à Odessa. C’est ainsi que nous sommes arrivés en Ukraine en 2019. J’enseignais l’italien dans une école privée et je travaillais dans le domaine des droits de l’homme avec les Tatars de Crimée. J’ai réalisé de nombreux projets pour les aider à quitter la Crimée où ils avaient des problèmes avec le gouvernement russe. À cette époque, mon mari avait ouvert son premier restaurant à Odessa. C’était très joli, très mignon ! Et après un certain temps, il en a ouvert deux autres. Notre vie se passait très bien à Odessa. Nous avions beaucoup de projets ! Nous vivions dans un bel appartement dans le centre d’Odessa, près de la mer, nous avions beaucoup d’amis. Nous menions une vie heureuse et en sécurité.

C’est intéressant qu’on soit russes et qu’on vive à Odessa. Avant qu’on s’y installe, ma belle-mère nous avait dit de ne pas y aller, parce que c’était dangereux pour les Russes de vivre en Ukraine. C’est ce que dit la propagande russe. Mais ce n’est pas vrai, c’est une ville sûre et magnifique ! Nous n’avons jamais ressenti de problèmes entre les Russes et les Ukrainiens. Nous avons écrit de nombreux messages à nos amis et à notre famille pour les informer. Mais beaucoup nous ont répondu :  » Non, ce n’est pas possible, parce qu’à la télé et dans les journaux, Poutine dit qu’il y a un problème « . Un jour, nous avons entendu un grand bruit, comme des explosions. On a d’abord cru que c’était le bruit du port. Mais c’était la guerre. Pour moi, c’était comme si ce n’était pas réel. Ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas être la réalité. C’était trop étrange. Pourquoi cela s’est-il produit ? Je ne comprends pas. Nous avions une vie tellement normale, pourquoi cela se produirait-il ?

Quelques jours plus tard, je suis partie avec mon fils pour la Moldavie. J’avais lu beaucoup de livres sur les écrivains russes qui fuyaient le pays après la révolution russe. Et maintenant, j’avais l’impression que cela m’arrivait à moi. C’est comme si ma vie était devenue un livre. C’est un sentiment très étrange. En Moldavie, j’ai commencé à aider d’autres réfugiés. Dans les situations dangereuses, je pense très vite à ce que je dois faire et à la manière d’aider les gens. Et mon mari a utilisé ses restaurants pour cuisiner pour l’armée ukrainienne. Pendant cette période, mon mari et moi avons écrit beaucoup de messages sur les médias sociaux à propos de la guerre et de ce qui se passait réellement. Que la propagande n’était pas vraie, que la vie était très belle ici avant.

À cause de cela, et aussi parce que mon mari cuisinait pour l’armée ukrainienne, nous savions que nous ne pouvions pas retourner en Russie. Nous aurions pu tous les deux finir en prison. Avant la guerre, mon mari avait invité un chef genevois, Walter El Nagar, à cuisiner dans son restaurant d’Odessa. En contrepartie, Walter a été très gentil et nous a invités à Genève. Il nous a aidés à trouver un appartement et un emploi pour mon mari. À notre arrivée, nous avons eu un très long entretien avec les autorités suisses. Ce n’est pas facile à comprendre pour eux, car nous sommes russes, mais nous sommes des réfugiés de la guerre en Ukraine. Nous leur avons montré nos réseaux sociaux, les messages que nous avons publiés et mon travail dans le domaine des droits de l’Homme avec les Tatars. Finalement, ils ont compris. Aujourd’hui, nous avons le statut F et mon mari a pu trouver un emploi dans un restaurant.

Je ne sais pas combien de temps durera cette guerre. Mais je pense qu’elle durera longtemps. Je parle à mon père tous les jours. Il est triste pour l’avenir parce que maintenant je ne peux pas revenir en Russie et je ne pourrai pas voir ma famille avant longtemps. Je suis très nostalgique de la culture du Tatarstan. Nous avons une cuisine délicieuse, très différente de la cuisine russe. Et nous avons la langue et la musique tatares. Je ne sais pas si un jour je pourrai y retourner. Pour moi, c’est très étrange. Mon mari aimerait retourner à Odessa un jour, mais je ne sais pas si nous, les Russes, serons autorisés à y retourner non plus. Pour l’instant, nous vivons sans avenir. Nous avions une si belle vie à Odessa. Mon mari avait réalisé son rêve. Et maintenant, il a dû fermer les trois restaurants et nous devons commencer une nouvelle vie en tant que réfugiés. Mais je lui ai dit : ce n’est pas grave, nous pouvons recommencer !

Il aimerait ouvrir un restaurant ici. Genève est une ville très ouverte et internationale, mais c’est aussi une ville très conservatrice pour les affaires. C’est très difficile de créer quelque chose de nouveau. En Ukraine, les affaires vont très vite. Vous avez une idée ? Génial ! Et elle se concrétise ! J’ai aussi des projets pour moi-même. Je fais actuellement un stage dans un centre pour personnes handicapées mentales. J’adore ce genre de travail. Je me suis inscrite à Horizon Académique pour 3 heures de cours de français par jour. Et je suis également bénévole à la Croix-Rouge genevoise. J’ai besoin d’être active et d’apporter mon aide. J’ai trop d’énergie pour rester à la maison (rires) ! Et grâce au bénévolat, je me suis fait beaucoup d’amis. Nous n’avons pas de chance à cause de la guerre, mais nous avons aussi beaucoup de chance parce que nous avons rencontré beaucoup de bonnes personnes. C’est une leçon très importante que j’ai apprise : les gens sont altruistes et prêts à aider ! »

Publiée dans le cadre de la mini-série « Et puis la guerre a commencé… », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’anglais

« Je suis née à Kazan, la capitale de la République du Tatarstan, qui fait partie de la Fédération de Russie. J’ai donc un passeport russe. Kazan est une très belle ville, très ouverte et internationale. La culture y est très intéressante et vivante, avec des musulmans et des chrétiens orthodoxes. Lorsque j’étais jeune, dans les années 90, le Tatarstan avait beaucoup de problèmes économiques. Beaucoup de mes amis à l’école n’avaient pas les moyens de manger à midi. Ça m’arrivait souvent de payer pour eux, sinon ils ne mangeaient pas de la journée. Aujourd’hui, la situation économique s’est améliorée. Après avoir étudié la sociologie à l’université, j’ai travaillé dans un journal pendant quatre ans à Kazan. Il s’appelait  » Arguments et faits « . J’étais passionnée d’écrire des articles sur les questions sociales et la politique. Mais un de mes articles sur la police a créé beaucoup de problèmes…

Les gens ont commencé à me demander : pourquoi écris-tu ceci ou interviewes-tu cette personne ? C’était il y a dix ans, et à l’époque, la Russie n’était pas encore une dictature comme aujourd’hui, mais elle commençait à l’être. Après la publication de l’article, un policier m’a appelée au téléphone et m’a dit :  » Je connais votre adresse, vous devez modifier cet article « . J’ai parlé avec le rédacteur en chef du journal et nous avons décidé de changer quelques phrases. En fin de compte, je m’intéressais davantage aux projets sociaux, à l’aide et aux soins apportés aux gens. Après cet emploi, j’ai donc travaillé comme responsable des bénévoles pour une ONG. J’ai invité des bénévoles d’autres pays à venir travailler au Tatarstan ou à organiser des projets sociaux dans différents pays. J’ai également travaillé sur les droits de l’Homme avec les Tatars. J’ai géré de nombreux projets de ce type à Kazan, mais aussi à Saint-Pétersbourg et à Moscou.

Mon mari suivait une formation de chef cuisinier. Son rêve était d’ouvrir son propre restaurant. Il a intégré la célèbre San Pellegrino Young Chef Academy et est arrivé en finale ! Après avoir travaillé quelque temps à Saint-Pétersbourg, il a trouvé du travail à Odessa. C’est ainsi que nous sommes arrivés en Ukraine en 2019. J’enseignais l’italien dans une école privée et je travaillais dans le domaine des droits de l’homme avec les Tatars de Crimée. J’ai réalisé de nombreux projets pour les aider à quitter la Crimée où ils avaient des problèmes avec le gouvernement russe. À cette époque, mon mari avait ouvert son premier restaurant à Odessa. C’était très joli, très mignon ! Et après un certain temps, il en a ouvert deux autres. Notre vie se passait très bien à Odessa. Nous avions beaucoup de projets ! Nous vivions dans un bel appartement dans le centre d’Odessa, près de la mer, nous avions beaucoup d’amis. Nous menions une vie heureuse et en sécurité.

C’est intéressant qu’on soit russes et qu’on vive à Odessa. Avant qu’on s’y installe, ma belle-mère nous avait dit de ne pas y aller, parce que c’était dangereux pour les Russes de vivre en Ukraine. C’est ce que dit la propagande russe. Mais ce n’est pas vrai, c’est une ville sûre et magnifique ! Nous n’avons jamais ressenti de problèmes entre les Russes et les Ukrainiens. Nous avons écrit de nombreux messages à nos amis et à notre famille pour les informer. Mais beaucoup nous ont répondu :  » Non, ce n’est pas possible, parce qu’à la télé et dans les journaux, Poutine dit qu’il y a un problème « . Un jour, nous avons entendu un grand bruit, comme des explosions. On a d’abord cru que c’était le bruit du port. Mais c’était la guerre. Pour moi, c’était comme si ce n’était pas réel. Ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas être la réalité. C’était trop étrange. Pourquoi cela s’est-il produit ? Je ne comprends pas. Nous avions une vie tellement normale, pourquoi cela se produirait-il ?

Quelques jours plus tard, je suis partie avec mon fils pour la Moldavie. J’avais lu beaucoup de livres sur les écrivains russes qui fuyaient le pays après la révolution russe. Et maintenant, j’avais l’impression que cela m’arrivait à moi. C’est comme si ma vie était devenue un livre. C’est un sentiment très étrange. En Moldavie, j’ai commencé à aider d’autres réfugiés. Dans les situations dangereuses, je pense très vite à ce que je dois faire et à la manière d’aider les gens. Et mon mari a utilisé ses restaurants pour cuisiner pour l’armée ukrainienne. Pendant cette période, mon mari et moi avons écrit beaucoup de messages sur les médias sociaux à propos de la guerre et de ce qui se passait réellement. Que la propagande n’était pas vraie, que la vie était très belle ici avant. À cause de cela, et aussi parce que mon mari cuisinait pour l’armée ukrainienne, nous savions que nous ne pouvions pas retourner en Russie. Nous aurions pu tous les deux finir en prison.

Avant la guerre, mon mari avait invité un chef genevois, Walter El Nagar, à cuisiner dans son restaurant d’Odessa. En contrepartie, Walter a été très gentil et nous a invités à Genève. Il nous a aidés à trouver un appartement et un emploi pour mon mari. À notre arrivée, nous avons eu un très long entretien avec les autorités suisses. Ce n’est pas facile à comprendre pour eux, car nous sommes russes, mais nous sommes des réfugiés de la guerre en Ukraine. Nous leur avons montré nos réseaux sociaux, les messages que nous avons publiés et mon travail dans le domaine des droits de l’Homme avec les Tatars. Finalement, ils ont compris. Aujourd’hui, nous avons le statut F et mon mari a pu trouver un emploi dans un restaurant.

Je ne sais pas combien de temps durera cette guerre. Mais je pense qu’elle durera longtemps. Je parle à mon père tous les jours. Il est triste pour l’avenir parce que maintenant je ne peux pas revenir en Russie et je ne pourrai pas voir ma famille avant longtemps. Je suis très nostalgique de la culture du Tatarstan. Nous avons une cuisine délicieuse, très différente de la cuisine russe. Et nous avons la langue et la musique tatares. Je ne sais pas si un jour je pourrai y retourner. Pour moi, c’est très étrange. Mon mari aimerait retourner à Odessa un jour, mais je ne sais pas si nous, les Russes, serons autorisés à y retourner non plus. Pour l’instant, nous vivons sans avenir. Nous avions une si belle vie à Odessa. Mon mari avait réalisé son rêve. Et maintenant, il a dû fermer les trois restaurants et nous devons commencer une nouvelle vie en tant que réfugiés. Mais je lui ai dit : ce n’est pas grave, nous pouvons recommencer !

Il aimerait ouvrir un restaurant ici. Genève est une ville très ouverte et internationale, mais c’est aussi une ville très conservatrice pour les affaires. C’est très difficile de créer quelque chose de nouveau. En Ukraine, les affaires vont très vite. Vous avez une idée ? Génial ! Et elle se concrétise ! J’ai aussi des projets pour moi-même. Je fais actuellement un stage dans un centre pour personnes handicapées mentales. J’adore ce genre de travail. Je me suis inscrite à Horizon Académique pour 3 heures de cours de français par jour. Et je suis également bénévole à la Croix-Rouge genevoise. J’ai besoin d’être active et d’apporter mon aide. J’ai trop d’énergie pour rester à la maison (rires) ! Et grâce au bénévolat, je me suis fait beaucoup d’amis. Nous n’avons pas de chance à cause de la guerre, mais nous avons aussi beaucoup de chance parce que nous avons rencontré beaucoup de bonnes personnes. C’est une leçon très importante que j’ai apprise : les gens sont altruistes et prêts à aider ! »

<em>Publiée dans le cadre de la mini-série « <span style= »text-decoration: underline; »><a href= »https://gx218abikog.preview.infomaniak.website/histoires/mini-series/crg/ »>Et puis la guerre a commencé…</a></span> », réalisée en partenariat avec la Croix-Rouge genevoise. | Traduit de l’anglais</em>

Publié le: 21 novembre 2023

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