Partie 1/3
« Quand ma femme était enceinte du premier enfant, moi j’avais pas de travail donc on a décidé que je resterai à la maison. Et après chaque naissance elle était impatiente de revenir au travail, donc c’est resté comme ça. Mais elle est très impliquée, l’école c’est la priorité et s’ils réussissent à l’école c’est tout grâce à elle. Quand elle rentre du travail, tout de suite elle fait les devoirs avec les enfants.
Moi je fais seulement les trucs « auxiliaires » pour leur faciliter la vie comme ça ils peuvent se concentrer sur les choses importantes. Je fais les courses, la cuisine, le linge, le ménage, etc. C’est beaucoup de temps seul et beaucoup de trucs pas très sexy, mais à la fin de la journée je sais je fais tout pour mes enfants. Des gens me demandent : « Quand est-ce que tu vas trouver un vrai travail ? » Mais c’est un travail ! Et y’a pas de week-end, chaque jour c’est comme ça, même en vacances. Ils comprennent pas mais c’est pas grave.
Je suis très proche de mes enfants. Quand ils reviennent de l’école ils me racontent tout. Le midi ils ont pas beaucoup de temps mais ils se dépêchent pour manger à la maison. Ça a été un changement difficile pour moi quand ils ont commencé à sortir plus souvent. Si ça tenait qu’à moi, je fermerais la porte et je dirais : « Y’a pas de sortie, vous restez ici (rires) ! » Pendant le confinement j’ai jamais été aussi heureux ; ma femme travaillait à la maison et personne pouvait sortir ! J’aime quand on regarde un film ou quand on fait un jeu ensemble parce qu’à ce moment y’a plus de travail, ni d’école. Y’a seulement nous 5 ensemble. Et j’ai l’impression que y’a rien qui existe autour. Je sais que y’a un moment ils vont partir de la maison mais j’espère qu’ils vont vouloir me voir souvent.
Je me considère très chanceux dans ma vie. Ma femme est contente comme je suis et moi je suis content comme elle est. Beaucoup de gens ont besoin de sortir et travailler mais moi je suis content comme ça. J’ai pas de salaire mais chaque jour, chaque moment, je sais pourquoi je travaille. La famille c’est la seule chose à laquelle je tiens beaucoup. Ça c’est aussi à cause de la guerre… J’étais dans l’armée à Sarajevo pendant 42 mois… »
(Note: Tous les costumes sont faits maison! Faites défiler les photos en cliquant sur les flèches bleues ciel.)
(Rues-Basses)
Partie 2/3
« J’avais 19 ans quand la guerre a commencé à Sarajevo. Avec ma famille on a décidé : on va rester ensemble, et si on doit mourir, on va mourir ensemble. J’étais dans l’armée avec mon père et mon frère pendant 42 mois. La ville était encerclée, c’était le siège le plus long de l’histoire moderne. Je passais 2 jours sur la ligne de défense, dans les tranchées et les bunkers, et après j’avais 2 jours libres avec ma famille. J’étais pas marié, j’avais pas d’enfants, donc j’étais pas stressé, je pensais pas tout le temps : est ce que je vais mourir ? C’était pas du courage, peut-être j’étais naïf ou bête. Mais y’avait beaucoup d’hommes qui étaient stressés tout le long parce qu’ils avaient quelque chose à perdre.
Les attaques étaient courantes, mais sur les civils ils tiraient tout le temps, chaque jour. Depuis la ligne je voyais les chars qui tiraient depuis la montagne et les obus tomber dans la ville et je regardais si c’était près de chez moi. On était comme des poissons dans un petit bol : n’importe où tu tires, tu touches quelqu’un. Dans la rue tu voyais que des gens qui marchaient la tête baissée et qui se dépêchaient parce qu’ils pouvaient être tués. Si tu entendais le sifflement d’un obus, c’était qu’il allait exploser plus loin. L’obus qui te tue, tu l’entends pas. Il y avait une zone qui s’appelait l’allée de snipers. Beaucoup de gens devaient passer par là et chaque jour ils se faisaient tirer dessus. À la maison aussi on pouvait être tués ; un matin mon père regardait les combats au loin et y’a une balle qui l’a touché sur le flanc.
Un jour en mai 1992, beaucoup de gens attendaient devant une boulangerie à côté de chez moi. Ma mère m’avait demandé: « Est-ce que tu vas acheter le pain ? » Et j’ai dit : « Non, on n’a pas besoin ». Et après j’ai entendu un sifflement et une énorme explosion. Quand j’ai ouvert la fenêtre je voyais les gens entassés qui criaient de douleurs et de panique. C’était des civils, et y’avait aussi des Serbes ! Selon moi, les civils étaient leur cible préférée pour nous casser la volonté de se battre. Mais ça a seulement renforcé chez les gens la volonté de persister… »
Note: la guerre est un sujet très complexe et sensible. À ce titre, D. tenait à souligner qu’il ne prétend pas détenir toute la vérité ou être représentatif de ce qui s’est passé. Il souhaite simplement partager ce qu’il a vécu en espérant que cela inspirera d’autres personnes à s’intéresser à l’histoire de cette région.

Partie 3/3
« On n’avait ni eau, ni gaz, parfois un peu d’électricité. L’hiver il faisait très froid, on n’avait pas de chauffage et les fenêtres étaient éclatées par les détonations. Donc on était à la maison avec les gants et les grosses vestes… L’aide humanitaire arrivait sur l’aéroport contrôlé par les Nations Unies. On avait juste assez pour pas mourir de faim et on disait : ils nous tiennent en vie comme ça les Serbes peuvent nous tuer. Un jour je suis rentré de la ligne, ma mère et ma soeur m’avaient laissé 2 feuilles de salade. C’était tout ce qu’on avait. Et moi j’ai rigolé : « Est-ce que je peux manger tout ? »
On s’était habitués à vivre comme ça. Les gens n’étaient pas abattus et la solidarité c’était impressionnant. Heureusement on a tous survécu dans ma famille. Moi j’ai rien eu pourtant j’ai été partout. Et quand la guerre a terminé on a continué à vivre. Le jour-même j’ai été m’inscrire à l’université. Mais beaucoup de gens avaient pas de travail, c’était très difficile.
En Bosnie on était bien mélangés. On n’y croyait pas à la guerre, on se disait : « À Sarajevo, jamais ! » On habitait dans un immeuble avec des familles musulmanes et serbes, et ma génération savait pas quel nom était musulman ou serbe, tu étais pas défini par la religion. S’il y avait une fête musulmane, les Serbes et Croates ils venaient féliciter et fêter, et l’inverse aussi. C’est pas possible que c’était tout un spectacle.
Mais beaucoup de choses se sont passées depuis, et si tu n’étais pas là-bas tu comprends pas grand chose. Maintenant, comme beaucoup de vétérans, je tiens certains préjugés contre les Serbes. Si quelqu’un avait été tué dans ma famille peut-être que je retiendrais de la haine. Et je peux m’imaginer que les gens qui ont perdu tous leurs proches veulent rien avoir à faire avec eux. Mais je dis jamais je suis musulman ou croate ou serbe, je dis je suis bosnien. Pour moi c’est plus important que la religion. Parce que mon père est musulman et ma mère est serbe chrétienne. Maintenant on est tous divisés, personne n’est content de cette situation. Parce que la guerre n’était pas finie, elle a été arrêtée. Donc personne n’a gagné, personne n’a eu ce qu’il voulait. »
Note: la guerre est un sujet très complexe et sensible. À ce titre, D. tenait à souligner qu’il ne prétend pas détenir toute la vérité ou être représentatif de ce qui s’est passé. Il souhaite simplement partager ce qu’il a vécu en espérant que cela inspirera d’autres personnes à s’intéresser à l’histoire de cette région.
Partie 1/3
« Quand ma femme était enceinte du premier enfant, moi j’avais pas de travail donc on a décidé que je resterai à la maison. Et après chaque naissance elle était impatiente de revenir au travail, donc c’est resté comme ça. Mais elle est très impliquée, l’école c’est la priorité et s’ils réussissent à l’école c’est tout grâce à elle. Quand elle rentre du travail, tout de suite elle fait les devoirs avec les enfants.
Moi je fais seulement les trucs « auxiliaires » pour leur faciliter la vie comme ça ils peuvent se concentrer sur les choses importantes. Je fais les courses, la cuisine, le linge, le ménage, etc. C’est beaucoup de temps seul et beaucoup de trucs pas très sexy, mais à la fin de la journée je sais je fais tout pour mes enfants. Des gens me demandent : « Quand est-ce que tu vas trouver un vrai travail ? » Mais c’est un travail ! Et y’a pas de week-end, chaque jour c’est comme ça, même en vacances. Ils comprennent pas mais c’est pas grave.
Je suis très proche de mes enfants. Quand ils reviennent de l’école ils me racontent tout. Le midi ils ont pas beaucoup de temps mais ils se dépêchent pour manger à la maison. Ça a été un changement difficile pour moi quand ils ont commencé à sortir plus souvent. Si ça tenait qu’à moi, je fermerais la porte et je dirais : « Y’a pas de sortie, vous restez ici (rires) ! » Pendant le confinement j’ai jamais été aussi heureux ; ma femme travaillait à la maison et personne pouvait sortir ! J’aime quand on regarde un film ou quand on fait un jeu ensemble parce qu’à ce moment y’a plus de travail, ni d’école. Y’a seulement nous 5 ensemble. Et j’ai l’impression que y’a rien qui existe autour. Je sais que y’a un moment ils vont partir de la maison mais j’espère qu’ils vont vouloir me voir souvent.
Je me considère très chanceux dans ma vie. Ma femme est contente comme je suis et moi je suis content comme elle est. Beaucoup de gens ont besoin de sortir et travailler mais moi je suis content comme ça. J’ai pas de salaire mais chaque jour, chaque moment, je sais pourquoi je travaille. La famille c’est la seule chose à laquelle je tiens beaucoup. Ça c’est aussi à cause de la guerre… J’étais dans l’armée à Sarajevo pendant 42 mois… »
(Note: Tous les costumes sont faits maison! Faites défiler les photos en cliquant sur les flèches bleues ciel.)
(Rues-Basses)
Partie 2/3
« J’avais 19 ans quand la guerre a commencé à Sarajevo. Avec ma famille on a décidé : on va rester ensemble, et si on doit mourir, on va mourir ensemble. J’étais dans l’armée avec mon père et mon frère pendant 42 mois. La ville était encerclée, c’était le siège le plus long de l’histoire moderne. Je passais 2 jours sur la ligne de défense, dans les tranchées et les bunkers, et après j’avais 2 jours libres avec ma famille. J’étais pas marié, j’avais pas d’enfants, donc j’étais pas stressé, je pensais pas tout le temps : est ce que je vais mourir ? C’était pas du courage, peut-être j’étais naïf ou bête. Mais y’avait beaucoup d’hommes qui étaient stressés tout le long parce qu’ils avaient quelque chose à perdre.
Les attaques étaient courantes, mais sur les civils ils tiraient tout le temps, chaque jour. Depuis la ligne je voyais les chars qui tiraient depuis la montagne et les obus tomber dans la ville et je regardais si c’était près de chez moi. On était comme des poissons dans un petit bol : n’importe où tu tires, tu touches quelqu’un. Dans la rue tu voyais que des gens qui marchaient la tête baissée et qui se dépêchaient parce qu’ils pouvaient être tués. Si tu entendais le sifflement d’un obus, c’était qu’il allait exploser plus loin. L’obus qui te tue, tu l’entends pas. Il y avait une zone qui s’appelait l’allée de snipers. Beaucoup de gens devaient passer par là et chaque jour ils se faisaient tirer dessus. À la maison aussi on pouvait être tués ; un matin mon père regardait les combats au loin et y’a une balle qui l’a touché sur le flanc.
Un jour en mai 1992, beaucoup de gens attendaient devant une boulangerie à côté de chez moi. Ma mère m’avait demandé: « Est-ce que tu vas acheter le pain ? » Et j’ai dit : « Non, on n’a pas besoin ». Et après j’ai entendu un sifflement et une énorme explosion. Quand j’ai ouvert la fenêtre je voyais les gens entassés qui criaient de douleurs et de panique. C’était des civils, et y’avait aussi des Serbes ! Selon moi, les civils étaient leur cible préférée pour nous casser la volonté de se battre. Mais ça a seulement renforcé chez les gens la volonté de persister… »
Note: la guerre est un sujet très complexe et sensible. À ce titre, D. tenait à souligner qu’il ne prétend pas détenir toute la vérité ou être représentatif de ce qui s’est passé. Il souhaite simplement partager ce qu’il a vécu en espérant que cela inspirera d’autres personnes à s’intéresser à l’histoire de cette région.

Partie 3/3
« On n’avait ni eau, ni gaz, parfois un peu d’électricité. L’hiver il faisait très froid, on n’avait pas de chauffage et les fenêtres étaient éclatées par les détonations. Donc on était à la maison avec les gants et les grosses vestes… L’aide humanitaire arrivait sur l’aéroport contrôlé par les Nations Unies. On avait juste assez pour pas mourir de faim et on disait : ils nous tiennent en vie comme ça les Serbes peuvent nous tuer. Un jour je suis rentré de la ligne, ma mère et ma soeur m’avaient laissé 2 feuilles de salade. C’était tout ce qu’on avait. Et moi j’ai rigolé : « Est-ce que je peux manger tout ? »
On s’était habitués à vivre comme ça. Les gens n’étaient pas abattus et la solidarité c’était impressionnant. Heureusement on a tous survécu dans ma famille. Moi j’ai rien eu pourtant j’ai été partout. Et quand la guerre a terminé on a continué à vivre. Le jour-même j’ai été m’inscrire à l’université. Mais beaucoup de gens avaient pas de travail, c’était très difficile.
En Bosnie on était bien mélangés. On n’y croyait pas à la guerre, on se disait : « À Sarajevo, jamais ! » On habitait dans un immeuble avec des familles musulmanes et serbes, et ma génération savait pas quel nom était musulman ou serbe, tu étais pas défini par la religion. S’il y avait une fête musulmane, les Serbes et Croates ils venaient féliciter et fêter, et l’inverse aussi. C’est pas possible que c’était tout un spectacle.
Mais beaucoup de choses se sont passées depuis, et si tu n’étais pas là-bas tu comprends pas grand chose. Maintenant, comme beaucoup de vétérans, je tiens certains préjugés contre les Serbes. Si quelqu’un avait été tué dans ma famille peut-être que je retiendrais de la haine. Et je peux m’imaginer que les gens qui ont perdu tous leurs proches veulent rien avoir à faire avec eux. Mais je dis jamais je suis musulman ou croate ou serbe, je dis je suis bosnien. Pour moi c’est plus important que la religion. Parce que mon père est musulman et ma mère est serbe chrétienne. Maintenant on est tous divisés, personne n’est content de cette situation. Parce que la guerre n’était pas finie, elle a été arrêtée. Donc personne n’a gagné, personne n’a eu ce qu’il voulait. »
Note: la guerre est un sujet très complexe et sensible. À ce titre, D. tenait à souligner qu’il ne prétend pas détenir toute la vérité ou être représentatif de ce qui s’est passé. Il souhaite simplement partager ce qu’il a vécu en espérant que cela inspirera d’autres personnes à s’intéresser à l’histoire de cette région.
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Partie 1/3
« Quand ma femme était enceinte du premier enfant, moi j’avais pas de travail donc on a décidé que je resterai à la maison. Et après chaque naissance elle était impatiente de revenir au travail, donc c’est resté comme ça. Mais elle est très impliquée, l’école c’est la priorité et s’ils réussissent à l’école c’est tout grâce à elle. Quand elle rentre du travail, tout de suite elle fait les devoirs avec les enfants.
Moi je fais seulement les trucs « auxiliaires » pour leur faciliter la vie comme ça ils peuvent se concentrer sur les choses importantes. Je fais les courses, la cuisine, le linge, le ménage, etc. C’est beaucoup de temps seul et beaucoup de trucs pas très sexy, mais à la fin de la journée je sais je fais tout pour mes enfants. Des gens me demandent : « Quand est-ce que tu vas trouver un vrai travail ? » Mais c’est un travail ! Et y’a pas de week-end, chaque jour c’est comme ça, même en vacances. Ils comprennent pas mais c’est pas grave.
Je suis très proche de mes enfants. Quand ils reviennent de l’école ils me racontent tout. Le midi ils ont pas beaucoup de temps mais ils se dépêchent pour manger à la maison. Ça a été un changement difficile pour moi quand ils ont commencé à sortir plus souvent. Si ça tenait qu’à moi, je fermerais la porte et je dirais : « Y’a pas de sortie, vous restez ici (rires) ! » Pendant le confinement j’ai jamais été aussi heureux ; ma femme travaillait à la maison et personne pouvait sortir ! J’aime quand on regarde un film ou quand on fait un jeu ensemble parce qu’à ce moment y’a plus de travail, ni d’école. Y’a seulement nous 5 ensemble. Et j’ai l’impression que y’a rien qui existe autour. Je sais que y’a un moment ils vont partir de la maison mais j’espère qu’ils vont vouloir me voir souvent.
Je me considère très chanceux dans ma vie. Ma femme est contente comme je suis et moi je suis content comme elle est. Beaucoup de gens ont besoin de sortir et travailler mais moi je suis content comme ça. J’ai pas de salaire mais chaque jour, chaque moment, je sais pourquoi je travaille. La famille c’est la seule chose à laquelle je tiens beaucoup. Ça c’est aussi à cause de la guerre… J’étais dans l’armée à Sarajevo pendant 42 mois… »
(Note: Tous les costumes sont faits maison! Faites défiler les photos en cliquant sur les flèches bleues ciel.)
(Rues-Basses)
Partie 2/3
« J’avais 19 ans quand la guerre a commencé à Sarajevo. Avec ma famille on a décidé : on va rester ensemble, et si on doit mourir, on va mourir ensemble. J’étais dans l’armée avec mon père et mon frère pendant 42 mois. La ville était encerclée, c’était le siège le plus long de l’histoire moderne. Je passais 2 jours sur la ligne de défense, dans les tranchées et les bunkers, et après j’avais 2 jours libres avec ma famille. J’étais pas marié, j’avais pas d’enfants, donc j’étais pas stressé, je pensais pas tout le temps : est ce que je vais mourir ? C’était pas du courage, peut-être j’étais naïf ou bête. Mais y’avait beaucoup d’hommes qui étaient stressés tout le long parce qu’ils avaient quelque chose à perdre.
Les attaques étaient courantes, mais sur les civils ils tiraient tout le temps, chaque jour. Depuis la ligne je voyais les chars qui tiraient depuis la montagne et les obus tomber dans la ville et je regardais si c’était près de chez moi. On était comme des poissons dans un petit bol : n’importe où tu tires, tu touches quelqu’un. Dans la rue tu voyais que des gens qui marchaient la tête baissée et qui se dépêchaient parce qu’ils pouvaient être tués. Si tu entendais le sifflement d’un obus, c’était qu’il allait exploser plus loin. L’obus qui te tue, tu l’entends pas. Il y avait une zone qui s’appelait l’allée de snipers. Beaucoup de gens devaient passer par là et chaque jour ils se faisaient tirer dessus. À la maison aussi on pouvait être tués ; un matin mon père regardait les combats au loin et y’a une balle qui l’a touché sur le flanc.
Un jour en mai 1992, beaucoup de gens attendaient devant une boulangerie à côté de chez moi. Ma mère m’avait demandé: « Est-ce que tu vas acheter le pain ? » Et j’ai dit : « Non, on n’a pas besoin ». Et après j’ai entendu un sifflement et une énorme explosion. Quand j’ai ouvert la fenêtre je voyais les gens entassés qui criaient de douleurs et de panique. C’était des civils, et y’avait aussi des Serbes ! Selon moi, les civils étaient leur cible préférée pour nous casser la volonté de se battre. Mais ça a seulement renforcé chez les gens la volonté de persister… »
Note: la guerre est un sujet très complexe et sensible. À ce titre, D. tenait à souligner qu’il ne prétend pas détenir toute la vérité ou être représentatif de ce qui s’est passé. Il souhaite simplement partager ce qu’il a vécu en espérant que cela inspirera d’autres personnes à s’intéresser à l’histoire de cette région.

Partie 3/3
« On n’avait ni eau, ni gaz, parfois un peu d’électricité. L’hiver il faisait très froid, on n’avait pas de chauffage et les fenêtres étaient éclatées par les détonations. Donc on était à la maison avec les gants et les grosses vestes… L’aide humanitaire arrivait sur l’aéroport contrôlé par les Nations Unies. On avait juste assez pour pas mourir de faim et on disait : ils nous tiennent en vie comme ça les Serbes peuvent nous tuer. Un jour je suis rentré de la ligne, ma mère et ma soeur m’avaient laissé 2 feuilles de salade. C’était tout ce qu’on avait. Et moi j’ai rigolé : « Est-ce que je peux manger tout ? »
On s’était habitués à vivre comme ça. Les gens n’étaient pas abattus et la solidarité c’était impressionnant. Heureusement on a tous survécu dans ma famille. Moi j’ai rien eu pourtant j’ai été partout. Et quand la guerre a terminé on a continué à vivre. Le jour-même j’ai été m’inscrire à l’université. Mais beaucoup de gens avaient pas de travail, c’était très difficile.
En Bosnie on était bien mélangés. On n’y croyait pas à la guerre, on se disait : « À Sarajevo, jamais ! » On habitait dans un immeuble avec des familles musulmanes et serbes, et ma génération savait pas quel nom était musulman ou serbe, tu étais pas défini par la religion. S’il y avait une fête musulmane, les Serbes et Croates ils venaient féliciter et fêter, et l’inverse aussi. C’est pas possible que c’était tout un spectacle.
Mais beaucoup de choses se sont passées depuis, et si tu n’étais pas là-bas tu comprends pas grand chose. Maintenant, comme beaucoup de vétérans, je tiens certains préjugés contre les Serbes. Si quelqu’un avait été tué dans ma famille peut-être que je retiendrais de la haine. Et je peux m’imaginer que les gens qui ont perdu tous leurs proches veulent rien avoir à faire avec eux. Mais je dis jamais je suis musulman ou croate ou serbe, je dis je suis bosnien. Pour moi c’est plus important que la religion. Parce que mon père est musulman et ma mère est serbe chrétienne. Maintenant on est tous divisés, personne n’est content de cette situation. Parce que la guerre n’était pas finie, elle a été arrêtée. Donc personne n’a gagné, personne n’a eu ce qu’il voulait. »
Note: la guerre est un sujet très complexe et sensible. À ce titre, D. tenait à souligner qu’il ne prétend pas détenir toute la vérité ou être représentatif de ce qui s’est passé. Il souhaite simplement partager ce qu’il a vécu en espérant que cela inspirera d’autres personnes à s’intéresser à l’histoire de cette région.
Partie 1/3
« Quand ma femme était enceinte du premier enfant, moi j’avais pas de travail donc on a décidé que je resterai à la maison. Et après chaque naissance elle était impatiente de revenir au travail, donc c’est resté comme ça. Mais elle est très impliquée, l’école c’est la priorité et s’ils réussissent à l’école c’est tout grâce à elle. Quand elle rentre du travail, tout de suite elle fait les devoirs avec les enfants.
Moi je fais seulement les trucs « auxiliaires » pour leur faciliter la vie comme ça ils peuvent se concentrer sur les choses importantes. Je fais les courses, la cuisine, le linge, le ménage, etc. C’est beaucoup de temps seul et beaucoup de trucs pas très sexy, mais à la fin de la journée je sais je fais tout pour mes enfants. Des gens me demandent : « Quand est-ce que tu vas trouver un vrai travail ? » Mais c’est un travail ! Et y’a pas de week-end, chaque jour c’est comme ça, même en vacances. Ils comprennent pas mais c’est pas grave.
Je suis très proche de mes enfants. Quand ils reviennent de l’école ils me racontent tout. Le midi ils ont pas beaucoup de temps mais ils se dépêchent pour manger à la maison. Ça a été un changement difficile pour moi quand ils ont commencé à sortir plus souvent. Si ça tenait qu’à moi, je fermerais la porte et je dirais : « Y’a pas de sortie, vous restez ici (rires) ! » Pendant le confinement j’ai jamais été aussi heureux ; ma femme travaillait à la maison et personne pouvait sortir ! J’aime quand on regarde un film ou quand on fait un jeu ensemble parce qu’à ce moment y’a plus de travail, ni d’école. Y’a seulement nous 5 ensemble. Et j’ai l’impression que y’a rien qui existe autour. Je sais que y’a un moment ils vont partir de la maison mais j’espère qu’ils vont vouloir me voir souvent.
Je me considère très chanceux dans ma vie. Ma femme est contente comme je suis et moi je suis content comme elle est. Beaucoup de gens ont besoin de sortir et travailler mais moi je suis content comme ça. J’ai pas de salaire mais chaque jour, chaque moment, je sais pourquoi je travaille. La famille c’est la seule chose à laquelle je tiens beaucoup. Ça c’est aussi à cause de la guerre… J’étais dans l’armée à Sarajevo pendant 42 mois… »
(Note: Tous les costumes sont faits maison! Faites défiler les photos en cliquant sur les flèches bleues ciel.)
(Rues-Basses)
Partie 2/3
« J’avais 19 ans quand la guerre a commencé à Sarajevo. Avec ma famille on a décidé : on va rester ensemble, et si on doit mourir, on va mourir ensemble. J’étais dans l’armée avec mon père et mon frère pendant 42 mois. La ville était encerclée, c’était le siège le plus long de l’histoire moderne. Je passais 2 jours sur la ligne de défense, dans les tranchées et les bunkers, et après j’avais 2 jours libres avec ma famille. J’étais pas marié, j’avais pas d’enfants, donc j’étais pas stressé, je pensais pas tout le temps : est ce que je vais mourir ? C’était pas du courage, peut-être j’étais naïf ou bête. Mais y’avait beaucoup d’hommes qui étaient stressés tout le long parce qu’ils avaient quelque chose à perdre.
Les attaques étaient courantes, mais sur les civils ils tiraient tout le temps, chaque jour. Depuis la ligne je voyais les chars qui tiraient depuis la montagne et les obus tomber dans la ville et je regardais si c’était près de chez moi. On était comme des poissons dans un petit bol : n’importe où tu tires, tu touches quelqu’un. Dans la rue tu voyais que des gens qui marchaient la tête baissée et qui se dépêchaient parce qu’ils pouvaient être tués. Si tu entendais le sifflement d’un obus, c’était qu’il allait exploser plus loin. L’obus qui te tue, tu l’entends pas. Il y avait une zone qui s’appelait l’allée de snipers. Beaucoup de gens devaient passer par là et chaque jour ils se faisaient tirer dessus. À la maison aussi on pouvait être tués ; un matin mon père regardait les combats au loin et y’a une balle qui l’a touché sur le flanc.
Un jour en mai 1992, beaucoup de gens attendaient devant une boulangerie à côté de chez moi. Ma mère m’avait demandé: « Est-ce que tu vas acheter le pain ? » Et j’ai dit : « Non, on n’a pas besoin ». Et après j’ai entendu un sifflement et une énorme explosion. Quand j’ai ouvert la fenêtre je voyais les gens entassés qui criaient de douleurs et de panique. C’était des civils, et y’avait aussi des Serbes ! Selon moi, les civils étaient leur cible préférée pour nous casser la volonté de se battre. Mais ça a seulement renforcé chez les gens la volonté de persister… »
Note: la guerre est un sujet très complexe et sensible. À ce titre, D. tenait à souligner qu’il ne prétend pas détenir toute la vérité ou être représentatif de ce qui s’est passé. Il souhaite simplement partager ce qu’il a vécu en espérant que cela inspirera d’autres personnes à s’intéresser à l’histoire de cette région.

Partie 3/3
« On n’avait ni eau, ni gaz, parfois un peu d’électricité. L’hiver il faisait très froid, on n’avait pas de chauffage et les fenêtres étaient éclatées par les détonations. Donc on était à la maison avec les gants et les grosses vestes… L’aide humanitaire arrivait sur l’aéroport contrôlé par les Nations Unies. On avait juste assez pour pas mourir de faim et on disait : ils nous tiennent en vie comme ça les Serbes peuvent nous tuer. Un jour je suis rentré de la ligne, ma mère et ma soeur m’avaient laissé 2 feuilles de salade. C’était tout ce qu’on avait. Et moi j’ai rigolé : « Est-ce que je peux manger tout ? »
On s’était habitués à vivre comme ça. Les gens n’étaient pas abattus et la solidarité c’était impressionnant. Heureusement on a tous survécu dans ma famille. Moi j’ai rien eu pourtant j’ai été partout. Et quand la guerre a terminé on a continué à vivre. Le jour-même j’ai été m’inscrire à l’université. Mais beaucoup de gens avaient pas de travail, c’était très difficile.
En Bosnie on était bien mélangés. On n’y croyait pas à la guerre, on se disait : « À Sarajevo, jamais ! » On habitait dans un immeuble avec des familles musulmanes et serbes, et ma génération savait pas quel nom était musulman ou serbe, tu étais pas défini par la religion. S’il y avait une fête musulmane, les Serbes et Croates ils venaient féliciter et fêter, et l’inverse aussi. C’est pas possible que c’était tout un spectacle.
Mais beaucoup de choses se sont passées depuis, et si tu n’étais pas là-bas tu comprends pas grand chose. Maintenant, comme beaucoup de vétérans, je tiens certains préjugés contre les Serbes. Si quelqu’un avait été tué dans ma famille peut-être que je retiendrais de la haine. Et je peux m’imaginer que les gens qui ont perdu tous leurs proches veulent rien avoir à faire avec eux. Mais je dis jamais je suis musulman ou croate ou serbe, je dis je suis bosnien. Pour moi c’est plus important que la religion. Parce que mon père est musulman et ma mère est serbe chrétienne. Maintenant on est tous divisés, personne n’est content de cette situation. Parce que la guerre n’était pas finie, elle a été arrêtée. Donc personne n’a gagné, personne n’a eu ce qu’il voulait. »
Note: la guerre est un sujet très complexe et sensible. À ce titre, D. tenait à souligner qu’il ne prétend pas détenir toute la vérité ou être représentatif de ce qui s’est passé. Il souhaite simplement partager ce qu’il a vécu en espérant que cela inspirera d’autres personnes à s’intéresser à l’histoire de cette région.