« Pendant la Seconde Guerre Mondiale, mes parents ont fui le Japon et sont venus s’installer dans un village très reculé de la campagne brésilienne. On vivait dans une maison simple en bois et mes parents avaient un élevage de poulets et des plantations de fruits et de légumes. On était pauvres, les conditions étaient difficiles, mais on avait toujours assez à manger. Le cadre de la famille était très strict. Mon père ne parlait pas beaucoup. S’il était énervé son visage se fermait tout à coup, et quand il frappait, il frappait fort. Tu sais, dans les années 60, c’était comme ça. Et ce cadre de la famille, ça n’était pas facile pour moi. Enfant, j’étais déjà un peu spéciale. Je suis née garçon, mais je passais tout mon temps avec mes sœurs à faire des choses de filles.

J’avais remarqué assez tôt que j’étais différente. Et je pense que mes parents avaient deviné aussi, à ma façon de parler, à ma féminité. Mais ils ne disaient rien, c’était la culture du silence. Mes frères, eux, me faisaient toujours des remarques : « Maman, si tu lui avais donné une bonne éducation, il ne serait pas comme ça ! » À l’école aussi, j’avais souvent des insultes. Je comprends toutes ces réactions. La mentalité à l’époque était bien fermée : les hommes restent des hommes, et les femmes des femmes. Y’avait pas de milieu. Et on vivait sous dictature militaire. Les transsexuels, les homosexuels, ils étaient mis en prison. Pendant un temps j’ai essayé d’effacer ma féminité, de me comporter comme un garçon. Mais je n’y arrivais pas. Alors je me suis dit : laisse tomber, je reste comme ça !

J’avais envie de liberté et je me sentais comme en prison à la maison. Je voulais sortir, faire un peu la folle (rires) ! Donc à 18 ans, j’ai quitté la maison pour Rio et j’ai travaillé comme coiffeuse. Quitter la maison, c’est la meilleure chose que j’ai faite dans ma vie ! À Rio j’ai commencé à me libérer des choses, à fréquenter des boites, des maisons de spectacles de travestis. C’est là que j’ai commencé à m’habiller en femme, à mettre une perruque et du maquillage. J’étais très belle à l’époque ! Et c’était Copa Cabana dans les années 80, le début des spectacles de nuit. C’était très connu pour ça ! Je me suis sentie bien dans ce monde, j’avais trouvé la liberté que je cherchais. Quelques années ont passé, et un jour le destin m’a fait rencontrer une personne qui a changé ma vie.

C’était une cliente du salon de coiffure. Elle travaillait dans des cabarets en Suisse, elle faisait à la fois des spectacles et de la prostitution. Les clients payaient des bouteilles de champagne après le spectacle et puis ils montaient avec elle à l’étage. Elle gagnait beaucoup d’argent comme ça. Elle m’a raconté que certains clients payent 2-3000 francs pour une heure de temps. Un client lui avait même acheté un appartement à Rio ! Je lui ai montré des photos de moi en femme, et elle m’a dit que les trans marchaient très bien en Suisse. Je me suis dit : ok je vais essayer une année, peut-être que ça va aussi marcher pour moi ! Et elle m’a fait un contrat d’artiste pour que je puisse venir. C’était des visas de 8 mois, et après je devais rentrer 4 mois.

Mon premier client c’était à Martigny, dans le cabaret le Sphinx. J’étais un peu timide au début, mais directement j’ai demandé 300 francs, et il a accepté tout de suite. Quand il m’a donné 300 francs comme ça, juste pour 10 minutes de fellation… Je me suis dit : c’est facile quand même ! Et c’est là que j’ai pris le goût de l’argent. À l’époque y’avait pas internet, ni les filles dans la rue. Et les clients qui venaient avaient de l’argent. Dès la première année j’ai gagné beaucoup, beaucoup d’argent ! J’avais la vingtaine et je ne connaissais pas la valeur de l’argent. Je dépensais beaucoup en pensant que je continuerais toujours à gagner beaucoup. J’allais dans les magasins Louis Vuitton, j’achetais des sacs à 6000 francs ! J’ai même voyagé quelques fois en première. C’était la belle vie ! Et j’ai continué à ce rythme pendant 7 ans.

Puis je me suis installée en Suisse définitivement. À ce moment, les cabarets c’était fini et j’ai commencé à travailler dans la rue. Un jour, une amie m’a invitée au Casino. J’ai joué à la machine à sous et j’y ai très vite pris goût. Et petit à petit je suis tombée dans le vice. C’est devenu comme une drogue. Je jouais 3-4 fois par semaine. Et je suis restée à faire ça pendant des années. J’ai fini par accumuler plus de 15’000 francs de dettes. C’était trop ! Alors j’ai demandé l’interdiction du Casino. J’ai dû aller aux poursuites, et j’ai été obligée de vendre deux appartements que j’avais au Brésil. J’avais honte, vraiment. Mais maintenant c’est le passé ! Je ne regrette rien. J’ai quand même pris du plaisir à perdre tout cet argent (rires) !

Après j’ai travaillé comme coiffeuse. Je voulais essayer de changer, mais j’étais payée 120 francs par jour et je travaillais presque toute la journée. Donc j’ai préféré reprendre le travail du sexe. Pour moi c’est plus facile. J’aime le plaisir sexuel avec les hommes, l’argent et l’indépendance qui vient avec. Et si un jour je ne me sens pas de travailler, je garde ma porte fermée. C’est ça la liberté, tu vois. Maintenant, je gagne quand même moins d’argent. À l’époque j’étais jeune, j’étais belle, et il y avait des bons clients. Mais maintenant, c’est la crise dans le travail du sexe. Y’a plein de salons, plein de transsexuels, plein de femmes qui font la passe pour moins cher. Et tout ça fait baisser les prix. Quand un client me donne 150 francs, il fait une grimace ! Alors maintenant j’achète seulement des sacs chez H&M (rires) !

Il y a beaucoup d’hypocrisie dans cette société quand même. La majorité de mes clients ont beaucoup de fantasmes bisexuels. Ce sont des hommes d’affaires, des hommes qui travaillent à la banque. Et souvent ils sont mariés et ils ont une famille. Mais ils ont besoin de vivre leurs fantasmes. Certains viennent aussi pour s’habiller en femme. Je leur mets la perruque, le maquillage, les talons. Et ça leur fait du bien. C’est la réalité ça, tu vois. Et moi, je les comprends et je me sens bien de les aider à vivre cette expérience. Les gens sont comme ils sont. Parfois je demande à Dieu : pourquoi je suis comme ça ? Y’a des moments ou même moi je ne comprends pas pourquoi. Mais je pense que Dieu me comprend quand même. Je me sens bien comme je suis et je m’en fiche de ce que la société pense. Je suis comme je suis. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie.

« Pendant la Seconde Guerre Mondiale, mes parents ont fui le Japon et sont venus s’installer dans un village très reculé de la campagne brésilienne. On vivait dans une maison simple en bois et mes parents avaient un élevage de poulets et des plantations de fruits et de légumes. On était pauvres, les conditions étaient difficiles, mais on avait toujours assez à manger. Le cadre de la famille était très strict. Mon père ne parlait pas beaucoup. S’il était énervé son visage se fermait tout à coup, et quand il frappait, il frappait fort. Tu sais, dans les années 60, c’était comme ça. Et ce cadre de la famille, ça n’était pas facile pour moi. Enfant, j’étais déjà un peu spéciale. Je suis née garçon, mais je passais tout mon temps avec mes sœurs à faire des choses de filles.

J’avais remarqué assez tôt que j’étais différente. Et je pense que mes parents avaient deviné aussi, à ma façon de parler, à ma féminité. Mais ils ne disaient rien, c’était la culture du silence. Mes frères, eux, me faisaient toujours des remarques : « Maman, si tu lui avais donné une bonne éducation, il ne serait pas comme ça ! » À l’école aussi, j’avais souvent des insultes. Je comprends toutes ces réactions. La mentalité à l’époque était bien fermée : les hommes restent des hommes, et les femmes des femmes. Y’avait pas de milieu. Et on vivait sous dictature militaire. Les transsexuels, les homosexuels, ils étaient mis en prison. Pendant un temps j’ai essayé d’effacer ma féminité, de me comporter comme un garçon. Mais je n’y arrivais pas. Alors je me suis dit : laisse tomber, je reste comme ça !

J’avais envie de liberté et je me sentais comme en prison à la maison. Je voulais sortir, faire un peu la folle (rires) ! Donc à 18 ans, j’ai quitté la maison pour Rio et j’ai travaillé comme coiffeuse. Quitter la maison, c’est la meilleure chose que j’ai faite dans ma vie ! À Rio j’ai commencé à me libérer des choses, à fréquenter des boites, des maisons de spectacles de travestis. C’est là que j’ai commencé à m’habiller en femme, à mettre une perruque et du maquillage. J’étais très belle à l’époque ! Et c’était Copa Cabana dans les années 80, le début des spectacles de nuit. C’était très connu pour ça ! Je me suis sentie bien dans ce monde, j’avais trouvé la liberté que je cherchais. Quelques années ont passé, et un jour le destin m’a fait rencontrer une personne qui a changé ma vie.

C’était une cliente du salon de coiffure. Elle travaillait dans des cabarets en Suisse, elle faisait à la fois des spectacles et de la prostitution. Les clients payaient des bouteilles de champagne après le spectacle et puis ils montaient avec elle à l’étage. Elle gagnait beaucoup d’argent comme ça. Elle m’a raconté que certains clients payent 2-3000 francs pour une heure de temps. Un client lui avait même acheté un appartement à Rio ! Je lui ai montré des photos de moi en femme, et elle m’a dit que les trans marchaient très bien en Suisse. Je me suis dit : ok je vais essayer une année, peut-être que ça va aussi marcher pour moi ! Et elle m’a fait un contrat d’artiste pour que je puisse venir. C’était des visas de 8 mois, et après je devais rentrer 4 mois.

Mon premier client c’était à Martigny, dans le cabaret le Sphinx. J’étais un peu timide au début, mais directement j’ai demandé 300 francs, et il a accepté tout de suite. Quand il m’a donné 300 francs comme ça, juste pour 10 minutes de fellation… Je me suis dit : c’est facile quand même ! Et c’est là que j’ai pris le goût de l’argent. À l’époque y’avait pas internet, ni les filles dans la rue. Et les clients qui venaient avaient de l’argent. Dès la première année j’ai gagné beaucoup, beaucoup d’argent ! J’avais la vingtaine et je ne connaissais pas la valeur de l’argent. Je dépensais beaucoup en pensant que je continuerais toujours à gagner beaucoup. J’allais dans les magasins Louis Vuitton, j’achetais des sacs à 6000 francs ! J’ai même voyagé quelques fois en première. C’était la belle vie ! Et j’ai continué à ce rythme pendant 7 ans.

Puis je me suis installée en Suisse définitivement. À ce moment, les cabarets c’était fini et j’ai commencé à travailler dans la rue. Un jour, une amie m’a invitée au Casino. J’ai joué à la machine à sous et j’y ai très vite pris goût. Et petit à petit je suis tombée dans le vice. C’est devenu comme une drogue. Je jouais 3-4 fois par semaine. Et je suis restée à faire ça pendant des années. J’ai fini par accumuler plus de 15’000 francs de dettes. C’était trop ! Alors j’ai demandé l’interdiction du Casino. J’ai dû aller aux poursuites, et j’ai été obligée de vendre deux appartements que j’avais au Brésil. J’avais honte, vraiment. Mais maintenant c’est le passé ! Je ne regrette rien. J’ai quand même pris du plaisir à perdre tout cet argent (rires) !

Après j’ai travaillé comme coiffeuse. Je voulais essayer de changer, mais j’étais payée 120 francs par jour et je travaillais presque toute la journée. Donc j’ai préféré reprendre le travail du sexe. Pour moi c’est plus facile. J’aime le plaisir sexuel avec les hommes, l’argent et l’indépendance qui vient avec. Et si un jour je ne me sens pas de travailler, je garde ma porte fermée. C’est ça la liberté, tu vois. Maintenant, je gagne quand même moins d’argent. À l’époque j’étais jeune, j’étais belle, et il y avait des bons clients. Mais maintenant, c’est la crise dans le travail du sexe. Y’a plein de salons, plein de transsexuels, plein de femmes qui font la passe pour moins cher. Et tout ça fait baisser les prix. Quand un client me donne 150 francs, il fait une grimace ! Alors maintenant j’achète seulement des sacs chez H&M (rires) !

Il y a beaucoup d’hypocrisie dans cette société quand même. La majorité de mes clients ont beaucoup de fantasmes bisexuels. Ce sont des hommes d’affaires, des hommes qui travaillent à la banque. Et souvent ils sont mariés et ils ont une famille. Mais ils ont besoin de vivre leurs fantasmes. Certains viennent aussi pour s’habiller en femme. Je leur mets la perruque, le maquillage, les talons. Et ça leur fait du bien. C’est la réalité ça, tu vois. Et moi, je les comprends et je me sens bien de les aider à vivre cette expérience. Les gens sont comme ils sont. Parfois je demande à Dieu : pourquoi je suis comme ça ? Y’a des moments ou même moi je ne comprends pas pourquoi. Mais je pense que Dieu me comprend quand même. Je me sens bien comme je suis et je m’en fiche de ce que la société pense. Je suis comme je suis. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie.

Publié le: 1 juin 2023

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« Pendant la Seconde Guerre Mondiale, mes parents ont fui le Japon et sont venus s’installer dans un village très reculé de la campagne brésilienne. On vivait dans une maison simple en bois et mes parents avaient un élevage de poulets et des plantations de fruits et de légumes. On était pauvres, les conditions étaient difficiles, mais on avait toujours assez à manger. Le cadre de la famille était très strict. Mon père ne parlait pas beaucoup. S’il était énervé son visage se fermait tout à coup, et quand il frappait, il frappait fort. Tu sais, dans les années 60, c’était comme ça. Et ce cadre de la famille, ça n’était pas facile pour moi. Enfant, j’étais déjà un peu spéciale. Je suis née garçon, mais je passais tout mon temps avec mes sœurs à faire des choses de filles.

J’avais remarqué assez tôt que j’étais différente. Et je pense que mes parents avaient deviné aussi, à ma façon de parler, à ma féminité. Mais ils ne disaient rien, c’était la culture du silence. Mes frères, eux, me faisaient toujours des remarques : « Maman, si tu lui avais donné une bonne éducation, il ne serait pas comme ça ! » À l’école aussi, j’avais souvent des insultes. Je comprends toutes ces réactions. La mentalité à l’époque était bien fermée : les hommes restent des hommes, et les femmes des femmes. Y’avait pas de milieu. Et on vivait sous dictature militaire. Les transsexuels, les homosexuels, ils étaient mis en prison. Pendant un temps j’ai essayé d’effacer ma féminité, de me comporter comme un garçon. Mais je n’y arrivais pas. Alors je me suis dit : laisse tomber, je reste comme ça !

J’avais envie de liberté et je me sentais comme en prison à la maison. Je voulais sortir, faire un peu la folle (rires) ! Donc à 18 ans, j’ai quitté la maison pour Rio et j’ai travaillé comme coiffeuse. Quitter la maison, c’est la meilleure chose que j’ai faite dans ma vie ! À Rio j’ai commencé à me libérer des choses, à fréquenter des boites, des maisons de spectacles de travestis. C’est là que j’ai commencé à m’habiller en femme, à mettre une perruque et du maquillage. J’étais très belle à l’époque ! Et c’était Copa Cabana dans les années 80, le début des spectacles de nuit. C’était très connu pour ça ! Je me suis sentie bien dans ce monde, j’avais trouvé la liberté que je cherchais. Quelques années ont passé, et un jour le destin m’a fait rencontrer une personne qui a changé ma vie.

C’était une cliente du salon de coiffure. Elle travaillait dans des cabarets en Suisse, elle faisait à la fois des spectacles et de la prostitution. Les clients payaient des bouteilles de champagne après le spectacle et puis ils montaient avec elle à l’étage. Elle gagnait beaucoup d’argent comme ça. Elle m’a raconté que certains clients payent 2-3000 francs pour une heure de temps. Un client lui avait même acheté un appartement à Rio ! Je lui ai montré des photos de moi en femme, et elle m’a dit que les trans marchaient très bien en Suisse. Je me suis dit : ok je vais essayer une année, peut-être que ça va aussi marcher pour moi ! Et elle m’a fait un contrat d’artiste pour que je puisse venir. C’était des visas de 8 mois, et après je devais rentrer 4 mois.

Mon premier client c’était à Martigny, dans le cabaret le Sphinx. J’étais un peu timide au début, mais directement j’ai demandé 300 francs, et il a accepté tout de suite. Quand il m’a donné 300 francs comme ça, juste pour 10 minutes de fellation… Je me suis dit : c’est facile quand même ! Et c’est là que j’ai pris le goût de l’argent. À l’époque y’avait pas internet, ni les filles dans la rue. Et les clients qui venaient avaient de l’argent. Dès la première année j’ai gagné beaucoup, beaucoup d’argent ! J’avais la vingtaine et je ne connaissais pas la valeur de l’argent. Je dépensais beaucoup en pensant que je continuerais toujours à gagner beaucoup. J’allais dans les magasins Louis Vuitton, j’achetais des sacs à 6000 francs ! J’ai même voyagé quelques fois en première. C’était la belle vie ! Et j’ai continué à ce rythme pendant 7 ans.

Puis je me suis installée en Suisse définitivement. À ce moment, les cabarets c’était fini et j’ai commencé à travailler dans la rue. Un jour, une amie m’a invitée au Casino. J’ai joué à la machine à sous et j’y ai très vite pris goût. Et petit à petit je suis tombée dans le vice. C’est devenu comme une drogue. Je jouais 3-4 fois par semaine. Et je suis restée à faire ça pendant des années. J’ai fini par accumuler plus de 15’000 francs de dettes. C’était trop ! Alors j’ai demandé l’interdiction du Casino. J’ai dû aller aux poursuites, et j’ai été obligée de vendre deux appartements que j’avais au Brésil. J’avais honte, vraiment. Mais maintenant c’est le passé ! Je ne regrette rien. J’ai quand même pris du plaisir à perdre tout cet argent (rires) !

Après j’ai travaillé comme coiffeuse. Je voulais essayer de changer, mais j’étais payée 120 francs par jour et je travaillais presque toute la journée. Donc j’ai préféré reprendre le travail du sexe. Pour moi c’est plus facile. J’aime le plaisir sexuel avec les hommes, l’argent et l’indépendance qui vient avec. Et si un jour je ne me sens pas de travailler, je garde ma porte fermée. C’est ça la liberté, tu vois. Maintenant, je gagne quand même moins d’argent. À l’époque j’étais jeune, j’étais belle, et il y avait des bons clients. Mais maintenant, c’est la crise dans le travail du sexe. Y’a plein de salons, plein de transsexuels, plein de femmes qui font la passe pour moins cher. Et tout ça fait baisser les prix. Quand un client me donne 150 francs, il fait une grimace ! Alors maintenant j’achète seulement des sacs chez H&M (rires) !

Il y a beaucoup d’hypocrisie dans cette société quand même. La majorité de mes clients ont beaucoup de fantasmes bisexuels. Ce sont des hommes d’affaires, des hommes qui travaillent à la banque. Et souvent ils sont mariés et ils ont une famille. Mais ils ont besoin de vivre leurs fantasmes. Certains viennent aussi pour s’habiller en femme. Je leur mets la perruque, le maquillage, les talons. Et ça leur fait du bien. C’est la réalité ça, tu vois. Et moi, je les comprends et je me sens bien de les aider à vivre cette expérience. Les gens sont comme ils sont. Parfois je demande à Dieu : pourquoi je suis comme ça ? Y’a des moments ou même moi je ne comprends pas pourquoi. Mais je pense que Dieu me comprend quand même. Je me sens bien comme je suis et je m’en fiche de ce que la société pense. Je suis comme je suis. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie.

« Pendant la Seconde Guerre Mondiale, mes parents ont fui le Japon et sont venus s’installer dans un village très reculé de la campagne brésilienne. On vivait dans une maison simple en bois et mes parents avaient un élevage de poulets et des plantations de fruits et de légumes. On était pauvres, les conditions étaient difficiles, mais on avait toujours assez à manger. Le cadre de la famille était très strict. Mon père ne parlait pas beaucoup. S’il était énervé son visage se fermait tout à coup, et quand il frappait, il frappait fort. Tu sais, dans les années 60, c’était comme ça. Et ce cadre de la famille, ça n’était pas facile pour moi. Enfant, j’étais déjà un peu spéciale. Je suis née garçon, mais je passais tout mon temps avec mes sœurs à faire des choses de filles.

J’avais remarqué assez tôt que j’étais différente. Et je pense que mes parents avaient deviné aussi, à ma façon de parler, à ma féminité. Mais ils ne disaient rien, c’était la culture du silence. Mes frères, eux, me faisaient toujours des remarques : « Maman, si tu lui avais donné une bonne éducation, il ne serait pas comme ça ! » À l’école aussi, j’avais souvent des insultes. Je comprends toutes ces réactions. La mentalité à l’époque était bien fermée : les hommes restent des hommes, et les femmes des femmes. Y’avait pas de milieu. Et on vivait sous dictature militaire. Les transsexuels, les homosexuels, ils étaient mis en prison. Pendant un temps j’ai essayé d’effacer ma féminité, de me comporter comme un garçon. Mais je n’y arrivais pas. Alors je me suis dit : laisse tomber, je reste comme ça !

J’avais envie de liberté et je me sentais comme en prison à la maison. Je voulais sortir, faire un peu la folle (rires) ! Donc à 18 ans, j’ai quitté la maison pour Rio et j’ai travaillé comme coiffeuse. Quitter la maison, c’est la meilleure chose que j’ai faite dans ma vie ! À Rio j’ai commencé à me libérer des choses, à fréquenter des boites, des maisons de spectacles de travestis. C’est là que j’ai commencé à m’habiller en femme, à mettre une perruque et du maquillage. J’étais très belle à l’époque ! Et c’était Copa Cabana dans les années 80, le début des spectacles de nuit. C’était très connu pour ça ! Je me suis sentie bien dans ce monde, j’avais trouvé la liberté que je cherchais. Quelques années ont passé, et un jour le destin m’a fait rencontrer une personne qui a changé ma vie.

C’était une cliente du salon de coiffure. Elle travaillait dans des cabarets en Suisse, elle faisait à la fois des spectacles et de la prostitution. Les clients payaient des bouteilles de champagne après le spectacle et puis ils montaient avec elle à l’étage. Elle gagnait beaucoup d’argent comme ça. Elle m’a raconté que certains clients payent 2-3000 francs pour une heure de temps. Un client lui avait même acheté un appartement à Rio ! Je lui ai montré des photos de moi en femme, et elle m’a dit que les trans marchaient très bien en Suisse. Je me suis dit : ok je vais essayer une année, peut-être que ça va aussi marcher pour moi ! Et elle m’a fait un contrat d’artiste pour que je puisse venir. C’était des visas de 8 mois, et après je devais rentrer 4 mois.

Mon premier client c’était à Martigny, dans le cabaret le Sphinx. J’étais un peu timide au début, mais directement j’ai demandé 300 francs, et il a accepté tout de suite. Quand il m’a donné 300 francs comme ça, juste pour 10 minutes de fellation… Je me suis dit : c’est facile quand même ! Et c’est là que j’ai pris le goût de l’argent. À l’époque y’avait pas internet, ni les filles dans la rue. Et les clients qui venaient avaient de l’argent. Dès la première année j’ai gagné beaucoup, beaucoup d’argent ! J’avais la vingtaine et je ne connaissais pas la valeur de l’argent. Je dépensais beaucoup en pensant que je continuerais toujours à gagner beaucoup. J’allais dans les magasins Louis Vuitton, j’achetais des sacs à 6000 francs ! J’ai même voyagé quelques fois en première. C’était la belle vie ! Et j’ai continué à ce rythme pendant 7 ans.

Puis je me suis installée en Suisse définitivement. À ce moment, les cabarets c’était fini et j’ai commencé à travailler dans la rue. Un jour, une amie m’a invitée au Casino. J’ai joué à la machine à sous et j’y ai très vite pris goût. Et petit à petit je suis tombée dans le vice. C’est devenu comme une drogue. Je jouais 3-4 fois par semaine. Et je suis restée à faire ça pendant des années. J’ai fini par accumuler plus de 15’000 francs de dettes. C’était trop ! Alors j’ai demandé l’interdiction du Casino. J’ai dû aller aux poursuites, et j’ai été obligée de vendre deux appartements que j’avais au Brésil. J’avais honte, vraiment. Mais maintenant c’est le passé ! Je ne regrette rien. J’ai quand même pris du plaisir à perdre tout cet argent (rires) !

Après j’ai travaillé comme coiffeuse. Je voulais essayer de changer, mais j’étais payée 120 francs par jour et je travaillais presque toute la journée. Donc j’ai préféré reprendre le travail du sexe. Pour moi c’est plus facile. J’aime le plaisir sexuel avec les hommes, l’argent et l’indépendance qui vient avec. Et si un jour je ne me sens pas de travailler, je garde ma porte fermée. C’est ça la liberté, tu vois. Maintenant, je gagne quand même moins d’argent. À l’époque j’étais jeune, j’étais belle, et il y avait des bons clients. Mais maintenant, c’est la crise dans le travail du sexe. Y’a plein de salons, plein de transsexuels, plein de femmes qui font la passe pour moins cher. Et tout ça fait baisser les prix. Quand un client me donne 150 francs, il fait une grimace ! Alors maintenant j’achète seulement des sacs chez H&M (rires) !

Il y a beaucoup d’hypocrisie dans cette société quand même. La majorité de mes clients ont beaucoup de fantasmes bisexuels. Ce sont des hommes d’affaires, des hommes qui travaillent à la banque. Et souvent ils sont mariés et ils ont une famille. Mais ils ont besoin de vivre leurs fantasmes. Certains viennent aussi pour s’habiller en femme. Je leur mets la perruque, le maquillage, les talons. Et ça leur fait du bien. C’est la réalité ça, tu vois. Et moi, je les comprends et je me sens bien de les aider à vivre cette expérience. Les gens sont comme ils sont. Parfois je demande à Dieu : pourquoi je suis comme ça ? Y’a des moments ou même moi je ne comprends pas pourquoi. Mais je pense que Dieu me comprend quand même. Je me sens bien comme je suis et je m’en fiche de ce que la société pense. Je suis comme je suis. »

Publiée dans le cadre de la mini-série « 90’000 choses dans la tête », réalisée en partenariat avec Aspasie.

Publié le: 1 juin 2023

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