« J’ai grandi à Trélex. On était une grande et merveilleuse famille. Vous savez, en vivant à la campagne, on est riche ; on vit avec la nature, on a l’air, on a tout. On avait beaucoup de vignes, puis on allait garder les vaches. Quand on allait porter le lait à la laiterie avec les boilles, c’était le salaire du mois. Et puis quand on tuait un cochon, c’était notre viande pour tout l’hiver. Et tous les samedis, ma maman ouvrait une plaque de chocolat. Qu’est-ce qu’elle faisait pas pour ses gamins !
Mon père il montrait pas ses sentiments. On avait des domestiques qui disaient « votre papa il est dur ». Je disais « vous savez, mon papa il crie, mais il est pas méchant. » Ça fait partie de la campagne ; pour les vaches, il faut bien crier pour qu’elles comprennent. Et dans le temps, on montrait pas ses sentiments. Il pouvait pas montrer l’affection comme il aurait voulu, parce qu’il en a pas beaucoup reçu. Mais il avait beaucoup de cœur, il était le premier à rendre service. Et nos parents n’ont jamais baissé les bras, vu la situation que maman était gravement malade. Elle avait la tuberculose. Je devais avoir 14 ans quand on a été placés chez des oncles et tantes. Je trouve ça beau qu’on ait été pris comme leurs propres enfants. C’est une richesse, monsieur.
À 22 ans j’ai aimé un homme et puis j’ai eu un enfant de lui. À cette époque c’était la vergogne d’avoir un enfant hors-mariage. On m’a montrée du doigt, on m’a fait beaucoup de mal. On dit toujours que l’homme est blanchi et la femme est salie. Mais j’ai montré que j’étais capable de supporter ce mal. Puis j’ai eu de la chance, mon père l’a acceptée. Ma fille c’était quelque chose pour lui. Il aurait pas fallu lui prendre !
Maintenant je vais sur mes 83 ans, je suis arrière-grand-mère, et c’est que du bonheur. J’accepte mon âge, et je suis bien dans ma peau. Quand j’étais jeune je me disais « mais pourquoi on meurt ? » J’acceptais pas la mort. J’ai mis du temps à comprendre. Ça fait partie de la vie. On n’est pas propriétaire, on n’est que locataire. On fait tous partie de cette grande chambre à coucher [rires] ! Moi, j’ai fait de façon que je sois ensevelie à Trélex. Je veux être avec l’équipe [rires] ! »
(Parc Geisendorf)
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« J’ai grandi à Trélex. On était une grande et merveilleuse famille. Vous savez, en vivant à la campagne, on est riche ; on vit avec la nature, on a l’air, on a tout. On avait beaucoup de vignes, puis on allait garder les vaches. Quand on allait porter le lait à la laiterie avec les boilles, c’était le salaire du mois. Et puis quand on tuait un cochon, c’était notre viande pour tout l’hiver. Et tous les samedis, ma maman ouvrait une plaque de chocolat. Qu’est-ce qu’elle faisait pas pour ses gamins !
Mon père il montrait pas ses sentiments. On avait des domestiques qui disaient « votre papa il est dur ». Je disais « vous savez, mon papa il crie, mais il est pas méchant. » Ça fait partie de la campagne ; pour les vaches, il faut bien crier pour qu’elles comprennent. Et dans le temps, on montrait pas ses sentiments. Il pouvait pas montrer l’affection comme il aurait voulu, parce qu’il en a pas beaucoup reçu. Mais il avait beaucoup de cœur, il était le premier à rendre service. Et nos parents n’ont jamais baissé les bras, vu la situation que maman était gravement malade. Elle avait la tuberculose. Je devais avoir 14 ans quand on a été placés chez des oncles et tantes. Je trouve ça beau qu’on ait été pris comme leurs propres enfants. C’est une richesse, monsieur.
À 22 ans j’ai aimé un homme et puis j’ai eu un enfant de lui. À cette époque c’était la vergogne d’avoir un enfant hors-mariage. On m’a montrée du doigt, on m’a fait beaucoup de mal. On dit toujours que l’homme est blanchi et la femme est salie. Mais j’ai montré que j’étais capable de supporter ce mal. Puis j’ai eu de la chance, mon père l’a acceptée. Ma fille c’était quelque chose pour lui. Il aurait pas fallu lui prendre !
Maintenant je vais sur mes 83 ans, je suis arrière-grand-mère, et c’est que du bonheur. J’accepte mon âge, et je suis bien dans ma peau. Quand j’étais jeune je me disais « mais pourquoi on meurt ? » J’acceptais pas la mort. J’ai mis du temps à comprendre. Ça fait partie de la vie. On n’est pas propriétaire, on n’est que locataire. On fait tous partie de cette grande chambre à coucher [rires] ! Moi, j’ai fait de façon que je sois ensevelie à Trélex. Je veux être avec l’équipe [rires] ! »
(Parc Geisendorf)