Partie 1/4
« J’ai pas choisi ce que j’allais faire dans la vie. J’avais 11 ans quand ça m’est tombé dessus. J’étais au pensionnat et ils avaient oublié de fermer une salle. Il y avait une batterie là, et j’ai su jouer tout de suite. Le jeudi j’ai touché la batterie pour la première fois et le samedi je jouais dans un groupe gospel. Quand le destin te tombe dessus, tu peux pas tellement faire grand chose. J’ai été pris par la musique, ce qui fait que j’ai une vie un peu compliquée, avec d’énormes succès puis des choses auxquelles je croyais qui ont tout foiré.
J’étais dans les p’tits jeunes quand on a fondé l’AMR [Association pour la Musique impRovisée]. Y’avait Goujon, Jacquet, Nicolet, on était tous là. J’avais les clés de la crypte de l’Église Saint-François, et là ça jouait tout le temps ! On jouait free, on jouait jazz ! Putain ! On peut remercier le curé de l’époque parce que franchement ça devait être dur de se concentrer pour prier à l’étage (rires) ! C’était l’époque 68 et y’avait ce côté révolutionnaire. Le jazz c’était les Black Panthers, Harlem, c’était New York quoi, Apollo Theater. La musique avait une telle force politique et sociale !
Tout à coup en 77 on sent venir de Zürich les premiers groupes punk et avec Léo Zouridis on lance le groupe Technycolor avec le single Bunker. Mon pseudo c’est Fred Laser. On a joué partout et des trucs hyper connus : au centre autonome à Zürich quand les flics pouvaient pas entrer. Au Palladium, à la salle du Faubourg, on faisait un tabac autant que U2. Ou au Gibus à Paris. Début 80 on a évolué en new wave minimaliste et changé le nom en Film de Guerre. C’était le début des radios libres, on est devenus les chouchous de Radio Nova à Paris. On était des attractions : les concerts pour Actuel au Rex, au Grand Palais, les tournées dans les prisons… Au Pyramide, un club échangiste à Paris, y’avait les hommes politiques, les acteurs etc. On mettait un peu l’ambiance au début, puis quand ça commençait à se désaper ils nous viraient (rires) !
La fin de l’histoire c’est quand la dope est arrivée. C’était l’hécatombe dans le groupe. Moi je pouvais pas tomber dedans, j’étudiais au conservatoire et puis… j’aimais trop la musique. »
(Les Pâquis)
*Cliquez sur les flêches bleues de la photo principale pour voir les autres photos.
Partie 2/4
« Après un premier prix de virtuosité au conservatoire, je suis parti à la New York University étudier la composition. Là, c’est la grosse claque ! Je découvre la musique contemporaine de Guezzo, Cage, Babbit pour qui je fais des créations. Et j’apprends les nouvelles technologies de la musique. En ‘85 je participe à une des premières performances multimédias de l’histoire. Je jouais du marimba, et y’avait des capteurs dessus connectés à un ordinateur qui transformait le son et pilotait les lumières d’un immeuble au Washington Square !
De retour à Genève, je mets une annonce dans un magasin : « Musicien connaissant informatique musicale ». Aznavour voit ça, et vu qu’il était frapadingue des nouvelles technologies, il m’appelle. Tu sais, quand tu sors du punk, Aznavour… ça me faisait ni chaud, ni froid. Mais dès que j’ai vu le bonhomme… C’est devenu mon papa. C’était un grand, quoi. Il avait l’air pas commode, mais c’était un mec tellement cool. On allait manger à la cafétéria de la Migros de Vésenaz, et les mecs ils lui tapaient sur l’épaule : « Putain, tu ressembles trop à Aznavour ! » Et lui se retournait : « Ouais, on m’le dit tout le temps ! » (rires)
À partir de là j’ai commencé à faire tout et rien pour lui. En voiture de Paris à Genève, il essayait de m’expliquer qu’une chanson ça raconte toute une histoire. Il supportait mal mes textes atmosphériques, ma poésie du vide. Il a pas eu ce truc d’enfant gâté qui nous permet d’être des artistes un peu planants quoi (rires) ! Ce qui est sympa c’est qu’avec lui tu te retrouves dans le studio de Queen avec Dave Richards à Montreux, et tu rencontres tout le monde. Tu croises Bowie, et Aznavour me dit : « J’aimerais bien faire un duo avec Bowie quand même ». Donc je vais vers Bowie et je lui dis. Putain, il me regarde carrément avec la haine dans les yeux quoi. Ça l’intéressait pas du tout (rires) !
Toutes ces histoires sont belles, mais une fois que je suis monté à Paris j’étais dans les pattes de ses mecs de business quoi. Ça n’avait plus aucun intérêt. Là je me suis dit : je suis un artiste, je suis pas un employé de la holding Aznavour. Donc j’ai décidé de me tirer. »
Partie 3/4
« À Paris j’ai commencé à faire des arrangements et des compositions de musiques africaines. C’était le tout début de la World-Music. J’avais jamais été en Afrique, mais j’étais chez moi avec les Africains. J’aimais bien leur manière de jouer. C’est rare les mecs qui ont un sens du rythme tellement développé.
À force d’être avec toute cette musique, je me suis fait un p’tit album pour moi en 98. Les radios en Afrique elles ont cru que j’étais black ! Radio Africa N° 1 appelle le bureau de la Francophonie : « Il faut qu’il vienne à Libreville ! » Au même moment à Abidjan y’a EMI Jat Music qui me dit de venir. C’était la plus grosse usine de cassettes d’Afrique francophone. J’ai choisi Abidjan et ma vie africaine a commencé.
J’ai produit des kilos de trucs là-bas, énorme. Mais j’ai quitté l’Afrique avec un flingue sur la tête. Les soirées avec piscine, l’alcool, des putes partout, la gendarmerie, les flics, l’armée, tous les mecs corrompus qui trainent, l’ambassade de France… Rien n’était net, y’avait une énorme magouille. Au bout d’un moment je sentais la parano, je me suis dit : ça va mal finir ce truc, ça pue la mort, faut que je dégage.
J’étais à la fin d’un album, et la veille du départ on me dit ambiance cow-boy : « Tu vas finir cet album, sinon… ». Moi, comme je suis Valaisan, je veux pas accepter ça. Le matin où je veux partir, le chef de la sécu m’appelle : « C’est Zouzou ! Laser ! TU-NE-PARS-PAS ! » Il me dit ça pour me sauver la vie, il avait reçu l’ordre de me buter quoi ! Du coup, je suis complètement perdu mais je pars quand même. Sans réfléchir, je prends un taxi qui attendait devant la maison. Au carrefour de Cocody j’ai une prémonition, je me jette sur le mec, je tourne le volant et je pars me cacher. J’appelle un ami et il m’aide à trouver un bus pour le Ghana.
Et puis après tout est un peu parti en couilles. Je picolais trop, ma femme a voulu divorcer et revenir en Suisse. Je suis rentré à Genève et je suis allé aux Alcooliques Anonymes. Je vivais un peu des droits d’auteurs, puis en 2003 je commençais vraiment à être dans la merde. Et c’est là que j’ai eu l’idée du Komball. BOOM ! Sauvé par le gong ! »
Partie 4/4
« Komball ça a été un succès énorme ! Mon gosse Léonard jouait au Servette de Genève, et en le regardant jongler j’ai réalisé que y’avait un pendant freestyle dans tous les sports sauf le foot. Je me suis dit : putain, y’a surement un truc à faire ! J’ai chopé deux rastas d’une pub Nike, mon fils, un YO freestyler et en 2006 j’ai sorti un DVD. C’est parti chez Sony et en 3 jours c’est devenu numéro 1 des ventes. D’ailleurs, Sport Dimanche a fait un sujet Foot freestyle y’a quelques mois et ils sont venus m’interviewer.
Puis un escroc s’est incrusté petit à petit et j’ai tout perdu. Les comptes étaient vides, plus rien nulle part. T’essaies de reprendre la direction de ta boite mais tu commences à flipper. Tu t’aperçois que le mec c’est pas de la rigolade du tout, que t’es dans un truc qui est pas fait pour un p’tit musico comme toi (rires) ! En 2009 je suis allé me planquer à Yverdon chez mon amie qui m’a sauvé, et j’ai passé presque toutes mes journées à jouer à Mario Kart. J’avais des dettes, j’avais plus de fric, j’avais plus rien.
Puis j’ai recommencé à composer, à reprendre un peu confiance, mais ça s’est pas vraiment amélioré. Début 2020 je suis revenu à Genève, et une copine m’a passé un savon grave. Je suis rentré, j’ai ouvert l’ordinateur et j’ai écrit « Remontada » (rires) ! Puis y’a eu la Covid et je me suis jeté dans la création. J’ai fait un opéra, un théâtre musical, un album néo-grégorien, une BD et une web série. Disons que c’était ça ou mourir. Artiste c’est du travail mais c’est pas un métier. Tu voyages en jet privé invité par machin, tout le monde te porte tes valises, et quelques mois après t’es dans la merde.
Durant toutes ces années j’ai fait plein de trucs qui ont l’air tellement disparates. Toutes les pièces semblent éparpillées. Avec ces nouvelles créations j’assemble le puzzle. Mon fils me dit : « Papa, arrête d’être tendu comme ça ! » Lui pense que c’est un besoin de reconnaissance. Y’en a un peu, mais c’est pas ma motivation. J’ai envie de finir ce puzzle, donc je suis très concentré. Je pensais pas me relever, mais là je suis en train de m’en sortir. La musique tu ne la choisis pas, mais elle te tombe pas dessus par hasard. »

Partie 1/2
« Mon père n’était pas une bonne personne. Ma mère n’en parle jamais. La seule chose qu’elle m’a racontée c’est qu’il l’avait violée avant leur mariage et qu’il l’a ensuite menacée du genre « Si tu ne m’épouses pas, je te suivrai et je te ferai du mal ». Elle a eu peur et elle l’a épousé. Après, il a eu de multiples liaisons et il était extrêmement manipulateur. Il nous a aussi agressées sexuellement ma sœur et moi quand on était très jeunes. Juste plein de mauvaises choses. Je n’ai que des souvenirs négatifs de lui.
Il n’est pas allé en prison, je ne sais pas vraiment pourquoi. On m’a juste dit qu’on ne le verrait plus pendant 10 ans, et je me suis dit « Tant mieux ! Le plus long, le mieux ! » Plus tard, à son enterrement, les gens disaient des choses comme « Il était toujours si charmant et plein d’esprit, il était le centre de la fête » et tout ça. Et moi je me disais « Mais de qui est-ce que vous parlez ? ». C’était une expérience très intéressante d’être à l’enterrement de son propre père et de se demander « Mais de qui parlent tous ces gens ? ». Enfin peut-être que… j’espère qu’il a changé à la fin de sa vie.
Ce qui était dur pour moi c’est que l’église chrétienne enseigne que Dieu est notre père. Mais quand vous avez eu un mauvais père… ça craint (rires) ! Et si Dieu est bon, pourquoi il se passe de mauvaises choses ? Heureusement, j’avais un groupe à l’église vraiment génial qui m’a aidée à comprendre comment pardonner, et à bien m’en sortir. Même dans certaines des choses les plus douloureuses que l’on traverse, on grandit énormément. Je ne voudrais jamais revivre tout ça, mais les leçons que j’ai apprises et l’empathie que cela m’a donnée… J’ai l’impression que Dieu est toujours présent avec nous dans la souffrance.
On peut pas contrôler ce qui nous arrive, mais on peut choisir de répondre avec ouverture en permettant à la douleur de nous enseigner. La souffrance m’a appris que la souffrance… n’est pas permanente. Et qu’il y a toujours de l’espoir de l’autre côté. Et elle vous apprend aussi à être plus reconnaissante quand tout est normal (rires) ! »
(Pont de la Coulouvrenière | traduite du français)

Partie 2/2
« Ils ont divorcé quand j’étais très jeune et mon père n’a jamais payé de pension alimentaire. On avait très peu d’argent, ma mère avait deux emplois et faisait tout ce qu’elle pouvait pour qu’on ne soit pas à la rue. Mais elle n’avait pas assez pour nous nourrir, alors elle se privait de nourriture pendant des mois pour que ma sœur et moi on ait toujours de quoi manger. Elle a presque dû aller à l’hôpital plusieurs fois.
Je me souviens d’un jour, j’avais 9 ans, on allait à la banque et elle s’est mise à pleurer dans la voiture. Je lui ai demandé pourquoi elle était triste et elle a montré un sac de pièces en disant « Je suis triste parce que c’est tout ce qui nous reste comme argent ». C’est là que j’ai commencé à me dire « Wow, je dois faire tout ce que je peux, sinon on va finir à la rue ». Si je trouvais des pièces de monnaie, je les cachais dans une petite boîte, ou si elle voulait nous emmener faire du shopping ou quelque chose de sympa pour nous, je disais « on n’a pas besoin de ces choses ».
Mais c’était la personne la plus généreuse et la plus gentille qui soit. Elle était toujours prête à offrir quelque chose à quelqu’un avant d’acheter quelque chose pour elle-même. Elle a probablement fait un million de choses pour les autres dont elle ne parlera jamais. J’admire vraiment cet altruisme chez une personne, et je pense que cela m’a donné l’inspiration pour essayer de vivre d’une manière qui soit aussi gentille et généreuse.
Maintenant tout va bien dans ma vie. Je travaille en free-lance comme graphiste et je peux vivre où je veux. C’est la première fois que ce rêve se réalise. C’est un peu surréaliste ! Mais j’ai travaillé comme une dingue pour y arriver et je suis fière de moi. Mais j’aimerais aussi gagner beaucoup d’argent pour pouvoir offrir de belles vacances à ma mère, lui acheter une belle maison pour sa retraite, etc. Elle m’a tant donné et je veux le lui rendre. Elle n’a jamais quitté les États-Unis, et je ne sais pas pourquoi mais elle a une obsession pour Genève. Alors un jour j’aimerais vraiment l’amener ici et je sais qu’elle passera tout son temps à pleurer en disant » C’est teeellement beau ! » (rires). »
(Pont de la Coulouvrenière | traduite de l’anglais)
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Partie 1/4
« J’ai pas choisi ce que j’allais faire dans la vie. J’avais 11 ans quand ça m’est tombé dessus. J’étais au pensionnat et ils avaient oublié de fermer une salle. Il y avait une batterie là, et j’ai su jouer tout de suite. Le jeudi j’ai touché la batterie pour la première fois et le samedi je jouais dans un groupe gospel. Quand le destin te tombe dessus, tu peux pas tellement faire grand chose. J’ai été pris par la musique, ce qui fait que j’ai une vie un peu compliquée, avec d’énormes succès puis des choses auxquelles je croyais qui ont tout foiré.
J’étais dans les p’tits jeunes quand on a fondé l’AMR [Association pour la Musique impRovisée]. Y’avait Goujon, Jacquet, Nicolet, on était tous là. J’avais les clés de la crypte de l’Église Saint-François, et là ça jouait tout le temps ! On jouait free, on jouait jazz ! Putain ! On peut remercier le curé de l’époque parce que franchement ça devait être dur de se concentrer pour prier à l’étage (rires) ! C’était l’époque 68 et y’avait ce côté révolutionnaire. Le jazz c’était les Black Panthers, Harlem, c’était New York quoi, Apollo Theater. La musique avait une telle force politique et sociale !
Tout à coup en 77 on sent venir de Zürich les premiers groupes punk et avec Léo Zouridis on lance le groupe Technycolor avec le single Bunker. Mon pseudo c’est Fred Laser. On a joué partout et des trucs hyper connus : au centre autonome à Zürich quand les flics pouvaient pas entrer. Au Palladium, à la salle du Faubourg, on faisait un tabac autant que U2. Ou au Gibus à Paris. Début 80 on a évolué en new wave minimaliste et changé le nom en Film de Guerre. C’était le début des radios libres, on est devenus les chouchous de Radio Nova à Paris. On était des attractions : les concerts pour Actuel au Rex, au Grand Palais, les tournées dans les prisons… Au Pyramide, un club échangiste à Paris, y’avait les hommes politiques, les acteurs etc. On mettait un peu l’ambiance au début, puis quand ça commençait à se désaper ils nous viraient (rires) !
La fin de l’histoire c’est quand la dope est arrivée. C’était l’hécatombe dans le groupe. Moi je pouvais pas tomber dedans, j’étudiais au conservatoire et puis… j’aimais trop la musique. »
(Les Pâquis)
*Cliquez sur les flêches bleues de la photo principale pour voir les autres photos.
Partie 2/4
« Après un premier prix de virtuosité au conservatoire, je suis parti à la New York University étudier la composition. Là, c’est la grosse claque ! Je découvre la musique contemporaine de Guezzo, Cage, Babbit pour qui je fais des créations. Et j’apprends les nouvelles technologies de la musique. En ‘85 je participe à une des premières performances multimédias de l’histoire. Je jouais du marimba, et y’avait des capteurs dessus connectés à un ordinateur qui transformait le son et pilotait les lumières d’un immeuble au Washington Square !
De retour à Genève, je mets une annonce dans un magasin : « Musicien connaissant informatique musicale ». Aznavour voit ça, et vu qu’il était frapadingue des nouvelles technologies, il m’appelle. Tu sais, quand tu sors du punk, Aznavour… ça me faisait ni chaud, ni froid. Mais dès que j’ai vu le bonhomme… C’est devenu mon papa. C’était un grand, quoi. Il avait l’air pas commode, mais c’était un mec tellement cool. On allait manger à la cafétéria de la Migros de Vésenaz, et les mecs ils lui tapaient sur l’épaule : « Putain, tu ressembles trop à Aznavour ! » Et lui se retournait : « Ouais, on m’le dit tout le temps ! » (rires)
À partir de là j’ai commencé à faire tout et rien pour lui. En voiture de Paris à Genève, il essayait de m’expliquer qu’une chanson ça raconte toute une histoire. Il supportait mal mes textes atmosphériques, ma poésie du vide. Il a pas eu ce truc d’enfant gâté qui nous permet d’être des artistes un peu planants quoi (rires) ! Ce qui est sympa c’est qu’avec lui tu te retrouves dans le studio de Queen avec Dave Richards à Montreux, et tu rencontres tout le monde. Tu croises Bowie, et Aznavour me dit : « J’aimerais bien faire un duo avec Bowie quand même ». Donc je vais vers Bowie et je lui dis. Putain, il me regarde carrément avec la haine dans les yeux quoi. Ça l’intéressait pas du tout (rires) !
Toutes ces histoires sont belles, mais une fois que je suis monté à Paris j’étais dans les pattes de ses mecs de business quoi. Ça n’avait plus aucun intérêt. Là je me suis dit : je suis un artiste, je suis pas un employé de la holding Aznavour. Donc j’ai décidé de me tirer. »
Partie 3/4
« À Paris j’ai commencé à faire des arrangements et des compositions de musiques africaines. C’était le tout début de la World-Music. J’avais jamais été en Afrique, mais j’étais chez moi avec les Africains. J’aimais bien leur manière de jouer. C’est rare les mecs qui ont un sens du rythme tellement développé.
À force d’être avec toute cette musique, je me suis fait un p’tit album pour moi en 98. Les radios en Afrique elles ont cru que j’étais black ! Radio Africa N° 1 appelle le bureau de la Francophonie : « Il faut qu’il vienne à Libreville ! » Au même moment à Abidjan y’a EMI Jat Music qui me dit de venir. C’était la plus grosse usine de cassettes d’Afrique francophone. J’ai choisi Abidjan et ma vie africaine a commencé.
J’ai produit des kilos de trucs là-bas, énorme. Mais j’ai quitté l’Afrique avec un flingue sur la tête. Les soirées avec piscine, l’alcool, des putes partout, la gendarmerie, les flics, l’armée, tous les mecs corrompus qui trainent, l’ambassade de France… Rien n’était net, y’avait une énorme magouille. Au bout d’un moment je sentais la parano, je me suis dit : ça va mal finir ce truc, ça pue la mort, faut que je dégage.
J’étais à la fin d’un album, et la veille du départ on me dit ambiance cow-boy : « Tu vas finir cet album, sinon… ». Moi, comme je suis Valaisan, je veux pas accepter ça. Le matin où je veux partir, le chef de la sécu m’appelle : « C’est Zouzou ! Laser ! TU-NE-PARS-PAS ! » Il me dit ça pour me sauver la vie, il avait reçu l’ordre de me buter quoi ! Du coup, je suis complètement perdu mais je pars quand même. Sans réfléchir, je prends un taxi qui attendait devant la maison. Au carrefour de Cocody j’ai une prémonition, je me jette sur le mec, je tourne le volant et je pars me cacher. J’appelle un ami et il m’aide à trouver un bus pour le Ghana.
Et puis après tout est un peu parti en couilles. Je picolais trop, ma femme a voulu divorcer et revenir en Suisse. Je suis rentré à Genève et je suis allé aux Alcooliques Anonymes. Je vivais un peu des droits d’auteurs, puis en 2003 je commençais vraiment à être dans la merde. Et c’est là que j’ai eu l’idée du Komball. BOOM ! Sauvé par le gong ! »
Partie 4/4
« Komball ça a été un succès énorme ! Mon gosse Léonard jouait au Servette de Genève, et en le regardant jongler j’ai réalisé que y’avait un pendant freestyle dans tous les sports sauf le foot. Je me suis dit : putain, y’a surement un truc à faire ! J’ai chopé deux rastas d’une pub Nike, mon fils, un YO freestyler et en 2006 j’ai sorti un DVD. C’est parti chez Sony et en 3 jours c’est devenu numéro 1 des ventes. D’ailleurs, Sport Dimanche a fait un sujet Foot freestyle y’a quelques mois et ils sont venus m’interviewer.
Puis un escroc s’est incrusté petit à petit et j’ai tout perdu. Les comptes étaient vides, plus rien nulle part. T’essaies de reprendre la direction de ta boite mais tu commences à flipper. Tu t’aperçois que le mec c’est pas de la rigolade du tout, que t’es dans un truc qui est pas fait pour un p’tit musico comme toi (rires) ! En 2009 je suis allé me planquer à Yverdon chez mon amie qui m’a sauvé, et j’ai passé presque toutes mes journées à jouer à Mario Kart. J’avais des dettes, j’avais plus de fric, j’avais plus rien.
Puis j’ai recommencé à composer, à reprendre un peu confiance, mais ça s’est pas vraiment amélioré. Début 2020 je suis revenu à Genève, et une copine m’a passé un savon grave. Je suis rentré, j’ai ouvert l’ordinateur et j’ai écrit « Remontada » (rires) ! Puis y’a eu la Covid et je me suis jeté dans la création. J’ai fait un opéra, un théâtre musical, un album néo-grégorien, une BD et une web série. Disons que c’était ça ou mourir. Artiste c’est du travail mais c’est pas un métier. Tu voyages en jet privé invité par machin, tout le monde te porte tes valises, et quelques mois après t’es dans la merde.
Durant toutes ces années j’ai fait plein de trucs qui ont l’air tellement disparates. Toutes les pièces semblent éparpillées. Avec ces nouvelles créations j’assemble le puzzle. Mon fils me dit : « Papa, arrête d’être tendu comme ça ! » Lui pense que c’est un besoin de reconnaissance. Y’en a un peu, mais c’est pas ma motivation. J’ai envie de finir ce puzzle, donc je suis très concentré. Je pensais pas me relever, mais là je suis en train de m’en sortir. La musique tu ne la choisis pas, mais elle te tombe pas dessus par hasard. »

Partie 1/2
« Mon père n’était pas une bonne personne. Ma mère n’en parle jamais. La seule chose qu’elle m’a racontée c’est qu’il l’avait violée avant leur mariage et qu’il l’a ensuite menacée du genre « Si tu ne m’épouses pas, je te suivrai et je te ferai du mal ». Elle a eu peur et elle l’a épousé. Après, il a eu de multiples liaisons et il était extrêmement manipulateur. Il nous a aussi agressées sexuellement ma sœur et moi quand on était très jeunes. Juste plein de mauvaises choses. Je n’ai que des souvenirs négatifs de lui.
Il n’est pas allé en prison, je ne sais pas vraiment pourquoi. On m’a juste dit qu’on ne le verrait plus pendant 10 ans, et je me suis dit « Tant mieux ! Le plus long, le mieux ! » Plus tard, à son enterrement, les gens disaient des choses comme « Il était toujours si charmant et plein d’esprit, il était le centre de la fête » et tout ça. Et moi je me disais « Mais de qui est-ce que vous parlez ? ». C’était une expérience très intéressante d’être à l’enterrement de son propre père et de se demander « Mais de qui parlent tous ces gens ? ». Enfin peut-être que… j’espère qu’il a changé à la fin de sa vie.
Ce qui était dur pour moi c’est que l’église chrétienne enseigne que Dieu est notre père. Mais quand vous avez eu un mauvais père… ça craint (rires) ! Et si Dieu est bon, pourquoi il se passe de mauvaises choses ? Heureusement, j’avais un groupe à l’église vraiment génial qui m’a aidée à comprendre comment pardonner, et à bien m’en sortir. Même dans certaines des choses les plus douloureuses que l’on traverse, on grandit énormément. Je ne voudrais jamais revivre tout ça, mais les leçons que j’ai apprises et l’empathie que cela m’a donnée… J’ai l’impression que Dieu est toujours présent avec nous dans la souffrance.
On peut pas contrôler ce qui nous arrive, mais on peut choisir de répondre avec ouverture en permettant à la douleur de nous enseigner. La souffrance m’a appris que la souffrance… n’est pas permanente. Et qu’il y a toujours de l’espoir de l’autre côté. Et elle vous apprend aussi à être plus reconnaissante quand tout est normal (rires) ! »
(Pont de la Coulouvrenière | traduite du français)

Partie 2/2
« Ils ont divorcé quand j’étais très jeune et mon père n’a jamais payé de pension alimentaire. On avait très peu d’argent, ma mère avait deux emplois et faisait tout ce qu’elle pouvait pour qu’on ne soit pas à la rue. Mais elle n’avait pas assez pour nous nourrir, alors elle se privait de nourriture pendant des mois pour que ma sœur et moi on ait toujours de quoi manger. Elle a presque dû aller à l’hôpital plusieurs fois.
Je me souviens d’un jour, j’avais 9 ans, on allait à la banque et elle s’est mise à pleurer dans la voiture. Je lui ai demandé pourquoi elle était triste et elle a montré un sac de pièces en disant « Je suis triste parce que c’est tout ce qui nous reste comme argent ». C’est là que j’ai commencé à me dire « Wow, je dois faire tout ce que je peux, sinon on va finir à la rue ». Si je trouvais des pièces de monnaie, je les cachais dans une petite boîte, ou si elle voulait nous emmener faire du shopping ou quelque chose de sympa pour nous, je disais « on n’a pas besoin de ces choses ».
Mais c’était la personne la plus généreuse et la plus gentille qui soit. Elle était toujours prête à offrir quelque chose à quelqu’un avant d’acheter quelque chose pour elle-même. Elle a probablement fait un million de choses pour les autres dont elle ne parlera jamais. J’admire vraiment cet altruisme chez une personne, et je pense que cela m’a donné l’inspiration pour essayer de vivre d’une manière qui soit aussi gentille et généreuse.
Maintenant tout va bien dans ma vie. Je travaille en free-lance comme graphiste et je peux vivre où je veux. C’est la première fois que ce rêve se réalise. C’est un peu surréaliste ! Mais j’ai travaillé comme une dingue pour y arriver et je suis fière de moi. Mais j’aimerais aussi gagner beaucoup d’argent pour pouvoir offrir de belles vacances à ma mère, lui acheter une belle maison pour sa retraite, etc. Elle m’a tant donné et je veux le lui rendre. Elle n’a jamais quitté les États-Unis, et je ne sais pas pourquoi mais elle a une obsession pour Genève. Alors un jour j’aimerais vraiment l’amener ici et je sais qu’elle passera tout son temps à pleurer en disant » C’est teeellement beau ! » (rires). »
(Pont de la Coulouvrenière | traduite de l’anglais)